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Fantaisie académique

Première de couverture, best of

 

C’est une œuvre pour la jeunesse bien sous tous rapports :

  • le personnage principal est une fille au tempérament de garçonne ;
  • elle a deux mamans ;
  • ses aventures sont un hymne à l’acceptation de la différence.

Un tournoi d’enfer est le deuxième tome d’une série qui s’inscrit dans l’effort de poly-exploitation de la marque « Donjons & dragons ».

  • Écrit par Madeleine Roux,
  • illustré par Tim Probert et
  • traduit par votre serviteur,

il s’amuse à mêler les codes du jeu original et ceux de « Harry Potter ».

 

Incipit du roman

 

Au programme,

  • internat de jeunes élèves,
  • compétition (l’un des grands « trucs » des livres pour la jeunesse, avec l’inusable – hélas – préparation d’un spectacle),
  • multitude de monstres en tout genre,
  • aventures et twists

agitent gentiment le bocal des lecteurs en maniant à la fois l’académisme woke et la fantasy scolaire bon teint. Le plaisir de conter dont Madeleine Roux fait montre contribue à la réussite de cet amusant divertissement « pour les 8-12 ans » que l’on peut découvrir ici et acheter .

 

Irakly Avaliani joue Johann Sebastian Bach (L’art du toucher) – 4/4

Quatrième de couverture

 

Dernier volet de la tétralogie Bach proposée par Irakly Avaliani : les prélude et fugue en si mineur BWV 869 qui couronnent le premier – non le « 1et » comme le propose le sommaire intérieur de la réédition de 2011 – livre du Clavier bien tempéré. Il s’agit d’un diptyque somptueux, qui laisse clairement la place à l’interprétation puisque certaines versions torchent l’histoire en 10′ (on connaît la punchline de Jo Privat, après avoir écouté un jeune virtuose accordéoniste venu lui demander des conseils : « C’est très impressionnant, tu conduis vite, mais c’est dommage car tu n’as pas pris le temps de regarder le paysage ») quand la présente proposition frôle les 17’30. La controverse est banale et insoluble, Bach n’ayant jamais assigné un tempo précis à ses œuvres, se contentant d’indications sciemment floues – ici : andante puis largo. Ce qui est moins banal est

  • la richesse,
  • la liberté, presque
  • la polysémie,

que cette fausse négligence octroie à l’interprète. À lui de construire sa vision de l’œuvre et de convaincre l’auditeur que sa conception se tient et donne à entendre des aspects spécifiques de la pièce.

 

 

En l’espèce, le prélude ne tergiverse point. Il marche, comme son indication de tempo l’exige, bien aidé par une walking bass d’une légèreté permise par le Fazioli réglé par Jean-Michel Daudon et sublimement captée par Joël Perrot. Il y a tout ce qu’il faut :

  • l’allant,
  • la sérénité et
  • l’étagement des intensités qui distingue avec une netteté impressionnante les trois strates de la partition

    • (mélodie,
    • harmonie,
    • basse).

Le texte est énoncé avec

  • une précision scrupuleuse,
  • un phrasé harmonieux et, surtout,
  • une simplicité saisissante

qui rend d’autant plus fascinants

  • les chromatismes hypnotisant,
  • les frottements résolus (l’enchaînement Si / fa dièse mineur à la reprise de la seconde section !) et
  • les voltes modulantes,

captivant l’auditeur, fermement convaincu à l’issue de cette écoute que ce tempo est le bon tempo – idée stupide, on l’a dit, mais qui traduit à sa façon la performance artistique de l’interprète…

 

 

La fugue à quatre voix est annoncée largo ; et, en effet, on ne lâche pas les chevaux, comme disait la pelote, au contraire. À la virtuosité d’esbroufe, Irakly Avaliani substitue une virtuosité de la retenue, où

  • le microdétail l’emporte sur le panoramique,
  • le choix du toucher sur la précipitation, et,
  • sur l’impression générale la construction spécifique du son
    • (intensités,
    • pédalisation,
    • rapport entre les voix).

Bach a choisi de clore son recueil sur une pièce où les difficultés

  • technique,
  • intellectuelle et
  • artistique

consistent, pour le claviériste, à transformer en musique envoûtante une quadriphonie rebelle aux effets waouh. Dans le présent disque, son porte-voix fait son miel d’une telle option avec un jeu dont

  • la clarté confine à la grâce,
  • la science harmonique à l’élégance et
  • l’imperturbable humilité devant le génie du compositeur à un hommage de grande classe.

