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Toujours en course !

Le meilleur de l’affiche (et je ne parle pas que de moi, évidemment)

 

À tous ceux qui, quand l’occasion les titille, aiment

  • gambader voire risquer un petit footing ou
  • vivre de grandes amours, sans durée minimale ou maximale d’utilisation,

ce premier extrait du spectacle À quelques chèvres près pourrait bien tomber dans les oreilles. Bonne découverte aux curieux, sportifs, sentimentaux ou, juste, eh bien, je dirais, euh, tout simplement, curieux !

 

 

Irakly Avaliani joue Frédéric Chopin – 1/6

Première du disque. Visuel : Masha S.

 

C’était encore un temps déraisonnable, en 2001 : des groupes spécialisés dans « le second œuvre technique » sponsorisaient des musiciens pour leur permettre d’enregistrer des disques. Ainsi de cet album Chopin fomenté par Irakly Avaliani au temple Cortambert de Paris, sur un Fazioli réglé par Jean-Michel Daudon et capté par Joël Perrot. Le groupe Balas en a financé la captation et la transformation en une galette très originalement habillée de deux enveloppes où se glissent un livret atypique (des citations évoquant Chopin) et le disque proprement dit, qui s’ouvre sur la Barcarolle en Fa dièse opus 60.
De cette barcarolle, on sait notamment qu’il s’agit d’un morceau écrit par Chopin un an avant sa mort (lui ne le savait pas, mais bon, cela sous-entend que son écriture n’était point la même qu’en ses débuts pas si lointains) et qu’elle est largement ensoleillée par un mode majeur non exclusif mais prépondérant, ce qui n’est pas tout à fait habituel chez ce compositeur. Était-ce une raison pour accrocher six dièses à l’armature ? Qu’importe pour les interprètes de haut niveau, prêts à s’emparer de l’Allegretto (donc vite, mais pas trop, à supposer que l’on sache ce que c’est, « trop ») pour frotter leur talent au génie de Chopin.
Et ça commence dès le premier accord, comme le soulignait Abdel Rahman El Bacha, tellement plongé dans les graves qu’il risque d’y aspirer la suite du prélude fixée d’abord entre aigu et médium. Irakly Avaliani s’échappe de ces considérations – comme de celles qui consistent à déterminer si barcarolle = promenade en gondole dans les ruelles vénitiennes – en caractérisant chaque registre, donc en optant pour un toucher qui donne une couleur particulière à chaque hauteur de son. De la sorte,

  • les basses assument leur gravité,
  • les aigus leur légèreté et
  • les médiums leur capacité à faire résonner les extrêmes plus ou moins extrémistes du clavier.

Le swing

  • du rythme,
  • des sixtes,
  • des accidents
    • (appogiatures énergisantes,
    • trilles redoutables et obsédantes,
    • préparations des modulations)

anime une exécution qui rechigne au mélodrame comme à l’extase béate.

  • La technique superlative,
  • la sûreté digitale,
  • le souci de la pédalisation juste,

 au sens où le sage répète la pédalisation exigée par Chopin sur son instrument, alors que le musicien choisit la pédalisation qui rend justice de la pédalisation exigée telle que la peut rendre un Fazioli moderne, happent aussitôt l’oreille grâce à leur souci de justesse faisant litière de tout effet wow qui, en dépit de la rigueur exigée (maudits trilles !) serait ici malvenu. Ça fait une phrase un peu longue, soit, mais on en trouve aussi chez Chopin, alors bon, disons que nous fûmes contaminé.

 

 

Comme en témoigne la transition monodique vers le passage en La, Irakly Avaliani travaille dans la précision. La note n’étant pas une unité valable, il

  • sculpte le mouvement,
  • interroge l’agencement et
  • donne du souffle à l’inventivité quasi rhapsodique de l’œuvre.

Le choix de garder au montage des prises parfois secouées par des bruits parasites (3’11, par exemple) témoigne d’une volonté de privilégier le moment où se construit la musicalité sur le puzzle artificiel qui fabrique une perfection de studio. Irakly Avaliani semble présenter une musique qui

  • se nourrit d’elle-même d’itération en modifications,
  • surgit de son propre espace
    • (grondements,
      • échos,
      • sextolets éclairant le propos) et
  • profite du motorisme du 12/8 pour risquer le surgissement de l’idée comme improvisée.

C’est là le charme de cette interprétation, qui arbitre entre

  • structure et liberté,
  • mesure et dépassement
    • (notes supplémentaires,
    • accélérations par triolets ou sextolets,
    • agogique laissant respirer et intelligibiliser – et hop – le texte),
  • caractérisation segment par segment et vue d’ensemble.

On est saisi par

  • les tensions mineures,
  • les frottements itératifs,
  • les suspensions et
  • les changements de caractère avec ou sans transition.

À l’habileté du compositeur se mêle consubstantiellement la rouerie d’un interprète habitant son instrument, faisant fi des complexités chromatiques et rythmiques et sachant construire une association pertinente entre liberté, brio et exactitude. De quoi nous préparer puissamment pour les trois nocturnes suivant…

 

Sylvie Carbonel – Le grand entretien – 8/8

Sylvie Carbonel chez elle, le 16 mai 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Avec son coffret de dix disques aux allures de rétrospective (retrouvez nos 24 chroniques – oui, 24 – sur le sujet ici), Sylvie Carbonel démontre à qui en eût douté que, à côté des pianistes spécialisés dans l’interprétation d’un compositeur ou d’une époque, il en est d’autres qui revendiquent de pouvoir et savoir tout jouer,

  • de Scarlatti à Schönberg,
  • de Bach à Messiaen,
  • de Beethoven à Louvier,

et ce,

  • en solo,
  • en formation chambriste ou
  • avec orchestre.

À l’occasion de cette sortie événement, elle nous a accordé un entretien lumineux et intime pour dévoiler quelques parts de son mystère – donc, aussi, le nourrir.

  • Le dernier épisode est à lire ci-après ;
  • les précédents peuvent être retrouvés ci-dessous ; et
  • l’intégrale sera disponible en un clic sur ce site dès le 6 juillet !

 

1. Apprendre à jouer
2. Créer sa sonorité
3. Se lancer
4. Construire un répertoire
5. Ouvrir un répertoire
6. Choisir sa voie
7. Organiser un coffret


Épisode huitième
Échafauder l’avenir

 

Sylvie Carbonel, permettez-moi d’ouvrir ce huitième épisode en mettant les pieds dans le plat. On y a fait allusion lors du précédent chapitre : le coffret de dix disques qui sert de prétexte-et-pas-que à notre entretien ne constitue qu’une partie de votre legs aux mélomanes…
Oui, une petite partie. Je faisais plein de choses qui n’y sont pas ! Plein de concerts avec des œuvres très différentes ! Je ne les ai pas oubliés !

… d’où l’idée que nous avons évoqué tantôt d’un coffret pour piano et orchestre. L’idée est-elle de l’ordre du fantasme ectoplasmique ou commence-t-elle à prendre chair ?
Ça m’est bien rentré dans la tête.

