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Fruits de la vigne – Saintayme 2013

Photo avec étiquette mutilée : Bertrand Ferrier.

 

Un peu comme les gewurztraminer, mais plus faciles à épeler, les saint-émilion et leurs sous-appellations employant le syntagme censément automatiquement déclencheur « grand cru » ont depuis longtemps délaissé la magie du vin au profit du miracle de l’étiquette. Difficile – c’est un euphémisme – de se repérer dans cette pagaille où les propositions médiocres côtoient les produits de luxe en décrivant, entre ces deux pôles, un large spectre de possibilités intermédiaires. Vedette des foires Lidl, un peu comme des baskets ou des voitures dûment brandées, l’appellation est souvent source de désillusion à la dégustation, à moins de réussir à se laisser hypnotiser jusque dans la luette par  l’illusion marketing ou le devoir social sur l’air du mais-fallait-pas. Par conséquent, la curiosité le dispute à l’excitation quand un flacon portant ce nom glorieux débaroule sur notre table. En termes binaires, le suspense consiste à deviner si le vin ressortira de la réussite ou de l’arnaque.
En dépit de son apocope pupute, le Saintayme laisse augurer d’un vin de qualité. C’est une marque sous laquelle feu Denis Durantou, multipropriétaire de domaines dans le coin, commercialise des raisins qu’il négocie avec un vigneron des alentours. Même avant qu’il ne soit laminé par un cancer dit « agressif » (il m’a rarement été narré des histoires de cancers tendres, mais bon), les commentaires laudatifs sur l’homme et sa maîtrise de la vigne étaient diablement légion. Attaquons donc positivement l’exploration d’un flacon prélevé dans le millésime 2013 et commercialisé contre 14 € aux Galeries Lafayette.
La robe déploie un joli tissu aux rouges sombres et multiples. On apprécie d’y deviner une densité de caractère qui n’est pas exclusive de reflets lumineux très aguicheurs.
Le nez, dont nous déclarerions avec pédanterie qu’il s’enorgueillit de notes de café et de sous-bois, et hop, associe trois qualités : il paraît

  • équilibré,
  • riche et
  • satisfaisant.

La bouche assume le paradoxe des bons monocépages merlot. On y devine une multiplicité de saveurs, mais l’on regrette de les deviner comme concassées, écrasées les unes par et sur les autres. L’absence de rondeur tend, selon nos papilles, à densifier plus qu’à conjuguer (et re-hop) les notes que nous croyons apercevoir – des notes

  • d’épice (cumin ?),
  • de résidu boisé et
  • d’agrume (orange ?).

Le mariage avec un steak taillé dans la poire rend justice au jus. On y goûte davantage

  • de fruité (ananas ?),
  • d’équilibre et, inattendu,
  • d’un relief qui reste de basse altitude mais introduit la troisième dimension dans l’à-plat jusqu’alors examiné.

En somme, un vin à tiroirs qui, sans ébaubir, témoigne d’un savoir-faire digne qui n’entourloupe point le chaland. Certes, la bouteille de saint-émilion est une mythologie quasi barthésienne. À ce titre, elle participe pleinement de la logique selon laquelle

 

on manipule toujours les objets (au sens le plus large) comme signes qui vous distinguent soit en vous affiliant à votre propre groupe pris comme référence idéale, soit en vous démarquant de votre groupe par référence à un groupe de statut supérieur
(Jean Baudrillard, La Société de consommation.Ses mythes, ses structures [1970], Gallimard, « Folio » [1986], 2002, p. 79).

 

Les saint-émilion sont de ces objets. Leur diversité ajoute à leur saveur… ou à notre plaisir d’être déçu en bien !

 

Enjott Schneider, « Bridges to infinity » (Solo musica) – 3/3

Première du disque

 

Ambitieuse, la huitième symphonie d’Enjott Schneider, intitulée « La cloche – Pont vers l’infini », l’est par sa durée (45′) et son instrumentarium (orchestre, chœur, soliste). Inspirée par un livre évoquant l’histoire de la cloche, elle est ponctuée par quatre poèmes bêtement non traduits ne serait-ce qu’en anglais, alors qu’il y avait typographiquement largement la place. Quelle faute du label ! Quand le compositeur est capable de produire un disque aussi ample, ne pas lui suggérer de traduire les textes de sa symphonie paraît aussi intelligent que de parler de démocratie en évoquant la nomination de Michel Barnier à Matignon ou de musique en parlant d’Aya Nakamura. Devant ce faux pas éditorial, nous renonçons à traduire ligne à ligne grâce à quelque moteur de recherche ce que nous entendrons ; aussi négligerons-nous  le sens des mots pour nous concentrer sur l’agencement des notes. Ce sera le même tarif pour les mouvements dont les titres sont réservés aux germanophones, ce qui adresse pas mal de mélomanes, certes, mais exclut davantage encore de curieux.
Pour le dire tout rond : franchement, c’est concon.
« Urklang us dem Reich des Morgens » est le premier et le plus long des six mouvements (plus de 10’40). Commençant dans les limbes de percussions sifflantes, sur une pédale de cordes qu’ornementent les bois, il associe

  • accents,
  • souffles et
  • irisations

aux sonorités sinisantes qu’un chœur cristallise dans des glissendi fortissimi s’inspirant d’un poème de Zhang Ji pour lequel la soprano Julia Sophie Wagner ne va point tarder à les rejoindre.