Se dégage de cette interprétation une évidence loin des problématiques mondaines qui nous happent d’ordinaire. Même les règles si strictes et rutilantes de la fugue semblent se dissoudre dans un flux qui fait sens par lui-même, indépendamment des contraintes mafflues qu’il lui faut respecter. A posteriori, c’est fort impressionnant. Dans l’instant, c’est juste

  • saisissant,
  • puissant et
  • beau.

Et dire qu’il nous reste encore moult disques d’Irakly Avaliani à découvrir !


Pour écouter l’album en intégralité, c’est par exemple ici.
Pour retrouver les précédents épisodes de la chronique Bach, cliquer sur
Fantaisie chromatique et fugue,
Concerto dans le goût italien et
Deuxième partita.

 

Guitarp duo joue de Falla, Debussy et Ravel (Solo musica) – 3/3

Quatrième de couverture

 

Après Manuel de Falla et Claude Debussy, c’est Maurice Ravel que le Guitarp duo a choisi de revisiter à travers trois numéros extraits des Miroirs et arrangés par eux-mêmes pour leur formation. Alors que le lien ténu entre les Estampes de Debussy et le titre du disque, Miroirs d’Espagne, était établi grâce à la pièce qu’ils avaient placée en premier, les interprètes ont choisi de garder « Alborada del gracioso » pour la fin.

 

 

La trilogie s’ouvre sur « Oiseaux tristes », le deuxième épisode du cycle ravélien, dont le compositeur assumait le projet programmatique d’évoquer « des oiseaux perdus dans une sombre forêt aux heures les plus chaudes de l’été ». Très lentement, la harpe dégaine les premiers contrastes d’attaques avec de belles harmoniques pour mimer ou plutôt transposer la percussion du marteau qu’exige la partition sur la première note. Le duo, séparé par la stéréophonie, organise le balancement avec un juste mélange

  • de rigueur,
  • de souplesse et
  • d’habileté

rythmiques. Maurizio Grandinetti et Consuelo Giulianelli savent tour à tour prendre

  • leur temps triste pour laisser les notes vibrer au creux des esgourdes de l’auditeur,
  • leurs doigts à leur cou pour tresser la vitesse quand, un instant, elle surgit, et
  • leur large palette de nuances pour s’approprier, autant que possible, la chaleur résonnante de la version pour piano.

 

 

En deuxième position de la sélection guitarpienne apparaît « La vallée des cloches » qui, d’ordinaire, clôt le recueil avec une partition écrite sur trois portées.

  • Harmoniques,
  • mélange des sonorités,
  • suspensions et
  • résonance des graves de la harpe

tissent les échanges mystérieux entre les cloches. Les complices rendent avec une virtuosité presque intérieure la beauté de la complexité

  • rythmique,
  • harmonique et
  • tonale

qui fait planer une musique dont l’efficacité onirique trouve un regain de fraîcheur dans les

  • dialogues,
  • entrelacs,
  • superpositions,
  • confrontations et
  • symbioses

du duo. Le résultat, habilement non pianistique, pourrait être une façon d’inviter le mélomane à redécouvrir cette grande partition ravélienne.

 

 

Miroirs d’Espagne obligent, le parcours spéculaire s’achève avec « Alborada del gracioso », l’une des deux pièces du recueil à avoir été orchestrées par le compositeur… et l’un des plus redoutables apices du répertoire du vingtième siècle naissant.

  • Hispanismes croustillants,
  • swing caractérisé,
  • contrastes d’intensité,
  • secousses rythmiques,
  • virulentes modulations et inflexions tonales,
  • changements de tempo et de mesure

sont agencés avec une assurance et une habileté certaines. La transcription n’hésite pas – elle a raison – à

  • octavier,
  • doubler ou
  • permuter les rôles.

Sans doute plus hispanisante qu’idiomatique, cette version n’ôte rien au brio ni à la poésie d’une partition majeure. Elle offre une lecture

  • singulière,
  • intelligente et
  • solidement pensée

où, entre

  • notes répétées,
  • glissades maîtrisées et
  • souplesse chirurgicale – presque chorégraphique – du geste commun

palpitent comme de juste

  • le brio,
  • le suggestif,
  • le contradictoire et
  • le songeur.