 

« Le travail de recherche est très important »

 

Quel est l’obstacle qui vous paraît le plus important, hic et nunc ?
L’argent. J’ignore comment nous pourrons trouver les sommes nécessaires. Il me faudra très probablement trouver en sponsor.

Parce que les droits seront beaucoup plus conséquents ?
[CHRISTIAN CLOAREC :] il faut que nous nous renseignions et, pour cela, dans un premier temps, il faut que nous retrouvions qui possède aujourd’hui les masters et les droits des enregistrements. Le travail de recherche à envisager est très important.

En ce sens, le coffret actuel et ce qu’il ne recèle pas sont une manière de réenchanter l’avenir. Précisons que les dix disques ne sont pas un testament mais une pierre angulaire dans votre discographie, et que vous n’avez jamais cessé ni de jouer ni d’inventer de nouvelles façons et de nouvelles occasions de partager votre passion pour la musique. Vous avez donné – et vous donnez – des concerts thématiques avec des comédiens, et vous avez fondé un festival dont vous êtes devenue directrice artistique. Le festival peut sembler le contraire du disque par sa dimension éphémère ; cette idée est certes pour partie un mirage (nous avons eu l’occasion de l’évoquer dans ces « grands entretiens », nous aurons bientôt l’occasion d’y revenir grâce à Pauline Klaus, la fondatrice du festival d’Assy), car le festival nourrit et enrichit le goût fort et persistant de certains musiciens-organisateurs pour le partage avec le public et les liens pérennes avec certains collègues en particulier…
Absolument. Pour ma part, j’ai fondé un festival parce que je suis originaire de la Chalosse, situé dans le sud des Landes. J’y ai vécu dans une trrrès grande maison de famille que nous possédons depuis huit générations, soit depuis le dix-septième siècle. C’est un endroit merveilleux où j’ai beaucoup, beaucoup de souvenirs, excellents ou, disons, un peu moins bons.

 

 

 

« Avec Le Beau Danube bleu, le succès est garanti ! »

 

Le sud des Landes, ce n’est pas « les Landes » en général.
Non, la Chalosse est très différente de la côte Aquitaine qui va de Biscarosse à Bayonne, cette région des Landes où l’on ne voit que des pins. La Chalosse est truffée d’églises romanes. La végétation est variée, associant les pins aux chênes. C’est magnifique, mais il y avait un gros défaut : la part de la musique classique était réduite à une toute petite portion congrue.

Même l’été ?
Ha, on est très loin du Périgord ou du Midi, où vous avez un festival tous les deux cents mètres ! Je crois que, en tout est pour tout, il n’y avait qu’un festival, celui des Abbayes, qui m’a réinvité cette année pour jouer avec Dana Ciocarlie une sonate de Mozart, la fantaisie de Schubert en fa mineur, Dolly, l’opus 56 de Fauré, et Le Beau Danube bleu transcrit pour le piano à quatre mains par Johann Strauss lui-même – et là, c’est le succès garanti !

Vous y aviez joué par le passé…
C’est exact avec Pierre Amoyal, Gérard Caussé, Frédéric Lodéon, Michel Portal, Roland Pidoux… Ce festival magnifique se passe autour de Dax, dans de très beaux endroits dont des chapelles romanes aux acoustiques sublimes. Quelle joie d’y jouer ! Alors, à mon tour, j’ai voulu apporter ma pierre à l’édifice. En 2003, j’ai donc décidé de créer les Moments musicaux de Chalosse, dont j’ai assuré la direction artistique jusqu’en 2016.

J’imagine que le bon côté d’un festival, pour une directrice artistique, c’est de pouvoir choisir ses invités…
En effet, j’ai invité beaucoup d’artistes extraordinaires. On a donné beaucoup de beaux concerts dans des églises ravissantes et des châteaux magnifiques.

Vous n’avez pas pu ne pas jouer vous-même !
Pourquoi m’en serais-je privée ? Notez que j’ai aussi invité des grands musiciens comme – je n’en citerai que quelques-uns – le clarinettiste Michel Lethiec, le violoncelliste Dominique de Williencourt, mon collègue Yves Henry, le comédien Daniel Mesguich car c’était mon partenaire des concerts-lectures, etc.

L’invitation à un festival peut renforcer le réseau et les liens entre interprètes. En d’autres termes, les Moments musicaux vous ont-ils permis de bénéficier de ce que l’on appelle presque poétiquement des « renvois d’ascenseur » ?
Ce n’est évidemment pas le but premier d’une invitation, mais cela peut faire partie des usages entre musiciens-organisateurs. Certains collègues ont eu la délicatesse de s’y plier, d’autres non.

 

 

 

« Les chœurs basques, j’y tenais absolument »

 

Permettez-moi une petite analepse, Sylvie Carbonel. Comme vous nous présentez l’affaire, vous risquez de susciter beaucoup de vocations de fondateurs de festival parmi nos lecteurs. De fait, à vous écouter, il suffirait de faire une petite étude de la concurrence, de décider de fonder un festival, et hop, c’est parti ! on peut inviter les artistes que l’on apprécie voire que l’on admire. La chose est-elle pas un rien plus complexe ?
« Un rien » ? Infiniment plus complexe, oui ! Créer les Moments musicaux n’a rien eu d’évident. Aux origines, j’ai téléphoné à mon ami Claude Carrincazeaux, qui était maire du village de Laurède. Je lui ai rappelé que nous avions donné quelques concerts sur un week-end, trois ou quatre dizaines d’années auparavant. Le samedi soir se tenait un concert devant une très jolie maison landaise. Il y avait aussi un concert le dimanche, à l’église. J’y ai joué avec le clarinettiste Jacques Didonato et une bonne soprano… Aussi ai-je dit à mon ami édile : « Écoute, j’ai envie que la musique résonne à nouveau en Chalosse. Accepterais-tu de présider ce projet ? » Pour des raisons liées à sa santé et à son travail très prenant d’agriculteur, il a décliné. D’autres amis l’ont imité, pour des questions d’organisation ou de motivation.

Avez-vous été surprise par ce manque de mobilisation ?
Une chose est sûre : je ne m’attendais pas à tant de refus. Une amie m’a conseillé un homme qui « fait des choses à Laurède ». Je suis allée le trouver. Je lui ai expliqué le projet. J’ai aussitôt constaté qu’il ne connaissait rien à la musique. Lui, ça ne l’effrayait pas. Il a accepté d’être trésorier. Une femme un peu originale qui m’avait engagée non loin de là, à onze kilomètres de la maison, a bien voulu être présidente. Est alors advenu le temps des négociations car, attention, je suis mégalomane, quand je m’y mets ! Dès 2003, pour la première édition, je prévois sept concerts avec, entre autres, le violoniste Patrice Fontanarosa. Je suis allée à l’Hôtel du département des Landes solliciter le service chargé du budget en disant : « Voilà, pour sept concerts, j’ai besoin de tant d’argent » (15 000 €, je crois). Mon interlocuteur a pris acte mais m’a demandé de revenir avec le trésorier et le budget prévisionnel. Dès cet instant, on s’est mis à parcourir des centaines de kilomètres dans les Landes et au Pays Basque pour chercher des sponsors. On en a trouvé quelques-uns.