  • Suspensions,
  • pointillés de la harpe,
  • tenues vocales et instrumentales,
  • exotisme des intervalles et des tuilages entre les notes

distillent une vision de la musique chinoise à l’occidentale à la fois

  • efficace,
  • évocatrice et, il faut bien l’admettre,
  • convenue donc proche d’un exercice de style qui peine à nous saisir.

La jolie énigmaticité de la fin du mouvement, plus personnelle, ne nous permet pas de revenir entièrement sur nos préventions, alors même que le projet du compositeur est clair : explorer l’imaginaire de la cloche à travers plusieurs aires culturelles (en avoir conscience n’empêche pas le froncement de sourcils, hélas). « Duft der Glöcken-Karawanen, Tanz und Rosen » nous embarquera-t-elle davantage dans la geste schneiderienne ? Elle s’inscrit cette fois dans une esthétique arabisante. En dépit de l’aspect disneyique de la chose, l’on doit saluer

  • la richesse,
  • l’habileté et
  • la réussite

de l’orchestration. Gabriel Venzago veille à rendre claire une métrique à la fois stable et rebelle. Techniquement, on ne peut qu’applaudir la veine très américaine qui surgit soudain :

  • percussions nettes,
  • profondeur des graves,
  • explosion itérative des cuivres

rappellent le savoir-faire cinématographique d’Enjott Schneider, et cette remarque n’est évidemment pas une dépréciation snob. En termes musicologiques d’expert, on aurait même ajouté : « C’est vachement hyperbien fait », mais il ne s’agit pas de perdre notre lectorat avec un idiolecte aussi pointu qu’un turlututu. Attentive, la Bodensee Philharmonie

  • contraste,
  • nuance et
  • suspend

pour préparer l’entrée de la soprano chantant le poème de Dschalaluddin Rumi dans sa version allemande de Friedrich Rückert. Le projet se transforme soudain en lied straussien, dévoilant un autre versant de l’artisanat brillant du compositeur, capable de se couler dans moult moules… même si la doublure de la soprano par les cors rabat le résultat davantage vers d’habiles topoï cinématographiques que vers une écriture personnelle.
Le troisième mouvement, « Klang der Götter – Schrecken der Dämonen » est le plus bref.

  • Percussions toniques,
  • cordes graves,
  • cuivres inquiétants et
  • contretemps déséquilibrants

lancent une cavalcade menaçante que le ternaire rend sporadiquement encore plus énergique.

  • Dominante assumée,
  • changements de couleurs,
  • tintements de cloches tubulaires,
  • ruptures dramatisantes

esquissent un intermède qui n’a pas besoin d’images vidéo pour stimuler l’imaginaire des auditeurs.

 

 

Le quatrième mouvement s’intitule « The Bells – Eine Hommage an William Byrd (1540-1623) » et est constitué d’une sage orchestration de l’original pour clavecin. On y retrouve le métier du compositeur à défaut de se goberger d’une créativité que l’on redoute

  • gainée,
  • calcifiée voire
  • étrangement calcinée

par

  • la maîtrise théorique et pratique de l’orchestration,
  • la connaissance des astuces catchy et
  • le souci de profiter au mieux des différents pupitres d’un orchestre attentif.

Une fois de plus, ce patchwork de sonorités propres à chaque mouvement est la particularité de cette symphonie. Partant, d’autres auditeurs s’ébaubiront devant les métamorphoses orchestrales que réussit Enjott Schneider. Ils auront amplement raison et, cependant, devant une telle maestria, nous ne pouvons nous empêcher de regretter que la virtuosité technique nous paraisse l’emporter sur la singularité de l’écriture. À nos esgourdes, tout se passe comme si, parce qu’il sait si bien écrire, le compositeur oubliait d’écrire sa musique… et cela nous frustre car, à coup sûr, il saurait parfaitement l’écrire, ainsi que l’ont montré maints passages des deux concerti proposés en brillante ouverture de programme.
Le cinquième mouvement, « Sehnsucht – Gedicht von Otto Julius Bierbaum (1856-1910) ». L’introduction dramatique des cordes graves teinte de gravité le désir vu par ledit Otto Julius, un écrivain qui, avant Enjott Schneider, a aussi été musiqué par Strauss, excusez du peu. On sent la belle vision opératique du compositeur qui introduit la voix par des deux en deux inspirants. Le chœur

  • fait écho,
  • dialogue, et
  • habille par son silence le propos de la soliste.

Si la puissance grave de l’orchestre, rythmée par les cloches, frise parfois l’excès de stabylotage, il faut s’incliner devant

  • l’expressivité de l’orchestrateur,
  • la richesse de l’utilisation du chœur dans ses différents registres,
  • la justesse de Julia Sophie Wagner,
  • l’efficacité de la direction donc de l’orchestre (dont la harpe et la clarinette basse, très importantes !),
  • et la cohérence de l’atmosphère ainsi créée.

Le dernier mouvement, « « Finale : dona nobis pacem », inclut un poème de Friedrich Schiller.