Ceci n’est pas l’Espagne ; peut-être en sera-ce un miroir ? À tout le moins, c’est un miroir tendu aux massifs ravéliens que Maurizio Grandinetti et Consuelo Giulianelli gravissent par des voies singulières. Si l’exercice peut paraître curieux, c’est qu’il excite précisément la curiosité des mélomanes prêts à libérer leurs esgourdes de leurs habitudes pianistiques ou, mieux, d’enrichir ces us par une autre approche. D’autant plus intéressant apparaîtra alors ce disque où les musiciens, moins farfelus qu’il n’y paraît au premier abord, font preuve

  • d’un goût très sûr,
  • d’une virtuosité remarquable,
  • d’une audace assumée et
  • d’une musicalité évidente.

Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.
Pour l’écouter sur YouTube, c’est .

 

Jean Dubois, « Mazurkas vaudeville », PIC (Ivry-sur-Seine), 8 novembre 2024

Jean Dubois au Forum Léo Ferré (devenu le PIC), le 1er juin 2018. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Jadis, de lui, nous écrivîmes :

 

Jean Dubois, c’est la chanson française comme on l’aime : c’est

  • Renaud pas bouffé par l’alcool,
  • Dylan pas grommelant,
  • Brassens shooté aux amphètes, et
  • notre Charlebois à nous, avec son côté
    • « chanson à texte »,
    • « chanson rock » et
    • trouvailles musicales.

 

The times, they are a-changin’, et le résultat est là, hélas pour nous : impossible de resservir cette vieille sauce. Non que Jean Dubois ait déjà changé mais bien qu’il

  • est en train de changer,
  • veut changer,
  • vit sa vie artistique comme un changement plus ou moins radical selon les saisons.

Comme une Anne Sylvestre – si magnifiquement habillée par François Rauber – reprochant à son public de la vouloir voir encore et encore avec « la guitare, les grands cheveux, et gling gling et tout ça »,

  • le gratteux devient pianiste ;
  • l’ACI donne dans la reprise ;
  • le chanteur se revendique pleinement musicien.

En l’entendant revendiquer son choix de donner un récital « capricieux » et en l’écoutant claquer son premier instrumental, on pense à Jann Halexander qui, dans Ornithorynque, son dernier disque, débordait la chanson en proposant

  • des textes récités (éventuellement chantés plus tard),
  • des instrumentaux paraphrasant une chanson et
  • des instrumentaux sans autre texte que leur titre.

Tout se passe comme si ces vieux loups de scène ne se satisfaisaient plus du carcan chansonnistique, tout spacieux et confortable soit-il. Pour bien le signifier d’emblée, Jean Dubois revendique les trois caractéristiques qu’il a données à son tour de chant-mais-pas-que-de-chant :

  • la liberté,
  • l’irréductibilité aux canons (pas que de rouge qui tache) qui va avec le premier item, et
  • la polymorphie.

Le public adhère chaleureusement au projet, car il est patent que l’artiste n’est pas là pour

  • se dérober,
  • provoquer ni même
  • « se réinventer » (on n’est pas dans Télérama ou sur France Inter, youpi).

Il est clairement en recherche gourmande d’autres

  • horizons,
  • éventualités,
  • désirs et
  • devenirs.

 

 

Il y a quelque chose non pas de Tennessee, hé non, mais de poignant dans ce refus de la photocopie de soi-même exprimé par un gars qui n’a ni l’intention ni la moindre probabilité de se « changer en prince ou en roitelet ». Quasiment sans métatexte, il explore son passé d’artiste télévisé via une émission peu appréciée des ceusses qui savent ce qu’il faut apprécier. Via Pierre Dumarchey-Mac Orlan et Léo Ferré, il se remémore sa « belle enfance », jadis magnifiée notamment par l’extraordinaire Catherine Sauvage et ses pianistes phénoménaux. Se chercher un avenir n’exige pas de renier ce qui fut mais d’accepter d’écouter le barouf voire le remue-ménage que laisse aux hommes l’insaisissable « temps qui passe », un monument discret de l’œuvre duboisique. Se chercher un avenir, c’est creuser dans les chansons

  • intellectuellement plates comme l’encéphalogramme de Rachida Dati (mais moins horripilantes et plus efficaces que cette cumularde pensionnée car, elles, « on s’en souvient dès qu’on les entend ») ou auctoriales,
  • francophones ou italianophones ou anglophones couleur rose ou whatever, en fait,
  • de dériliction ou d’amour ébaubissant (« Splash »).