Pas assez pour maintenir les ambitions initiales ?
Non, on a dû réduire de sept à trois concerts.

Lesquels ?
Pour la grande cathédrale de Dax, j’ai engagé l’orchestre de chambre de Toulouse pour un concert avec moi au piano dans le concerto K 414 de Mozart et Gérard Caussé dans un autre concerto ; Michel Lethiec a joué dans une église ravissante avec sa fille Saskia et moi ; et le dernier concert offrait une tribune à des chœurs basques, j’y tenais absolument.

 

 

 

« Cesser de jouer ? Surtout pas ! »

 

Même si ce ne sont « que » trois concerts, le travail sous-jacent a dû être considérable.
Décidément, vous avez le sens de l’euphémisme ! Il faut chercher les sponsors, obtenir les subventions, payer les artistes, organiser le concret des concerts car, disons-le, un monde fou se pressait à chaque événement.

L’effet première édition ?
Peut-être. La curiosité et l’excitation sont souvent de mise pour la nouveauté. Néanmoins, je ne comptais pas m’en tenir là.

Malgré, j’imagine, des tensions inhérentes à toute manifestation qui perdure, vous n’avez pas cessé d’organiser des concerts dans votre région, que ce soit à travers les Moments musicaux ou selon d’autres modalités peut-être plus souples.
Pourquoi me priverais-je de ce plaisir ? J’ai continué à proposer des concerts à Saint-Sever et alentour, avec une programmation ouverte sur les musiques du monde, le jazz, les concerts-lectures dont l’un que j’ai donné, en juillet 2023, avec Annie Duperey sur les lettres d’amour.

Vous ne cessez pas de jouer non plus.
Surtout pas ! En octobre ou en novembre, je donnerai un concert avec Annie Duperey, toujours sur les lettres d’amour. À cette époque, je dois aussi jouer à Sèvres avec la violoniste Isabelle Flory, premier violon du quatuor Arpeggione. Au programme : Bach, Mozart, Chopin, Satie et, pour finir, la sonate de Ravel.

Vous voilà repassée du côté des organisées plutôt que des organisantes !
Il me plaît d’être les deux, je crois.

 

 

 

« Je ne compte pas du tout tirer ma révérence »

 

Que vous ont appris vos expériences de créatrice puis de développeuse de festival ?
Déjà, je dois reconnaître le travail effectué par Christian, mon mari. Il a beaucoup travaillé dans le domaine de la gestion d’organisations, et il a été directeur administratif dans une association œuvrant dans un domaine certes très différent (la santé…), mais pas assez différent pour qu’il ne connaisse pas les règles de fonctionnement des associations en général. Donc, quand j’ai démissionné du festival que j’avais créé, il m’a aidé à créer une petite association pour organiser des concerts, et ç’a très bien marché pour « Musiques vivantes dans les Landes ». Nous y avons invité des artistes formidables. Seul le Covid a réussi à créer un grand trou dans cette belle dynamique…

Aujourd’hui, on pourrait avoir l’impression que vous avez été soulagée quand le coffret est enfin devenu tangible et que, pour combattre ce soulagement, vous vous remobilisez pour vous inventer de nouveaux défis…
Quand j’ai enfin touché le coffret, oui, c’était un grand soulagement mais, non, il n’a jamais été question que ce soit un point final. Au contraire, ce coffret n’est qu’une étape. Je joue toujours, et j’ai la ferme intention de continuer !

Pour vous, ce n’est pas une épitaphe, c’est un tremplin.
Ha, oui, je ne compte pas du tout tirer ma révérence tant que ma santé ou la mort ne m’en empêchera pas !

Alors, maintenant que nous avons conté quelques highlights de votre carrière, permettez-moi de terminer cet entretien sur une question désagréable qui m’a été inspirée par un entretien que vous avez accordé à RCF où, naïvement ou presque, votre interlocuteur vous demandait : « Au fond, qu’est-ce que ça vous fait de ne pas être très connue ? »
Quand les questions de ce type tombent, soyons honnête : ça fait un peu mal. Ça fait un peu de peine. Pas tant par orgueil que parce que, à une époque, je crois avoir été bien connue. Entendre que je ne l’ai pas été équivaut à nier ce qui, pour moi, n’était pas même un titre de gloire mais un fait.

Vus vos titres de gloire, on le suppute volontiers ! Mais peut-être était-ce une manière maladroite de vous libérer de la fabrication du star-système tel qu’on le connaît aujourd’hui ?
Pourquoi pas ? Il est vrai que, aujourd’hui encore, il existe des pianistes très connus qui peuvent être aussi bien des musiciens exceptionnels que de grands bluffeurs. Je ne citerai aucun nom. J’espère juste que le temps et le public sauront in fine faire le juste tri.

 

Un roman français

Photo : Jean-François Dalle. Dédicace de « L’Homme qui n’avait pas de chat » à L’Autre Salon, Paris 4, dimanche 18 novembre 2012, avec l’éditrice, Pascale Goze (éditions Lunatique).

 

Après avoir bien lu le numéro « spécial rentrée littéraire » de Livres Hebdo, je suis en mesure de vous proposer un résumé-synopsis-critique en vingt-six points valable pour l’ensemble des romans français à découvrir entre début août et octobre, le tout réalisé sans artifice mais pas forcément bêtement, au contraire : de quoi économiser quelques précieux sesterces en ces temps que Léo Ferré qualifierait probablement de difficiles. En lisant ce florilège, vous aurez lu des centaines de livres d’un coup !


  • Journaliste déçue par l’arrivisme de ses collègues aux profils trop uniformes de Blancs cisgenres décomplexés id est penchant trrrès à droite,
  • scénariste effarée par la persistance d’un masculinisme patriarcal teinté d’un virilisme qui ne prend même pas la peine de se cacher,
  • écrivaine
    • sororale,
    • féministe et
    • tatouée

en manque d’inspiration, Malou décide de retourner dans la région de son enfance (1 point). Là, elle découvre que la maison familiale (2) qu’elle adorait est en fait entourée d’un terrible secret (3) qui pourrait avoir un rapport plus que malaisant avec la Shoah (4) et l’ère persistante de la colonisation (5). Son intuition résonne avec la quête de soi (6) qui la travaille depuis qu’elle a assisté à une performance au Café d’hier, un lieu presque secret qui n’ouvre que très occasionnellement entre le Marais, Armentières (0 point) et le vingtième arrondissement parisien. Sans plus tarder, elle décide de s’interroger sur ses origines dysfonctionnelles (7) afin

  • de déconstruire ses mythes intérieurs,
  • d’accepter les violences incestueuses (8) qu’elle a peut-être subies comme tout le monde, et
  • de recouvrer l’usage d’un langage qui lui ouvrirait les portes d’une perception plus écologique d’elle-même (9) en accord avec la sapience des peuples autochtones toltèques d’Afrique (point refusé après VAR).