  • Coup de timbale,
  • glissendo de cuivre,
  • grands accents des cordes portés par les cloches et
  • insertion d’un rythme trépidant

augurent d’un moment palpitant. Enjott Schneider excelle dans l’installation d’une atmosphère qu’il modifie ensuite avec un talent qui force l’admiration, façon dessin animé d’antan légèrement pimpé d’incongruités catchy

  • (harmonie surprenante,
  • grincement inattendu,
  • entrée du chœur pour le « Dona nobis pacem » d’où émerge Julia Sophie Wagner en duo avec les cloches).

Dans cette symphonie composite, les mutations d’atmosphère ne manquent jamais de cachet. Certes, le combo fortissimi de l’orchestre puis rétractation pour l’arrivée du chant finit par ne plus surprendre ; reste que séduisent notamment

  • la maîtrise des transitions,
  • la qualité de chaque caractérisation,
  • l’art du dialogue entre orchestre et soprano qui porte le poème de Friedrich Schiller, ainsi que
  • l’investissement de la cantatrice (piani sur les notes suraiguës de « schwebt »).

Le finale du finale confirme le choix d’une forme en arche (retour du « Dona nobis pacem »), qui se termine par un piano du chœur avec clarinette et l’inévitable crescendo montant au tutti jusqu’aux deux coups de timbale conclusifs. De sorte que, s’il est parfois difficile de distinguer la voix personnelle d’Enjott Schneider derrière les conventions d’une écriture spectaculaire très balisée, l’écoute de cette partition monumentale est néanmoins enflammée par

  • l’artisanat du compositeur,
  • l’art du musicien et
  • l’ambition de la réalisation.

Dans un monde artistique qui joue souvent petits bras, voilà un pavé dans la mare du fatalisme gnangnan, pavé sous lequel apparaît une plage

  • de volonté,
  • de désir et
  • d’envie

de partager les joies de la musique bien troussée où l’auditeur ne peut qu’avoir plaisir à se prélasser !

 

Cavalcade mémorielle

La collégiale Saint-Martin de Montmorency par temps gris. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Pour rendre hommage à feu Yannick Daguerre, lors du concert du 27 septembre en la collégiale Saint-Martin de Montmorency dont le zozo fut titulaire, toute escarbille était bonne, du répertoire

  • joué,
  • composé ou
  • enseigné par le maître

aux pièces qu’il n’aurait pas dédaignées, en passant par des improvisations ciblées, inspirées par des mélodies de son invention ou aimantées par son nom. C’était le cas de cette cavalcade traduisant YANNICK DAGUERRE en fonction de l’alphabet musical (A = la, B =si, C = ut, etc.) puis tournoyant autour du résultat à toute vitesse, comme l’hurluberlu aimait vivre. Cette aspiration musicale a donné ce qui suit.

 

 

Etsuko Hirose, « Schéhérazade » (Danacord) – 2/3

Première de couverture

 

La première partie de cet « arrangement de Schéhérazade » était de toute beauté (suivez-moi pour plus de concision). La seconde commence avec « Le jeune prince et la jeune princesse », manière de barcarolle floquée « andantino quasi allegretto », dont la pianiste rend l’ambiguïté très borodinienne. En effet,

  • l’agogique contenue,
  • la fantaisie créative et
  • la liberté précieuse, notamment des respirations,

dialoguent fructueusement avec la rigueur métrique.

 

 

  • L’astuce des modulations,
  • le plaisir des récurrences et
  • la capacité à faire fructifier le sarment a priori sec d’un motif finalement digne d’un figuier biblique à l’approche de l’été

alimentent l’intérêt jusqu’au surgissement du « piochissimo più mosso » en Si bémol. C’est alors que, en dépit de la matité de la prise de son signée Bertrand Cazé, précise mais trop rigoureuse à notre goût car moins spectaculaire (bah, sur une symphonie à programme, un peu de spectacle, ça nous irait bien !) que dignement scrupuleuse, ébaubissent

  • tonicité des notes répétées,
  • virtuosité paisible des triolets de doubles,
  • netteté de la narration,
  • richesse de l’arrangement,
  • variété des touchers et précision des phrasés

On se laisse volontiers séduire, au sens serpentin du terme, par

  • les ruptures de caractère, à la fois significatives et non disruptives,
  • l’art d’associer discontinuité et persistance du même projet narratif
    • (récurrences de motifs,
    • itérations de structures,
    • réinvestissement de thèmes structurant l’ensemble de l’œuvre) et
  • la volonté diégétique d’Etsuko Hirose (elle raconte une histoire à la fois cohérente et multiple puisque c’est une série !).

Et cependant, ces charmes ne sont qu’une partie de l’arsenal déployé pour nous embobiner comme le tueur par son ex-vierge Schéhérazade. De fait, l’artiste ne convainc pas moins par

  • la souplesse de son geste dans le 6/8,
  • son envie de bariolage qui tranche avec la traditionnelle transcription de Paul Gilson ou
  • sa capacité à associer
    • rigueur,
    • ductilité et
    • équilibre orchestral des voix.

Bref, ce troisième épisode de l’arrangement hirosique  est une proposition captivante.

 

 

Reste la triple péroraison du quatrième mouvement :

  • la fête à Bagdad,
  • la mer et
  • le naufrage du vaisseau sur un guerrier d’airain.