 

 

L’étonnement – au sens étymologique, peut-être – de l’assistance devant une telle palette s’exprime par des rires stupides d’autant qu’injustifiés musicalement, rappelant ceux qui accompagnaient le bouleversant « Femme piano lunettes » quand Barbara la disait sur la scène du Châtelet. La gêne d’une partie du public devant ce pas de côté artistique prouve que le chanteur frappe

  • juste,
  • précis,
  • fort.

Son inclination presque insolente pour

  • la mazurka,
  • l’inattendu,
  • les partitions où l’on « compte aussi voire surtout les temps où l’on ne touche pas terre »

résonne chez chaque spectateur d’une façon différente, sans doute, et c’est tellement bon signe dans un monde poussé à l’unanimité

  • soumise,
  • consensuelle et
  • métrique voire paramétrique.

Ici,

  • scottish biscornue ou danse à tomber,
  • Noël effrayant par sa proximité ou la possibilité de son absence,
  • propositions dissonantes puisque l’on arrive à rien tout seul et qu’il faut toujours quelqu’un pour t’en empêcher (telles ces chansons écolo ou non de Stéphane Cadé, un très proche de Jean Dubois, chansons avec lesquelles, ne fussent-elles pas incluses dans un éloge écolo des « mobilités douces » qui nous consterne par essence même si, nous, on fait que l’gasoil, nous n’avons jamais eu d’atome crochu, tant
    • les textes nous parlent peu,
      • poétiquement,
      • diégétiquement et
      • rythmiquement,
    • la prosodie paraît inadaptée – en témoigne l’alourdisseuhment des syllabeuh muetteuh en fin de vereuhs, et
    • la mélodie, des mots, des rimes comme des notes, nous émoustille autant qu’une risette de la pornographe Marlène Schiappa),
  • chansons formidables et espérées – parce qu’il faut bien contenter les duboisomaniaques dont est votre serviteur – sur
    • le manque,
    • Paris, ou
    • le moment de verbaliser le love,

tout contribue à dessiner un nouveau « p’tit pays, pas très loin derrière » où la chanson

  • se construit,
  • se déconstruit, donc
  • se reconstruit.

 

 

Ce 8 novembre 2024, Jean Dubois paraît nous avoir attiré moins au cabaret, lieu qu’il connaît sur le bout des paroles, que dans l’atelier de l’artiste.

  • À l’harmonica,
  • au piano,
  • à l’être,

il parvient à associer sans chantage

Au lieu de rester silencieux donc loin

  • de son activité,
  • de son identité et même
  • de son devoir d’artiste,

l’homme-scène cherche à emmener ses spectateurs dans un ailleurs artistique en cours d’invention et pourtant déjà multiple. Avec une délicatesse qui n’est jamais renoncement à la brutalité (sinon, comme on s’en ennuierait !), Jean Dubois sait

Le résultat est aussi audacieux que réussi. Par conséquent, tant que nous le pourrons, restant en amazone, nous continuerons d’avancer notre bouche et de croquer le talent

  • exceptionnellement singulier,
  • sincère et, selon la terminologie goldmannienne,
  • envolant,

de cet hurluberlu hors norme, convaincu que ce sera toujours un plaisir et pas que celui (nullement négligeable ou honteux) de la nostalgie.

 

 

Je passe sur la route comme un âne chargé…

Bertrand Ferrier en répétition à l’orgue du Val-de-Grâce, fin novembre 2019. Photo : Rozenn Douerin.

 

… dont rient les enfants et qui baisse la tête : c’est ce qu’écrivait jadis Francis Jammes.

  • Apprentissage de l’humilité,
  • introspection méditative,
  • aspiration parfois douloureuse à la transcendance

animent le poème mis en musique pour orgue, trompette et soprano, et propulsé pour la première fois le 1er décembre 2019 en la chapelle du Val-de-Grâce.