Or, soudain, hasard ou réalité scientifique, alors qu’elle croyait s’être acceptée dans sa singularité non-binaire (10 pour la tautologie), Malou constate que sa mère a disparu et que personne ne s’en préoccupe. Elle décide de mener l’enquête (11), quitte à ne pas se douter de ce vers quoi la mènera ce road-trip introspectif (12). Un jour que, par chance, ses investigations, son télétravail et sa formation en distantiel d’une semaine un quart sur les tisanes au tofu respectant les critères ESG (13) lui laissent un peu de temps libre, elle en profite pour reprendre un vague projet de thèse sur les derniers jours de Jean-Michel Basquiat (14). Son travail sur l’agonie du plasticien (15 pour l’usage du mot « plasticien ») et sur la disparition de sa mère convergent, l’amenant à rencontrer T.O.M, un comédien d’origine syrienne (16) en transition (17) qui a connu son heure de gloire. Aujourd’hui, victime de transphobie et de racisme (18 pour le combo), l’émouvant personnage affirme  être en communication spiritique avec l’artiste, lequel pourrait conduire Malou vers sa mère en délivrant des oracles intérieurs. Miracle ? Supercherie ? Prémices de nouvelles émotions plus intimes et passionnées révélant la jeune femme de cinquante ans (19) à elle-même ?
Avec une infinie douceur teintée d’une pudeur à peine érotisée (0 point mais encouragements du jury pour le chiasme), l’auteure-ice (20) montre comment la narratrice comprend, peu à peu, que le plus beau miracle de l’écriture n’est peut-être rien d’autre que sa capacité à fondre la réalité plurielle dans cet acte d’amour qui cisèle et déploie le jubilatoire de chacun et de tou.te.s (21) au moins – un acte d’amour qui s’appelle, ni plus ni moins, le roman. Portée par un souffle romanesque vivifiant, l’écrivaine, diplômée de scénaristique créative aux Beaux-Arts de Cergy-Pontoise Sud, Sud-Est, performeuse sans concession aperçue au Tiers lieu citoyen de Narbonne-Plage, professeure des écoles intérimaire en milieu multiculturel par choix citoyen et activiste animée par la défense des travailleuses du sexe par devoir civique, signe ici un acte de foi engagé et engageant en la LLittérature avec deux grandes ailes. Une geste artistique qui porte trace d’une manière de voir le monde (22) peut-être encore plus radicale que dans les poèmes qu’elle publie pourtant avec succès sur Instagram (22,5, on eût préféré TikTok, par exemple) et dans des revues disponibles dans diverses cyberlibrairies alternatives. Le résultat ?

  • Un livre-monde (24 directement) rédigé dans une langue étonnamment fluide,
  • un choc nécessaire et salutaire (25),
  • un terreau parfait pour un film avec
    • Sandrine Kiberlain,
    • Vincent Lindon et
    • Gad Elmaleh dans le rôle de Malou (26) :

quels plus beaux compliments lui adresser ?


Retrouver des romans à zéro point, c’est possible avec

 

Pierre Réach joue 9 autres sonates de Beethoven (Anima) – 7/8

Première du disque

 

« Les Adieux », un mauvais titre pour cette vingt-sixième sonate ? A priori, oui, puisque c’est aussi le titre du premier mouvement, ce qui l’empêche d’embrasser les deux autres (« L’absence » et « Le retour »). A posteriori, sans doute pas : ce côté claudiquant paraît insinuer que, fût-on membre de la famille impériale comme le dédicataire de cette œuvre, on n’en reste pas moins déchiré par la fuite et l’exil, que ceux-ci soient

  • géographiques,
  • intérieurs ou
  • interpersonnels.

Aussi, par-delà le décorum programmatique, convient-il d’écouter la musique pour ce qu’elle est, artistiquement et symboliquement, donc de redonner à l’intuition et au feeling la part de liberté que risquerait de lui ôter une trop stricte recherche de littéralité entre intitulé et geste compositionnel. Cela peut sembler paradoxal quand l’Adagio liminaire inscrit au-dessus des trois notes descendantes et des trois intervalles grandissants (une tierce, une quinte et une sixte) les mots « Lebe wohl » (les adieux). Pourtant, plus que la tristesse, Pierre Réach souligne, grâce à un toucher délicat et une différenciation nette des voix, la tension qui habite la partition :

  • tentation du mineur et des modulations frottant contre la promesse d’un Mi bémol solide,
  • évitement de l’ultragrave qui stabyloterait le sens au lieu de le donner à percevoir,
  • cohabitation contradictoire entre
    • basse descendante,
    • ligne aiguë montante et
    • énergie battant à travers
      • les mordants poussant de l’avant,
      • le ternaire échappant brièvement à la fatalité du binaire,
      • le questionnement sans réponse des séries d’accords troublées par le silence,
      • l’hésitation des crescendi / decrescendi et des répétitions créant le suspense.

L’Allegro qui suit le bref prélude assume cette association entre

  • mouvements contraires,
  • tonalités fluctuantes, et
  • multiplicité
    • de touchers,
    • d’intensités et
    • de couleurs.

Loin de chercher à unifier ce paysage sonore, l’interprète ne le disloque pas non plus par des contrastes risquant de virer à l’abscons ou au confus. Il semble créer des motifs récurrents, reconnaissables, en fonction

  • de l’attaque,
  • de la nuance,
  • du phrasé,

qui guident l’écoute en associant

  • variété de trait,
  • fulgurance de la surprise et
  • cohérence du tableau.

Point, donc, ici, d’écrasement de la musique sur la représentation topique d’adieux ou d’une fuite, mais bel et bien recherche d’une musicalité laissant l’exégèse narrative ouverte, selon la terminologie d’Umberto Eco – et, évidemment, l’on apprécie fort cette latitude, autrement dit cette confiance, dans la capacité presque co-créative de l’auditeur.

  • L’indécidabilité rend la musique d’autant plus passionnante ;
  • les élans lyriques ou sautillants en sont plus saisissants ;
  • les légères marques d’agogique attrapent d’autant mieux l’oreille.

Dès lors, apparaît peu à peu l’une des singularités de cette sonate qui semble bien être le travail sur le temps. En effet, quitte à caricaturer, l’on pourrait presque dire que chaque mouvement de sonate est souvent pensé comme un bloc, certes souvent enrichi par quelques changements de forme çà ou là, mais globalement, d’une cohérence peu contestable. Ici, Ludwig van Beethoven n’hésite pas à déstructurer en apparence le propos. Si déchirement il y a, c’est d’abord celui d’une écriture qui s’interrompt volontiers ou, a minima, se suspend.

  • Des rondes coupent l’emballement des bariolages ;
  • des notes isolées reprenant la descente liminaire se libèrent de l’harmonie ;
  • des effets d’attente cassent momentanément l’évidence des enchaînements.