On reste en 6/8 pour cet ultime épisode qui sombre rapidement dans la frénésie avant de mixer les mesures et de revenir au 6/8… version vivo. L’interprète-arrangeuse veille à profiter

  • de l’éruptivité d’un piano DeLuxe préparé par Philippe Destouesse,
  • de sa capacité à faire rebondir les nuances les unes contre les autres, et
  • de son art de transcriptrice visant à imaginer des variations de registres parlantes.

Elle

  • marque les breaks,
  • s’embarque avec grâce dans les foucades modulantes,
  • dégaine une habileté délicieuse à mêler binaire et ternaire, et
  • se goberge de la fougue orientalisante qui mène la danse.

Sans se laisser embarquer par les ruptures rythmiques associant 2/8 et 6/16, elle trace une route qui préfère

  • le précis à l’éruptif,
  • le dynamique au volcanique, et
  • le multiple à l’univoque.

À la virtuosité digitale répondent

  • l’énergie des poignets,
  • le tempérament musical qui rechigne à l’extraversion, et
  • le sens de la ligne musicale qui, en dépit d’une acoustique décidément trop sèche à notre goût, ne renie pas la jouissance d’un clavier puissant et multiple.

Jointoyant son programme et la logique de la progression dramatique, Nikolaï Rimsky-Korsakov prépare son finale en glissant, après ce passage brillantissime, d’intenses moments « più tranquillo » puis des réminiscences énoncées lento. Ce choix de terminer par un moment à la fois « molto dolce » et tremblant parachève

  • la grandeur de la pièce,
  • la réussite de la transcription et
  • la beauté de la pianisation de la suite.

Le résultat, très impressionnant dans les passages brillants comme dans les moments plus intériorisés, inspire respect et brava… et prélude joliment avant l’excellente idée qui, avec originalité, conclut le disque et fera l’objet d’une prochaine notule !

 

À suivre…


Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.
Pour écouter le disque gracieusement, c’est par exemple .
Pour voir l’artiste jouer Schéhérazade (et pas que) à Paris, c’est le 25 janvier 2025 à l’Espace Bernanos (réservations ici).

 

Fruits de la vigne – Il fait soif 2021

Photo : Bertrand Ferrier

 

À ce qui se fredonne, derrière chez moi, y a-t-un étang, où le fils du roi s’en va chassant. Derrière les vignes de Michèle Aubery Laurent, y a-t-un viticulteur qui, depuis 18 ans, fournit après vendange une partie de ses raisins à Maxime-François Laurent, le fils de la vigneronne, négociant qui revendique de travailler à partir d’un vignoble « cultivé sans chimie, dans le respect du vivant », avec néanmoins un sulfitage post-fermentation réputé indispensable. Parmi ses créations markettées avec soin, une bouteille d’« Il fait soif » 2021 se retrouve sur notre table. Issu de jeunes vignes, le jus associe 70 % de grenache à 20 % de syrah et 10 % de cinsault (même si certains sites l’annoncent uniquement grenache en monocépage).
Sa robe est encore

  • plus compacte que dense,
  • plus sombre que sanguine, mais également
  • davantage parcourue d’éclats de morelles que confite dans une obscurité rabat-joie.

Son nez se mérite. Il tire de cette discrétion

  • une légèreté agréablement frivole,
  • une oscillation de possibles (cassis ? groseille ? quelles épices ?) joyeusement mystérieuse, et
  • une tendance plutôt conviviale dont émerge curieusement une idée de sucré – laquelle, évoquant une saveur, ne ressortit pourtant de l’olfactif que par association.

Côté bouche, d’inquiétants signes d’astringence et des pétillements font froncer les sourcils dans une première approche. C’est sans doute signe que la bouteille, même si elle aspire explicitement au statut de « vin de convivialité » plus qu’au statut de grand cru, eût dû être ouverte plus tôt. Petit à petit, ses qualités se dévoilent.

  • On retrouve la légèreté du nez, avec des notes épicées, entre cannelle et poivre, qui arrivent a posteriori dans le pif ;
  • on salue le concentré de fruits rouges moins compotés que densifiés à maturité ; et
  • l’on apprécie cette étrange petite note d’agrume qui, à bien y goûter, paraît pointer le bout de sa surprise sur le bout de la langue.

Le mariage avec une pizza tomatée est une bonne surprise car le plat léger fait ressortir une douce amertume qui pimpe joliment le breuvage. Son prix de 16 € constaté aux Galeries Lafayette de Paris et sur des boutiques digitales peut paraître un chouïa surcoté – preuve que, avec constance,

 

nous nous heurtons à ce qui est.
Nous appelons cela connaître.
Nous allons à nos fins sans savoir avec zèle.
Nous appelons notre folie savoir.
Nous pensons en cela échapper.
(Jean-Paul Michel, « Nos ennemis dessinent notre visage » [1997-1998], in : Défends-toi, Beauté violente…, Gallimard, « Poésie », 2019, p. 311)

 

Mais à quoi peut-on échapper quand il fait soif ?