 

 

Irakly Avaliani joue Johann Sebastian Bach (L’art du toucher) – 3/4

Première du disque

 

Sans doute soucieux de diversité, puisque c’est dans l’unité du multiple qu’apparaît la patte d’un compositeur, Irakly Avaliani choisit, après les fantaisie et fugue BWV 903 puis le concerto dans le goût italien BWV 971, de nous proposer la Deuxième partita en ut mineur BWV 926, composée de six mouvements ici captés en une vingtaine de minutes (à titre de comparaison András Schiff évacuait le problème en à peine plus d’un quart d’heure).
La sinfonia s’ouvre sur un segment bigoût, à la fois grave et adagio. On en apprécie le mix’n’match entre

  • solennité,
  • silence, et
  • équilibre dosant percussivité, résonance pédalisée et silence.

 

 

L’andante de la symphonie surgit avec d’autant plus

  • d’élégance,
  • de fraîcheur et
  • de délicatesse.

La mélodie festonne sur une walking bass très jazzy.

  • L’art du chromatisme alla JSB,
  • la finesse des rares ornements,
  • le groove des questions-réponses et des contretemps

déploient une méditation hypnotisante qui se laisse soudain déborder par une embardée ternaire.

  • La légèreté,
  • la tonicité et
  • l’habileté de l’accentuation

font de cette troisième partie un moment roboratif dont la solidité digitale de l’interprète rend avec habileté la musicalité. À son tour, l’allemande frémit d’ambiguïté :

  • dansante, elle est cependant calée sur un deux temps inébranlable ;
  • établissant un dialogue aussi clair qu’efficace entre les deux pattes du pianiste, elle privilégie cependant le rôle prépondérant de la main droite en ramenant çà et là la main gauche à son rôle d’accompagnatrice ;
  • inexorable, elle s’offre cependant les sursauts qui, grâce à la science du phrasé d’Irkaly Avaliani, contribuent à son charme
    • (ornements,
    • triples croches de relance,
    • deux en deux sautillants…).

 

 

La courante ternaire sait être

  • prompte sans être brouillon,
  • énergique sans être vibrionnante,
  • cohérente sans être monolithique grâce, notamment, aux nuances choisies par le pianiste lors des reprises.

La sarabande, forcément ternaire elle aussi, prend le contrepied du mouvement qui la précède. Elle fusionne

  • un tempo posé avec un allant serti dans la plus convaincante régularité,
  • une rigueur métronomique avec une sensibilité qu’un toucher incroyable rend presque palpable, et
  • la clarté du discours avec le soin gracieux d’éviter tout surlignement explicitateur, pédagogisme pédant ou sous-titrage prenant les auditeurs pour des lapins d’une semaine et demie.

Le bref rondeau, toujours ternaire (après

  • trois blanches par mesure puis
  • trois noires par mesure, voici que la partition concentre
  • trois croches par mesure),

sait

  • bondir (les staccati !),
  • jaillir (l’impulsion donnée par les sauts de quinte !), et
  • rendre ravissants les détails grâce à la précision de l’exécution (la très fine différenciation entre la durée d’une croche détachée et le surgissement d’une double après un quart de soupir !).

 

 

Le capriccio final revient au battement binaire. Il concentre les points d’attraction goûtés lors des cinq épisodes antérieurs, notamment

  • les contradictions qui rendent vivant un contenu a priori engoncé dans des formes préétablies et sagement respectées
    • (solennité et grâce,
    • vigueur et légèreté,
    • immutabilité du tempo et sensualité des nuances),
  • la palette de touchers qui transforme un débit de notes en musique,
  • l’excellence du phrasé qui
    • éclaire le propos,
    • galbe une dynamique et
    • donne du souffle à cette épopée en doubles croches ininterrompues, ainsi que
  • le parfait étagement des intensités rendant la polyphonie à trois voix
    • foisonnante,
    • gourmande et cependant toujours
    • claire et distincte.

Une telle réussite, magnifiée par la prise de son nette mais point froide de Joël Perrot, réjouit d’autant plus qu’un dernier diptyque nous attend pour l’ultime notule, à venir, autour de ce disque jusqu’ici plus qu’impeccable : passionnant.

 

À suivre !