L’interprétation de Pierre Réach en rend d’autant mieux raison que, à son souci de rigueur textuel, s’ajoutent des effets eux-mêmes inscrits dans le temps :

  • circonscription de la note grâce à la précision du toucher,
  • étalement d’un son qui éclabousse par un accent débordant ses seules limites temporelles,
  • maîtrise d’une pédalisation qui, tour à tour,
    • associe,
    • dissocie et
    • frictionne les notes voisines.

L’absence telle que représentée par l’Andante espressivo est le plus bref mouvement de la trilogie. Il est indiqué « allant mais très expressif », d’autant plus expressif peut-être qu’il est en do mineur (si, le mode mineur, c’est expressif). L’interprète en rend l’ambiguïté consubstantielle, et hop, dont témoignent les contrastes suivants :

  • allure posée mais prédominance des rythmes pointés et des contretemps ;
  • structure binaire mais valorisation des temps faibles ;
  • clarté du lead mais importances des fioritures ;
  • tranquillité du tempo mais afflux de triples voire quadruples croches.

Le mouvement assume son statut d’intermède (version optimiste d’une absence qui serait forcément éphémère) que Pierre Réach pimpe par

  • des respirations aériennes,
  • des nuances fines mais jamais minaudantes, ainsi que par
  • des suspensions cristallines qui nous élèvent

et que la prise de son décidément magique d’Étienne Collard saisit et restitue incroyablement – non, de même que, quand on vitupère, on ne règle pas de comptes perso, de même, quand on s’incline et applaudit, on ne lèche point de pommes : on salue des gens qui travaillent et qui nous ébaubissent, nuance. La preuve ou presque : faute d’un meilleur endroit pour noter cette remarque de détail, espérons que la quatrième du prochain coffret concluant l’intégrale sera plus fine et numérotera les pistes à la file au lieu de les renuméroter à chaque sonate – de sorte que celui qui veut écouter le troisième mouvement de telle sonate n’ait pas à calculer quelle est la bonne piste. C’est un détail, certes, mais votre chemise a des boutons, c’est aussi un détail et cependant reconnaissez que, grâce à ce détail, c’est rudement plus pratique pour la fermer !
L’esprit paradoxal revient avec le dernier mouvement en 6/8 siglé Vivacissimamente, et intitulé « Le retour » ce qui doit sonner bizarrement dans une sonate appelée « Les adieux ». Pierre Réach y règle la tension entre

  • la joie,
  • l’urgence et
  • un minimum de dignité (on est censé évoquer une famille impériale, hein, les gueux, bon, voilà, quoi) que manifestent les noires à l’octave.

Musicalement, cela passe par

  • du swing,
  • de l’agogique,
  • du contraste et
  • du sentiment d’urgence
    • (appogiatures accélérant le débit,
    • trilles dynamisant voire dynamitant la mesure,
    • triolets butant contre le binaire pour donner une impression de précipitation,
    • traits tranquillement vertigineux et
    • exploitation maline du large spectre de registres pianistiques).

Le compositeur semble jouir à fond des contrastes.

  • Changements de tonalité versus prédominance du Mi bémol,
  • tonicité des octaves à la chaîne versus quasi stabilité des bariolages,
  • efficacité des accords répétés versus ruptures de logique musicale

animent le mouvement. Pour qui en doutait, il appert que la supervivacité exigée par LvB n’est pas seulement vitesse mais surtout

  • dynamique,
  • émulsion et
  • explosivité

propres à l’interprète. Or, Pierre Réach sait à la fois

  • retenir,
  • jaillir,
  • propulser,
  • maîtriser quand survient un passage poco andante… et
  • relancer pour claquer le finale pomposo heureusement concentré.

Ainsi s’épanouit une sonate à grand spectacle que

  • les doigts,
  • la vista et
  • l’inspiration

du pianiste porte à un très haut degré d’expressivité, dissolvant toute limitation programmatique. Bref, quel feu d’artifice en attendant l’opus 101 qui couronnera cet impressionnant coffret !


Épisodes précédents
Sonate opus 2 n°2
Sonate opus 10 n°1
Sonate opus 13 (“Pathétique”)
Sonates opus 49
Sonate opus 53 (“Waldstein”)
Sonate opus 79

 

Rachel Koblyakov joue toute seule (Orlando Records) – 5/5

Première du disque

 

Roi du remix comme chacun sait, Pierre Boulez s’est souvent plu à développer des extraits de certaines de ses œuvres pour accoucher de nouvelles propositions. Ainsi de ces Anthèmes inspirés par un extrait d’…explosante fixe…, finalisé pour honorer une commande du concours Yehudi-Menuhin. D’un point de vue technique, selon l’analyse de Robert Pincikowksi,

 

la pièce est fondée sur un bloc sonore de sept sons dont sont dérivés ses développements par imbrications et interruptions alternatives, ainsi que sur la permanence d’une note-pivot (ici le ré bécarre).

 

D’un point de vue musical, l’affaire démarre sur une série de contrastes :

  • notes
    • précipitées,
    • trillées,
    • répétées,
    • tenues ;
  • nuances allant du triple forte au quadruple piano (allant jusqu’à l’inaudible) ;
  • dynamiques se dérobant à toute univocité à travers
    • attaques,
    • coups d’archets et
    • phrasés.

Rachel Koblyakov transforme en sensation de liberté

  • les mille et une annotations du compositeur (oscillant entre grande précision et flou heureusement artistique comme « pas trop long » ou « pas trop lent »),
  • les multiples changements de
    • tempo,
    • mesure et
    • caractère, ainsi que
  • les variations de couleur sonore
    • (harmoniques,
    • appogiatures,
    • traits en septolets…).

Le surgissement de pizzicati lance un passage groovy que

  • l’instabilité des mesures,
  • la recherche des contretemps,
  • l’imprévisibilité des intervalles,
  • l’efficacité des descentes répétées et
  • le travail sur les accents

habitent et nourrissent. Comme un golfeur, Pierre Boulez travaille son swing en intercalant entre ces passages « rigides », selon son terme, des moments libres, où

  • tenues,
  • harmoniques et
  • glissandi « sans terminaison précise »

offrent une respiration tant à l’interprète qu’à l’auditeur. Répondant au funk en pizz, un passage avec archet dégaine à la fois les mêmes armes et d’autres plus spécifiques

  • (travail sur la place des crins,
  • contrastes entre phrase et staccatissimi,
  • opposition entre talon et pointe,
  • usage des appogiatures comme tremplins d’énergie et de trilles comme liant sous lequel bat la pulsation…).

Par-delà la démonstration de virtuosité technique, chère aux morceaux de concours, bat chez l’interprète une volonté de privilégier la musicalité en dépit de la difficulté volontaire du texte

  • (vision d’ensemble et non succession de segments,
  • science de la bousculade maîtrisée,
  • art des nuances qui s’interpolent façon autos tamponneuses ou se transforment façon caméléon).

À ce stade de l’œuvre, Pierre Boulez a clairement rendu reconnaissables les cubes idiomatiques qu’il compte manipuler, notamment :

  • succession de passages agités et libres,
  • usage abondant des trilles,
  • rôle prépondérant des contrastes évoqués supra.