 

Enjott Schneider, « Bridges to infinity » (Solo musica) – 2/3

Première du disque

 

Après un concerto pour violon, voici Harmonies fatales de la noire douceur, un concerto pour alto. Enfin, à l’origine, c’était un concerto pour violoncelle et orchestre à cordes, mais il est ici confié à l’archet de l’altiste Alexia Eichhorn. Son inspiration est liée à un madrigal de Carlo Gesulado, d’abord meurtrier en pleine conscience, d’autant qu’il ne risquait rien pénalement, puis, après qu’il a refait sa vie et trouvé une nouvelle esclave sexuelle (c’est ça, une seconde épouse), compositeur qui se flagellait un peu trop pour vivre très longtemps – suivez-moi pour plus de biographies condensées.
Articulée en six mouvements dont un dernier deux à quatre fois plus long que ses prédécesseurs, l’œuvre s’ouvre sur un « Prologo – armonie mortali ». Habillé par le tremblement aigu des violons, bientôt enténébré par violoncelles et contrebasses, l’alto semble exprimer avec ses acolytes

  • les grandeurs et bassesses de l’âme humaine,
  • la fluctuation des aspirations et inspirations, ainsi que
  • la présence du drame au sein même de l’harmonieux, non comme un excipient ou un additif mais comme un élément consubstantiel de l’harmonie.

Dialoguent

  • nappes orchestrales,
  • soli de l’alto et
  • ensemble associant soliste et accompagnateurs.

Le compositeur profite de cette variété en tirant le mystère de la discontinuité du matériau musical pour installer discrètement la cellule Ut # | la | Si | Sol, motif récurrent de son concerto. S’avance alors une « cantilena – la belezza di Maria d’Avalos », portant le nom de la femme qu’a massacrée Carlo Gesualdo (avec l’aide de ses hommes de main : les hommes dits d’honneur sont souvent de pendables couards finis…) un soir où elle partageait sa couche et sans doute pas que sa couche avec un autre homme. Le thrène se poursuit, avec

  • tenues pesantes,
  • ligne brisée du soliste et
  • multiples contrastes
    • (de caractères,
    • de hauteurs,
    • d’intenstés et
    • de couleurs).

« Ballo mortale (I) » signe le début de l’exécution à grands renforts de pizzicati, de claquements de cordes, de percussivité sèche auxquels s’opposent les interventions parfois détrempées de l’alto.

  • La récurrence de motifs déjà ouïs,
  • l’insertion de nouveaux matériaux (ainsi des tenues suraiguës des violons orchestraux) et
  • le mélange des techniques expressives que troue des silences presque oppressants

participent d’une partition sinon programmatique, du moins ouvertement narrative… bien que le mouvement suivant, un « ricercare », ne revendique pas explicitement la part descriptive dévolue aux autres titres.

  • Unisson orchestral,
  • écho du soliste sur tapis de cordes,
  • refus de l’univocité

réinvestissent le concept de « ricercare » qui, jadis, ressortissait d’un fugato en plusieurs mouvements. Ici, la recherche fouille moins une mélodie ou un enchaînement de hauteurs traité de façon polyphonique qu’une tonalité dramatique où

  • la surprise,
  • le jaillissement et
  • l’intriguant
    • (notes répétées,
    • brusques embardées,
    • suspensions)

ont leur part, comme s’il s’agissait de s’interroger sur les méandres heureusement insaisissables de la psyché, qui plus est quand il s’agit d’évoquer un musicien tueur sur lequel les éléments biographiques sont moins fiables que faibles.

 

 

« Ballo mortale » (II) envoie en première ligne l’alto soliste zébrer l’espace sonore d’un zigzag déstructuré auquel répondent les percussions de la première balle mortelle.

  • Des échos désordonnés,
  • des emportements dégingandés,
  • des transmutations de motifs dansants

enveloppent les pistes esquissées par un instrument soliste plus déséquilibré qu’explosif. L’imposante « passaglia della morte – morire d’asfissia su un’altalena » commence par

  • des tenues funèbres,
  • des fusées descendantes et
  • des pizzicati explosifs claqués par Alexia Eichhorn.

S’y ajoutent

  • des glissendi,
  • des ruptures, et
  • des éclats de vivacité

habillant les quatre accords obsédants autour desquels tourne la passacaille.

  • Des accents puissants,
  • des pépiements têtus,
  • des silences synchronisés et
  • des nappes évocatrices

animent tour à tour ou simultanément le récit. Entre

  • éruptions spasmodiques,
  • contemplation hébétée et
  • déploration fataliste,

la fin du mouvement est de toute beauté – augurant du meilleur pour la symphonie de trois quarts-d’heure que nous raconterons prochainement dans cette colonne.

 

À suivre !

 

Une trompette cool

Au Val-de-Grâce (Paris 5), le 3 novembre 2024, en compagnie de Pierre-Marie Bonafos,. Photo : Rozenn Douerin.

 

Et si, « à la finale », ainsi que s’expriment les paltoquets voulant avoir l’air cool, le saxophone était une trompette en plus cool ? C’est l’une des questions fondamentales pour l’humanité – au moins – que posait Une histoire du cool, le récital proposé le 3 novembre 2024 en la chapelle du Val-de-Grâce (Paris 5) par Pierre-Marie Bonafos, l’homme-au-bonnet, et votre serviteur.
Pour une raison simple : le concert se décapsulait sur les Pièces pour trompette et orgue de Jean Langlais. Les curieux qui n’auraient pas encore médité sur la coolitude comparée du saxophone et de la trompette peuvent désormais alimenter leur débat intérieur avec cette pièce très cool placée par Jean Langlais au début de son cycle.