Pour écouter l’album en intégralité, c’est par exemple ici.

 

Guitarp duo joue de Falla, Debussy et Ravel (Solo musica) – 2/3

Première de couverture

 

Transition entre le premier cycle de de Falla et le suivant de Debussy, Homenaje du premier pour feu le second. C’est la seule pièce du disque jouée telle quelle, id est sans transcription. Habanera libre, la pièce exige que l’interprète, en sus de posséder une technique très pointue, sache aussi

  • s’appesantir,
  • sentir le juste moment pour poser notes et harmoniques octaviées, et
  • créer un swing funèbre d’une belle complexité entre
    • repères à la basse frottant contre agogique en général et changements de tempo en particulier,
    • inégalités,
    • arpèges,
    • triolets de croches ou de doubles,
    • quintolets voire sextolets de doubles,
    • ornements, appogiatures et accents, etc.

Maurizio Grandinetti déploie avec une grande poésie

  • la noirceur du morceau,
  • son harmonie saisissante et
  • sa brûlante brièveté sans cesse en ébullition intérieure.

 

 

Pour tuiler Manuel de Falla avec Claude Debussy, le Guitarp duo choisit de bousculer l’ordre d’Estampes afin de rester dans un rythme de habanera avec « La soirée dans Grenade ». Choix évidemment contestable, comme presque tout choix intéressant, mais qui témoigne d’un souci de penser le disque comme un récital cohérent et non comme un catalogue de possibles. À la harpe l’ambiance liminaire, à la guitare les harmonies hispanisantes. Si l’on se déprend de la délicieuse complexité pianistique originelle (enfin, « délicieuse » quand c’est pas toi qui joue, certes), on ne peut que saluer

  • les ruptures de tempo parfaitement senties,
  • les audaces harmoniques rendues avec grâce,
  • la richesse des registres convoquées sans faseyer, et
  • la belle capacité à traduire la ductilité du propos
    • (rubato,
    • agogique,
    • caractère,
    • tonalité).

Octaviation comprise, les complices veillent à rendre la complexité stimulante de cette pièce intermédiaire avec un à-propos jamais démenti.

 

 

Les estampes – mot que les auditeurs fantômatiques de Georges Brassens vénèrent, surtout avec des hanches quelque peu convexes – continuent donc par leur début, « Pagodes », en Si et sur un tempo « modérément animé ». Idéalement dessiné pour une harpe à laquelle se mêle une guitare tantôt harmonique, tantôt mélodique, le mouvement est rendu avec

  • la juste exigence rythmique, tantôt souple, tantôt précise,
  • le sens du dialogue stimulant, tantôt complémentaire, tantôt fusionnel, et
  • le mystère ad hoc, tantôt onirique, tantôt swingué par des accents saillants.

Derrière l’exotisme de pacotille que cet arrangement dissipe du reste quelque peu, la proposition du Guitarp duo se révèle

  • très intéressant,
  • techniquement en place et
  • musicalement fouillé.

 

 

Les « Jardins sous la pluie », passage indiqué « net et vif », convient également aux cordes grattées avec leur prédominance de simili arpèges qu’investissent avec aisance les deux complices séduisant par

  • leurs permutations judicieuses,
  • l’art d’habiter l’harmonie égrenée tout en faisant sonner le lead (donc les références aux deux chansons enfantines qui tiennent lieu de fil rouge et finissent par s’interpénétrer),
  • l’habileté à détricoter l’enchevêtrement rythmique pour mieux plonger l’auditeur dans cette trame, ainsi que
  • la faculté à rendre naturelles les brillantes modulations.

On ne peut que s’incliner devant

  • un choix d’œuvre malin,
  • une réinterprétation brillante et
  • une capacité à rendre poétique le complexe.

Du meilleur augure avant les trois Miroirs de Maurice Ravel qui s’annoncent…

 

À suivre !


Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.
Pour l’écouter sur YouTube, c’est .

 

Eragon en direct !

Illustration : Sidharth Chaturvedi. Illustration disponible sur amazon.com.

 

Eragon, c’est le livre qui a écrit beaucoup de ma vie. Parce que j’en ai traduit le premier tome, parce qu’il m’a ouvert mille portes et, finalement, fermé davantage. Dois-je le stipuler ? Sa nouvelle édition, illustrée par Sidharth Chaturvedi, me réjouit – et c’est pas si pire, je pense, de partager ici quelques réjouissances simples !