Ainsi l’auditeur parvient-il paradoxalement à s’orienter peu ou prou dans les cahots d’une écriture refusant le développement linéaire pour privilégier

  • la secousse rythmique,
  • le surgissement de l’accord, de l’intervalle ou de la note unique, couronné d’une trille, et
  • le jaillissement d’une multitude
    • de groupes de notes,
    • d’accents contradictoires ou
    • de sonorités imprédictibles.

Incompatibles a priori, se mêlent pourtant

  • liberté et rigueur,
  • flexibilité et précision,
  • feeling et minutie.

 

 

Tel semble être le projet d’une partition où les indications du compositeur, censées clarifier le travail de l’interprète, s’amusent parfois à friser le crypto-hermétique. La mesure 98 est ainsi indiquée dans un tempo « lent » ; juste au-dessous, le mot « veloce » accompagne une série de triples croches. Rachel Koblyakov fait clairement entendre la fécondité de ces

  • tensions,
  • oxymorons et
  • absurdités

apparents. En l’espèce, la vitesse n’est jamais plus perceptible que par opposition à la lenteur. Or, comme le changement de tempo n’est pas encore connu de l’auditeur, c’est dans l’intention de l’exécutant que se joue l’efficacité du propos. Dès lors, celui qui n’a pas la partition sous les yeux éprouve le plaisir (si, même dans du Boulez…) d’être

  • décontenancé,
  • étonné,
  • happé

par

  • des fulgurances,
  • de brusques retraits,
  • des foucades,
  • des tiraillements

palpitants mais eux aussi contradictoires. En effet, peu à peu, nous nous habituons au bouillonnement intranquille libéré par la violoniste. En quelque sorte, Anthèmes crée une familiarité entre le mélomane et

  • l’étrange,
  • l’indomptable et
  • l’anti-tragique (au sens où, contrairement à la tragédie, nous ignorons et le fin mot de l’histoire et le mécanisme qui nous y mènera).

Ce phénomène est porteur d’une puissante capacité narrative – en presque clair, tout se passe comme si un récitant nous racontait confusément une histoire, cette confusion devenant peu à peu encore plus séduisante que l’anecdote elle-même.

  • Changements d’attaque,
  • insertion de ternaire imperceptible, et
  • travail sur les différents registres, du sol grave aux suraigus,

animent le dernier long passage, savoureux. Pierre Boulez malaxe sa pâte sonore et paraît vérifier si bis in idem en multipliant

  • régurgitations de motifs pré-cités,
  • itération de nouvelles formules,
  • reprises ad lib. jusqu’à l’épuisement du ré matriciel repris in extremis  en battuto et quintuple piano.

À travers

  • inflexions,
  • contrastes et
  • répétitions,

le compositeur et sa porte-voix semblent chercher, entre vigueur et pointillés, une impossible synthèse. Pour peu que l’on oublie l’agacement que la figure boulézienne peut voire doit susciter, il est fort joyeux de se laisser porter par

  • la virtuosité,
  • la musicalité et
  • l’énergie

de Rachel Koblyakov dans un répertoire dont elle met à jour des séductions souvent confinées à un cercle riquiqui de convaincus quelquefois extrémistes dans leur adulation.

  • Cette ouverture que propose la violoniste,
  • cet engagement dont elle fait preuve et
  • sa capacité à intéresser l’auditeur à un répertoire
    • rare,
    • mal connu et
    • volontiers stigmatisé par les benêts que, enfermés dans nos minichapelles, nous, amateurs de musique savante, aimons à être avec la fierté du sot,

ne sont pas les moindres qualités d’un disque

  • toujours impressionnant,
  • largement ébouriffant et
  • sérieusement passionnant.

 

Retrouver les épisodes précédents
Paul Hindemith, Sonate pour violon seul opus 31/1 (1924)
Orlando Bass, Sonate pour violon seul (2015)
Wolfgang Rihm, Über die Linie VII (2006)
Matthias Pintscher, Study III for Treatise on the Veil (2007)


Pour acheter le disque, c’est par ex. .

 

Sylvie Carbonel – Le grand entretien – 7

Sylvie Carbonel au piano, chez elle, le 16 mai 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Avec son coffret de dix disques aux allures de rétrospective (retrouvez nos 24 chroniques – oui, 24 – sur le sujet ici), Sylvie Carbonel démontre à qui en eût douté que, à côté des pianistes spécialisés dans l’interprétation d’un compositeur ou d’une époque, il en est d’autres qui revendiquent de pouvoir et savoir tout jouer,

  • de Scarlatti à Schönberg,
  • de Bach à Messiaen,
  • de Beethoven à Louvier,

et ce,

  • en solo,
  • en formation chambriste ou
  • avec orchestre.

À l’occasion de cette sortie événement, elle nous a accordé un entretien lumineux et intime pour dévoiler quelques parts de son mystère – donc, aussi, le nourrir.

 

1. Apprendre à jouer
2. Créer sa sonorité
3. Se lancer
4. Construire un répertoire
5. Ouvrir un répertoire
6. Choisir sa voie


Épisode septième
Organiser un coffret

 

Sylvie Carbonel, j’ai l’impression que notre entretien est arrivé à la jointure entre l’art du concert et celui du coffret, mais aussi entre ce qui était et ce qui sera. Faire des choix, c’est valider ou refuser. Avant de détailler l’invention de votre coffret, qui reflète une large partie de votre répertoire, il peut être judicieux de parler de ce qui n’est pas entré dans ledit répertoire. Avez-vous des regrets ?
Bah, vous savez, quatre vies ne suffiraient pas à jouer tout le répertoire pour piano ! J’ai déjà joué beaucoup, beaucoup d’œuvres et de compositeurs.

Donc aucun regret ?
Hum, peut-être si, pour une œuvre : le Carnaval de Robert Schumann. Trois fois, je l’ai commencée. Il m’aurait fallu six mois pour la jouer correctement ; et, à chaque fois, un concert ou un enregistrement à préparer m’en a empêché. Néanmoins, il s’agit d’un petit regret, car j’ai joué beaucoup d’œuvres de Schumann.

 

 

 

« On me disait que je jouais comme un homme. C’était un compliment ! »

 

De Schumann, vous avez enregistré un disque où on trouvait la grande Humoreske, dont on peut écouter une autre version sur le coffret…
Oui, car je l’ai rejouée lors d’un concert pour Radio-France.

Les Fantasiestücke opus 12 n’ont pas eu cette chance.
Non, les négociations n’ont pas abouti. Par conséquent, je n’ai pas pu intégrer le disque au coffret. Cependant, on peut les écouter en streaming – en toute illégalité, soit dit en passant, puisqu’on ne sait pas officiellement qui touche les droits, l’éditeur qui les a mis sur Spotify ayant fait faillite depuis.