 

 

Etsuko Hirose, « Schéhérazade » (Danacord) – 1/3

Première de couverture

 

Que nul ne soupire en apercevant la première de couverture terriblement kitschissime, même si le résultat fait saigner des orbites. Et encore ! L’image que nous avons reproduite, proposée par RDM sur une page où il se peut acheter le disque, ne rend pas compte du rendu réel, violet et non bleu (c’est peut-être pire : voir les vidéos infra…), mais donne une idée des dégâts… Cette première, d’un mauvais goût, disons, rocambolesque, ne rend nullement raison

  • du talent de l’interprète,
  • de l’originalité de la musicienne et
  • de l’ambition euphorisante de l’artiste

dont témoigne Etsuko Hirose dans ce disque qui fait suite à son récital Moszkowski chez le même label – un album que, grâce à notre science musicologique, nous avions sans pitié taxé de « super » (plus de détails ici). Comme je détiens moi-même le record de la première de couverture la plus moche pour un roman, le ratage graphique de ce disque m’inspire plus de compassion que de hauts-le-cœur ! Et puis, ce qui compte, ça reste la musique, en l’espèce : Schéhérazade, la « suite symphonique » en quatre mouvements de Nikolaï Rimsky-Korsakov.
Le programme de l’œuvre s’appuie sur un éloge du teasing et fait du conte un substitut de la virginité puisque, après avoir défloré ses épouses, le sultan les tuait au matin suivant, ce qui a poussé Schéhérazade à lui raconter une histoire sans fin : l’infini gagne toujours contre l’éphémère, comme le rappelle la mort en se moquant de la vie. La version Hirose, captée et produite par Bertrand Cazé sur un Bechstein D préparé par Philippe Destouesse, est ici présentée dans un « arrangement », non une transcription, de l’interprète. On suppose que c’est par modestie en général et par déférence envers le compositeur en particulier que la musicienne a choisi spécialement ce vocable.

 

 

Le premier mouvement, « la mer et le bateau de Sindbad », s’avance, savante, avec

  • la solennité,
  • la gravité et
  • la retenue

que le prélude largo puis lento exige. L’allegro non troppo passe au ternaire et au majeur, avec un chromatisme profond dont Richard Wagner se souviendra. Etsuko Hirose

  • cisèle ses trilles,
  • affine ses nuances et
  • ne lésine pas sur une pédalisation qui laisse imaginer l’orchestre derrière la réduction mono-instrumentale.

Son investissement de la partition, multipliant les intentions sans surcharger le rendu, lui permet de donner du souffle à cet incipit en créant des couleurs pour habiller de nombreuses façons le swing obstiné de la main gauche – en témoigne la modulation en Ut, dont l’aspect « tranquillo » puis « dolce » saisit.

  • La caractérisation des registres,
  • l’étalonnage des différentes voix,
  • les astuces de transcription (ainsi de l’octaviation de la clarinette pour répondre au violon solo) et
  • la polymorphie du toucher (çà doux, là tonique, ailleurs mélangeant les façons)

précipitent l’auditeur dans une histoire modulante qu’il peinerait à couper avant le finale. Si la prise de son privilégie la netteté à l’onirisme, pour un résultat moins poétique que précis (oui, je sais, ça dit deux fois la même chose mais, sur le moment, je trouvais ce chiasme indispensable à la compréhension de mon propos, c’est pourquoi je ne l’ai pas détruit), l’interprète, elle, sait « mettre le ton » dans sa narration. On est emporté sur son vaisseau par le sac et le ressac de la mer où elle conduit notre barque, mer qui s’anime grâce, notamment,

  • aux fluctuations d’intensité brusques ou progressives,
  • au plaisir du brio et à la gourmandise de la suspension,
  • au respect du texte et à l’inventivité de l’arrangement visant à davantage d’efficience diégétique.

 

 

Le deuxième mouvement, « l’histoire du prince Kalendar », en si mineur, s’ouvre sur un prélude binaire et lento reprenant le motif principal avant de céder la place à l’andantino ternaire où le chant doit être doux et expressif, et l’esprit « capricieux », proche de la liberté d’un récitatif. Le nouveau thème apparaît au médium sur une pédale grave qui pose un vrai problème au piano solo, la longueur de la tenue entraînant sa disparition prématurée, d’autant que la pédale de sustain, qui permet de prolonger les sons, ne peut être laissée tout le temps où l’accord est censé résonner, car elle noierait le thème dans un gloubiboulga peu rimski-korsakovien. Etsuko Hirose travaille donc les atouts pianistiques offerts par

  • les appogiatures bondissantes,
  • la nette différenciation des attaques,
  • la densité des arpèges et
  • la souplesse des foucades rythmiques plus simples à coordonner sur un clavier qu’entre des dizaines d’intervenants.

Le tempo più mosso permet

  • d’écouter bondir les staccati,
  • de se goberger des différents registres, et
  • de se réjouir des soubresauts de tempo et de caractère.

L’allegro molto et son mystère liminaire sont rendus avec l’inquiétante assurance qui sied.