 

 

 

Et si un jour le flasque avait gagné le mur ?

Bertrand Ferrier et Emmanuelle Isenmann en l’église du Val-de-Grâce, le 1er décembre 2019. Photo : Rozenn Douerin.

 

C’est ce que l’on n’appelait pas, alors, une punchline, et pourtant… L’art poétique de Guillevic embrasait ses miniatures, entre

  • suspensions,
  • étincelles et
  • éboulements

du langage. Dans ces interstices, j’avais cru bon, jadis (si, en 2019, c’est jadis), de glisser quelques notes de musique que des amis poètes de la musique avaient accepté d’endosser à l’occasion d’un concert intitulé Douze regards sur la vie d’un croyant fomenté en l’église du Val-de-Grâce grâce, justement, aux encouragements de l’organiste titulaire du lieu, le sieur Hervé Désarbre. À l’occasion du second récital que j’ai donné en ces lieux sanitaires et militaires à la fois, j’ai retrouvé quelques archives de ces regards. Voici celle qui fixe le premier regard sur

  • la caresse,
  • l’absence et
  • les mains ou presque.

 

 

Irakly Avaliani joue Johann Sebastian Bach (L’art du toucher) – 2/4

Première du disque

 

Oui, ça fait mal de voir un artiste qui se fourre le doigt dans les œillesses, mais on l’a déjà dit alors on avance. Après la fantaisie chromatique et sa fugue (BWV 903, Irakly Avaliani poursuit son récital Bach avec le célèbre concerto « dans le goût italien » en Fa (BWV 971). Le premier mouvement est d’évidence et de tradition un moment vif, mais le compositeur s’est abstenu de toute explicitation tant, d’une part, le propos ne laisse aucun doute et, d’autre part, l’interprète doit être assez musicien pour déterminer le tempo juste dans sa vision de l’œuvre… même s’il est amusant de voir certaines versions arborer des indications fantaisistes comme « Allegro, noire à 104 ». Le mouvement-sans-indication-de-tempo est pris avec une faconde toute pianistique, fondée sur la distinction

  • d’intensités entre parties orchestrale et soliste (topos du « goût italien »),
  • d’articulations arbitrant les différentes
    • accentuations,
    • staccato et
    • legato, et
  • d’exposition du discours via le travail sur
    • le phrasé,
    • la respiration et
    • le rythme (contretemps, enjambement de mesure, densité des triples croches formant de quasi ornements, etc.).

On apprécie la clarté (je n’ai pas fini ma phrase)

  • des échanges polyphoniques,
  • de la narration et
  • des différents touchers,

ce qui n’est pas exclusif d’une pédalisation habilement conduite, au contraire : le texte étant retranscrit à la pointe-sèche, il s’habille avec goût du froufrou d’une résonance maîtrisée.

 

 

L’andante, ternaire et mineur, explore

  • la mutation de registres (médium versus graves),
  • le topisme associant l’accompagnement et la mélodie sublimement ornementée,
  • l’harmonie entendue et le ravissement du chromatisme.

L’art du toucher by Irakly Avaliani rend miraculeuse la fausse simplicité du mouvement, tant la virtuosité n’est jamais uniquement pyrotechnie.

  • La maîtrise des différentes nuances piano,
  • l’art de la pédalisation sur un texte prévu pour énonciation sur clavecin,
  • le contrôle du clavier (réglé par Jean-Michel Daudon), et
  • la science du sourd comme du prééminent, id est de l’étagement du son,

participent d’une science émouvante de la boîte aux dominos d’ivoire.

 

 

Le presto final revient en majeur. Dans le duo,

  • la tonicité se fait virtuosité,
  • l’accentuation éclairage,
  • l’art de nuancer narration.

La capacité de l’interprète à

  • aller de l’avant,
  • relancer,
  • donner du souffle,
  • étager les intensités,et
  • laisser résonner la percussivité pianistique

ressortissent d’une musicalité puissante que l’on a hâte de découvrir multiple dans la Seconde partita (BWV 826), objet de notre prochaine notule sur ce disque plus que stimulant.

 

À suivre !


Pour écouter l’album en intégralité, c’est par exemple ici.