Ce disque, comme celui rassemblant les deux concerti de Mozart, vous a valu des critiques dithyrambiques.
Dithyrambiques et étonnées, oui, parce que, pensez, j’ai joué l’intégrale de Moussorgski, j’ai joué le Premier concerto de Mossolov, alors on ne m’attendait pas dans Mozart… Et j’ai eu aussi droit à des critiques plus habituelles, qui m’encensaient parce que je « joue comme un homme » !

C’était l’époque des compliments sexistes ?
Oh, un homme et une femme, c’est différent…

… ha, merci, je craignais d’être l’un des derniers à professer cette évidence aujourd’hui loin de faire l’unanimité dans la doxa médiatique !
… mais j’imagine que c’était une façon bizarre de dire que je jouais bien. Cela dit, ce genre de réflexion n’était pas réservé aux hommes. Après avoir écouté mon disque Mozart, une mécène japonaise m’a dit qu’elle ne pouvait croire qu’une femme jouait ainsi.

A-t-elle justifié son opinion ?
Non. Cependant, je crois comprendre ce qu’elle sous-entend. Longtemps, les pianistes qui n’étaient pas très armés techniquement jouaient des concerti de Mozart. Les barrières techniques y sont très basses. Sur la plupart des opus, tout le monde peut à peu près s’en sortir. Donc peut-être que, quand on entend qui les joue avec aisance, ça laissait penser que c’était un homme.

Parce qu’un pianiste joue mieux qu’une pianiste ?
Certains l’ont cru. Peut-être d’autres (ou les mêmes) le croient-ils encore !

 

 

 

« Tout le monde était enthousiaste »

 

À votre grand regret, les concerti de Mozart ne sont pas dans le coffret (on peut encore en trouver quelques exemplaires sur Internet…). En revanche, le coffret recèle de nombreuses pépites à la fois disparates et semblant former un tout ! Comment un tel projet vous est-il venu à l’esprit, et aviez-vous correctement estimé les difficultés techniques, juridiques, financières et autres qui vous attendaient ?
L’idée de produire un coffret a émergé il y a environ deux ans et demi, trois ans [l’entretien a lieu à la mi-mai 2024], pendant que je m’ennuyais un peu en travaillant. Même moi qui suis une bosseuse, il m’arrive de m’ennuyer en répétant ! Comme j’avais établi la liste de mes enregistrements en concert, je me suis dit : « Pourquoi les laisser dormir dans les archives de l’INA ? Il faut que ça vive pour le public du monde entier, les mélomanes, accessoirement pour ceux qui m’apprécient ! » J’avais eu tant de succès lors de ces concerts, ils représentaient tellement ma manière d’être, de jouer, de concevoir les œuvres, que je ne me sentais plus capable d’abandonner cela dans la poussière de l’oubli. Aussitôt, j’en ai parlé à Christian Cloarec, mon mari, et il s’est enthousiasmé pour ce projet.

C’était un bon début !
Encouragée par mon mari, j’appelle Jean-Pierre Ferey, du label Skarbo, chez qui j’avais enregistré un disque Liszt en 2016. Je lui donne le détail de tous les concerts Radio France, auxquels je lui explique vouloir joindre mes disques enregistrés en studio (Moussorgski, Chabrier, Schumann). Lui aussi a paru extrêmement motivé et intéressé, d’autant que je lui proposais aussi des œuvres inconnues – c’est son truc ! Songez que, quand on a réédité le Moussorgski, il a placé les Dix-sept pièces inconnues avant les Tableaux… Or, le fait est que je proposais des œuvres inconnues de gens très connus comme Beethoven, mais aussi des Alkan, des Bizet, du Hugon, du Louvier, etc., autant d’œuvres que peu de mélomanes peuvent prétendre connaître sur le bout des doigts ou du cœur ! Jean-Pierre était ravi.

J’en reviens à la seconde partie de ma question précédente : aviez-vous conscience de l’entreprise dans laquelle vous vous engagiez ?
Je ne savais pas que nous partions pour deux ans d’un boulot très intense, non. Quel chantier ç’a été ! Il a d’abord fallu faire venir tous les masters de l’INA. Cela correspondait à plus de quatre-vingt œuvres ! Par conséquent, il a fallu faire un choix.

 

 

 

« Le coffret Skarbo mêle trois siècles de musique »

 

Vous avez retenu soixante-quinze pièces. Qu’est-ce qui a guidé cette première élimination ? Votre satisfaction à la réécoute, un souci de cohérence dans la programmation ou d’autres critères ?
Bon, déjà, il y avait longtemps que je n’avais pas réécouté mon travail. Dans un premier temps, je devais être rassurée sur la qualité de ce que j’avais produit.

Votre intuition s’est-elle révélée juste ?
Oui, j’étais très contente de ce que j’écoutais. Parfois, je me disais même que j’étais allée au bout de l’idée que je me faisais de l’œuvre ; et parfois, aussi, certains aléas tempéraient mon enthousiasme.

Par exemple ?
Il y avait une très belle sonate pour cor et piano. Hélas, le jour de la captation, le corniste n’était pas dans sa plus grande forme… Par ailleurs, certaines prises de son n’étaient pas à la hauteur du projet que j’envisageais.

À ces problématiques artistiques et techniques ont dû s’adjoindre des problématiques pécuniaires…
[CHRISTIAN CLOAREC prend la parole :] je ne sais pas si cela peut intéresser les gens, mais force est de reconnaître que, aujourd’hui, il est très difficile de faire un disque quand on n’est pas dans une major et qu’on n’a pas une surface médiatique comparable à celle que, mettons, Maurizio Pollini avait. Dans la réalité, faire un disque n’est pas rentable.

En d’autres termes, il faut se résoudre à travailler à compte d’auteur-interprète.
[CHRISTIAN CLOAREC :] oui, ce qui signifie qu’il faut trouver un financement.

J’imagine que le coût d’un coffret de dix disques se chiffre en dizaines de milliers d’euros. On estime parfois le coût d’un disque à cinq mille euros…
[CHRISTIAN CLOAREC :] le détail du chiffrage n’a pas à être rendu public, mais la proposition du label nous a paru très raisonnable pour un tel projet, même si nous avons dû lancer un crowdfunding pour qu’il soit soutenable. Ce financement participatif nous a permis de lever les deux tiers de la somme exigée par Skarbo.

Vous avez récolté 14 000 €. C’était un franc succès.
[SYLVIE CARBONEL :] oui, un franc succès et un succès inattendu !
[CHRISTIAN CLOAREC :] … mais quel travail pour y parvenir !
[SYLVIE CARBONEL :] des courriels, des relances, des explications, des amis qui vous promettent monts et merveilles et qui, tantôt, vous les donnent généreusement, tantôt vous donnent trois sous ou ne vous donnent même pas le moindre centime !
[CHRISTIAN CLOAREC :] précisons qu’il est très difficile de monter une telle opération sans le soutien d’une plateforme spécialisée. Celle que nous avons choisie nous a aidés à présenter le projet, argumenter, échafauder des contreparties et à être efficaces sur les six semaines que durent le défi… et l’angoisse ! D’autant que nous avons commencé en octobre 2022 à prévenir nos contacts, et la campagne n’a pris fin victorieusement que le 12 mars 2023.
[SYLVIE CARBONEL :] le résultat est là, et j’en suis contente.