  • Trompettes et trombones se défient sous les doigts de l’interprète ;
  • l’octaviation singularise l’entrée des bois qui précipite l’arrivée du moderato assai suspensif ;
  • la virtuosité digitale éclate au retour des mouvements à la fois vifs et rythmiques.

La pianiste déploie

  • un sens remarquable de la narration,
  • une excellence notable dans l’art de la mutation,
  • un goût affirmé pour la dimension orchestrale du piano

    • (ensembles,
    • polyphonie,
    • dialogues), et
  • une poésie crépitante que déplient
    • nuances,
    • pédalisation et
    • caméléonisation, et hop, d’un piano qui, malgré la sonorité pas toujours magnifique de l’instrument, saisit l’auditeur et lui échappe encore et encore.

Le diable de clavier ne cesse de changer de forme et de caractéristiques à chaque nouveau segment d’une partition qui, habilement, développe peu ses thèmes, préférant

  • les varier,
  • les confronter,
  • les déformer, voire
  • les concaténer.

Cela profite à un arrangement décidément astucieux

  • (choix de hauteurs,
  • notes répétées plutôt que bariolage à l’octave déjà très utilisé,
  • petite pirouette finale, etc.).

De quoi avoir hâte que, une prochaine nuit ou une prochaine notule, Schéhérazade nous donne de boire une autre chère rasade de ce vin capiteux !

 

À suivre…


Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.
Pour écouter le disque gracieusement, c’est par exemple .
Pour voir l’artiste jouer Schéhérazade (et pas que) à Paris, c’est le 25 janvier 2025 à l’Espace Bernanos (réservations ici).

 

Un premier verset à double sens

Collégiale Saint-Martin de Montmorency. Photo : Bertrand Ferrier.

 

La musique dite savante se dissimule derrière quoi ?

  • Des codes,
  • des mathématiques,
  • des usages.

Elle semble avoir bien raison de se protéger ainsi tant que ces gnagnagnas n’obèrent pas la part émotionnelle que ces machins permettent. En témoigne la pièce claquée par Mathieu Lours le 27 septembre 2024 en hommage à Yannick Daguerre. Lequel Yannick Daguerre avait claqué la susdite pièce à l’occasion du mariage de Mathieu. Autrement dit, la vie et la mort incluses résonnaient tantôt en la collégiale de Montmorency, avec

  • l’énergie,
  • l’exigence et
  • l’émotion requises.

Pour preuve ou presque de ce beau médius préalablement humecté et tendu bien haut devant la mort, la vidéo infra.

 

 

Enjott Schneider, « Bridges to infinity » (Solo musica) – 1/3

Première du disque

 

Peut-être reportée au 21 février 2025, selon certains sites, fixée à l’automne 2024 selon la cyberfaçade du compositeur (en allemand uniquement), le nouveau disque d’Enjott Schneider, produit par le compositeur, n’en intrigue pas moins par son ambition : trois œuvres orchestrales (deux concerti et une symphonie de quelque trois-quarts d’heure), dont l’une intègre un chœur, se répartissant 81′ de musique, cela témoigne d’une ambition certaine – même si l’on regrette, que, une fois de plus, seuls les acheteurs anglophones et germanophones puissent profiter du livret – pour celui qui affiche à son compteur

  • dix opéras,
  • moult musiques pour le cinéma,
  • une prédilection pour l’oratorio,
  • seize symphonies avec orgue (!) et
  • un goût pour l’éclectisme stylistique associant époques et espaces.

La première œuvre à tourner sur notre platine, captée par Karsten Zimmermann et Johannes Philipp Müller, est un concerto pour violon. Le soliste est ici accompagné par un orchestre de chambre philharmonique incluant quatre percussionnistes (on en découvrira infra une version très différente, tant sur le contenu musical que sur l’instrumentarium, mais qui présente des similarités évidentes dans la construction et l’imaginaire avec le concerto pour violon), commandé pour le cinquantième anniversaire de la mort de Pablo Casals et donc partiellement inspiré par son encore favori, « El cant des ocells » (le chant des oiseaux).

 

 

Son titre associe

  • les oiseaux,
  • la sagesse et
  • la magie,

et sa construction articule cinq mouvements. Le premier, « Naissance de l’univers depuis une spirale et un œuf d’oiseau », plonge dans

  • les abysses d’un big bang alchimique,
  • la fragmentation du discours,
  • l’évocation ornithologique d’un oiseau affolé ainsi que
  • le travail sur les limites donc les grandeurs de la ligne mélodique défiée notamment par
    • la percussion des archets,
    • la mutation de registres,
    • la friction des différents pupitres,
    • l’aspiration sporadique vers le silence,
    • l’écrasement harmonique offert par l’unisson et
    • la confrontation des modes où les écarts arabisants ont toute leur place.

Partition de l’évocation sciemment énigmatique, ce que laissait subodorer le titre mystérieux du mouvement, ce concerto pour violon s’engage sur un langage onirique plus riche que complexe. On y goûte par exemple

  • l’écho entre les différentes familles d’instruments (cordes versus bois),
  • le recours à différentes percussions instrumentales
    • (bruitisme des archets tressautants ou des flûtes réduites au souffle et au cliquetis des clefs,
    • claquements des cordes graves,
    • synchronisation très accentuée des accords rassembleurs),
  • le recours abondant au mix’n’match
    • d’échos,
    • de styles,
    • d’intensités, donc
  • le dialogue entre fragmentation du discours et fusions éphémères.