 

 

 

« Personne n’est obligé d’avoir envie d’écouter 1 h 20’ de musique »

 

Le montage financier était à la fois un aboutissement et un début…
Oui, il restait beaucoup à faire, mais l’objectif était clair : traduire l’amplitude de mon répertoire. Il mêle Scarlatti, Bach, Beethoven, Chopin, Schumann, Brahms, Prokofiev, Messiaen, Desbrière, bref, trois siècles de musique.

Comment avez-vous organisé le corpus ?
Nous disposions de soixante-quinze œuvres, certaines très connues, d’autres très confidentielles. Il y avait deux disques déjà prêts : le Moussorgski et le Chabrier. Après, il fallait ventiler piano solo, musique de chambre et orchestre. Nous avons essayé de privilégier la cohérence. Ainsi, nous avons consacré un disque à la musique française ; le quatrième disque a pris la forme d’un récital où l’on a mis des œuvres agréables à l’écoute comme la Quatrième ballade de Frédéric Chopin ou un Intermezzo de Johannes Brahms, en concluant par un chef-d’œuvre d’Enrique Granados, El pelele.

Malgré l’ampleur de votre répertoire, on ne vous attendait pas forcément dans Granados.
J’ai appris cette pièce pour un concours international qui se déroulait en Espagne… et auquel j’ai finalement renoncé ! Après, il y avait un autre bloc avec les grands duos pour violoncelle et piano d’Edvard Grieg et de Sergueï Prokofiev que je joue avec Hervé Derrien. Il y a aussi le si beau Trio op. 114 de Johannes Brahms, que je joue avec les merveilleux Michel Portal et Roland Pidoux… et beaucoup d’autres merveilles à découvrir !

Outre l’architecture solide de l’ensemble, votre coffret semble pensé pour une écoute sinon continue, du moins suivie. J’en veux pour preuve le fait que vous avez organisé des disques de durée variable, souvent bien garnis mais parfois de seulement 40’…
Oui, on a osé. La recherche de la cohérence primait. Certes, si on achète un disque de 40’, on peut avoir l’impression d’être lésé. Mais, quand on dispose d’un coffret de dix disques, un album plus court, ce n’est pas choquant. Même si on adore la musique, personne n’est obligé d’avoir envie d’écouter 1 h 20 de musique d’affilée dès qu’il met un disque dans son lecteur !

 

 

À suivre…

 

Retour en transmédiaticité

Photo : Rozenn Douerin

 

Enfin un post avec un titre qui claque, non ? En voici la traduction. Pendant dix ans, au Mans, à Rennes, à Bordeaux et à Toulouse, j’ai enseigné à l’université, notamment en

  • littérature,
  • édition et
  • traduction pour la jeunesse.

J’ai soutenu une thèse de littérature très comparée sur le sujet. J’ai publié

dans ces domaines, les livres étant toujours disponibles aux Presses Universitaires de Rennes. Même si je suis un peu sorti du game pédagogique, je suis forrrrrrrt ravi et fier de revenir à la fac comme invité de la table ronde de la Quatrième biennale de littérature pour la jeunesse de l’université de Cergy-Pontoise, où j’échangerai avec

  • la plasticienne Isabelle Duval,
  • l’éditrice Charlotte Moundlic et
  • les étudiantes interviouveuses (pas la peine de s’offusquer, il semble qu’il n’y ait que des étudiantes, grâces à elles d’être dans la place !)

autour de la transmédiaticité dans la culture pour le jeunesse, et hop (en gros, pourquoi un livre pour la jeunesse n’est pas forcément qu’un livre en tant que tel, mais peut être issu d’un autre produit culturel comme

  • un film,
  • un joujou,
  • un jeu vidéo,
  • une série télé,
  • une marque quelconque, etc.),

une question que j’ai longtemps arpentée, par exemple au sujet du sacro-saint Petit Prince.

 

 

Cela s’annonce palpitant :

  • le projet de cette biennale a l’air habilement ficelé,
  • l’approche envisagée par les intervenants retenus est multiple, et
  • la table ronde promet de tourner.

M’est avis que l’on va bien réfléchir, rire et, j’espère, s’écharper – avec l’aide d’un large public serait un plus positif, évidemment. Avant de revenir incessamment à plus de notules sur la musique savante, à commencer par anthèmes de Pierre Boulez (ça, ça rigole pas, ce me semble), rendez-vous ce 27 juin 2024 à 17 h à l’ex-IUFM devenu INSPÉ, c’est hyperplus classe, sis à Genevilliers, ce jeudi à 17 h.


Problématiques du colloque ici.
Programme des festivités .
Rendez-vous à l’INSPÉ de l’Académie de Versailles | ZAC des Barbanniers | Avenue Marcel Paul | 92 Genevilliers

 

« À quelques chèvres près » : jour J pour le nouveau tour de chant !

Au Backstage Montrouge (92), le 8 février 2024. Photo : Rozenn Douerin.

 

Chaque année, au moins un nouveau tour de chant. L’on donna environ le programme de celui-ci ici. En bref : paroles, musiques, saxophone et autres billevesées.
Pour fêter ça, j’apprends que des collègues ont ressorti ce tout tantôt une vieille interviouve de moi dans feue l’émission de Jacky, à propos d’un double disque disponible sur cet hyperlien ou chez les distributeurs de streaming.

 

 

Pour l’actualité, c’est ce mercredi 26 mai, au théâtre du Gouvernail (Paris 19). Durée : 1 h 10. Réservations . Reprise des cyberbaguenaudages en musique savante incessamment.

 

 

Quand Nora Gubisch redevenait chanteuse

Nora Gubisch telle qu’en elle-même. Photo : Bertrand Ferrier.

 

C’est un entretien hors norme, accordé à un moment où l’une des artistes lyriques dont notre pays s’honore redécouvre, après le Covid, qu’elle est chanteuse. Affriolée (je tente) par cette révélation, elle

  • invente de nouveaux projets,
  • raconte ce qu’est la vie d’une chanteuse n’ayant plus le droit de chanter,
  • échafaude,
  • rigole,
  • tremble,
  • redécouvre,
  • revit.

Alors qu’elle s’apprête à faire trembler à la rentrée les spectateurs et les dieux en Erda dans Siegfried, à la Monnaie, celle qui, avant de gagner l’aventure du Rhin, incarna – entre autres – tant

  • une phénoménale Carmen qu’une
  • mélodiste sans frontières et une
  • incandescente Judit de Barbe-Bleue

prenait le temps, il y a pile trois ans de cela, de s’entretenir avec nous pour verbaliser son expérience artistique et humaine, riche en émotions, telle que sa sensibilité bouillonnante et lucide lui permettait de la vivre – et de nous la faire vivre ! Après un premier rendez-vous plutôt destiné à ses futurs confrères alors en formation au CRR de Paris, un second volet s’imposait. En voici la palpitante rediffusion.