Le second mouvement s’intitule « Corbeau et corneille – La noirceur nigredo » (le nigredo étant le premier moment dans la création de la pierre philosophale, celui de la calcination). Une séquence rythmique coordonne

  • pulsations,
  • contretemps et
  • cycles moins dansants que vigoureux du violon soliste.

Le développement de cette cellule, loin d’être uniforme, secoue l’auditeur qui, par-delà les séquences où grognent, imperturbables, les cordes les plus graves, se retrouve projeté dans un espace sonore contradictoire, marqué par l’oscillation entre

  • la pulsion vers la trépidance,
  • l’attraction pour la méditation profonde et
  • l’attrait pour
    • le surgissement,
    • le jaillissement et
    • l’explosivité rebondissante.

Enjott Schneider se fait un plaisir d’alterner

  • les couleurs et les techniques,
  • les ingrédients orchestraux et les codes musicaux,
  • les passages évidents – presque apprentisorciéiques – et une construction qui retient l’attention par ses aspects
    • labyrinthiques,
    • lacunaires et
    • morcelés.

La référence alchimique embrase aussi le troisième mouvement, intitulé « Le cygne – Le blanc albédo », l’albédo (que symbolise le cygne) étant la phase postérieure au nigredo, acoquinant la distillation chimique et la libération de l’âme. Il s’ouvre par une envolée lyrique du violon qui, sur un tapis de cordes tressé pour l’occasion, se perd dans des pépiements suraigus. Le retour de l’âme autour du corps souligne que la libération n’est pas encore parfaite.

  • Tantôt, cette redescente est marquée par le rythme brièvement impulsé par les woodblocks ;
  • tantôt, elle s’enivre d’une intervention flûtée imitant un chant d’un oiseau plus pépiant que le cygne ;
  • tantôt, elle s’abreuve aux multiples facettes de la harpe, entre glissendi rêveurs et intervalles légers ponctuant le discours.

 

 

Enjott Schneider tâche de profiter au mieux de l’ensemble à sa disposition, y compris des percussions qu’il a convoquées pour ce premier enregistrement laissant tinter çà une cymbale légèrement frappée, là babiller un xylophone dont le son boisé peut évoquer la découverte de nouveaux possibles par l’âme du violon. Après la tonicité du deuxième mouvement, le troisième, qui confirme la technique savante d’orchestration maîtrisée par le compositeur, se goberge d’une manière d’apaisement interrogatif aspirant

  • à la paix intérieure,
  • à la joie blanche et
  • à la liberté sereine,

même si ces impulsions, convoquant explicitement le « chant des oiseaux » cher à Pablo Casals, restent

  • fragiles,
  • souvent perturbées, partant,
  • presque illusoires, comme en témoigne la fin du mouvement.

Le quatrième mouvement, « Le paon – l’étourdissant monde astral », est de loin le plus concentré. Si  le violon solo semble mener la danse par des interventions tranchantes et tendues, l’orchestre, placé sous ladirection de Gabriel Venzago, lui tient la dragée haute. Il

  • accompagne,
  • commente et
  • interrompt volontiers

les embardées de Friedemann Eichhorn. Enjott Schneider fait rutiler la polychromie du petit orchestre en s’attachant à précipiter, comme dans un alambic inquiétant,

  • mystère et continuité,
  • allant et suspensions,
  • refus du développement et souci d’une narrativité joyeusement énigmatique.

Le cinquième mouvement, « La danse de la grue – rituel et voyage astral », est le plus long. Il se déploie sur un rythme presque tribal par les percussions que rejoignent le soliste puis l’orchestre dans une forme d’ostinato. Se multiplient

  • contrastes efficaces,
  • jeux rythmiques et
  • itérations roboratives

jusqu’à ce que le violon change le cours du récit pour le diriger vers une méditation au calme inquiet. Tout se passe comme si le compositeur proposait une synthèse fulgurante de son concerto à travers

  • le retour d’intervalles arabisants,
  • la volonté d’entremêler différents langages et
  • la place laissée à une traditionnelle coda virtuose (poursuivant l’interrogation structurelle sur les rapports entre soliste et orchestre qui semble être un sous-jacent fort de l’œuvre),

avant de glisser un finale qui refuse de finir

  • en profitant d’un tutti orchestral,
  • en s’abîmant dans une trop attendue forme en arc type ABA, ou
  • en se complaisant dans une explosion pyrotechnique que l’on imaginerait en contradiction avec le programme du voyage astral.

Il préfère s’évaporer sur une tenue suraiguë du soliste, témoignant de

  • de la cohérence,
  • de la maîtrise et
  • de la vue d’ensemble

dont vibre cette proposition. Le prochain opus au programme, le concerto pour alto et cordes, nous propulsera-t-il sur les ailes du rêve et de l’émotion – un oiseau que l’on aime plutôt pas mal, lorsque l’on écoute quelque disque ? La réponse est à découvrir dans une prochaine notule sur le sujet !

 

À suivre…