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L’autre toccata

Au grand orgue de la collégiale Saint-Martin de Montmorency (Val-d’Oise). Photo : Bertrand Ferrier.

 

Cosy, à l’ombre de la célèbre BWV 565 de Johann Sebastian Bach, au côté de nombreuses pairesses toutes plus vibrionnantes les unes que les autres, la « Pastorius toccata » est l’une des rares œuvres écrites par Yannick Daguerre à avoir survécu à la mort prématurée du maître – à ma connaissance, si l’on excepte la messe utilitaire écrite en tant qu’organiste liturgique, c’est même la seule avec l’« Ave Maria » conservée par Auriane Sacoman. Éditée par le festival Komm, Bach! grâce aux bons soins d’Esther Assuied, elle

  • pulse,
  • swingue et
  • secoue,

emportée par la fougue stylistiquement œcuménique, et hop, du compositeur. Pour rendre raison de sa puissance, il faut

  • un orgue ad hoc (sur la vidéo infra, rien moins que le trois-claviers dont Yannick était titulaire),
  • une acoustique enveloppante mais précise (ici, la collégiale de Montmorency où Yannick a enregistré cette pièce) et
  • un interprète en titane (ici, Vincent Rigot, six premiers prix du CNSM, un DE, un CA, un post jadis à Saint-Louis-en-l’Île, un passage à Saint-Roch et désormais le titre de titulaire de Saint-Eugène-Sainte-Cécile).

Ça tombe bien : on a réuni tout ça pour la grandiose péroraison d’Échos et murmures, le concert-hommage à YD fomenté fin septembre 2024 dans l’un des plus beaux lieux de culte catholiques du Val-d’Oise ; et le résultat est enfin disponible sur YouTube !

 

 

Irakly Avaliani joue « Un autre Mozart » (2006) – 2/5

Quatrième du disque

 

Nos aventures dans les eaux mozartiennes, à bord de la frégate Irakly Avaliani, se poursuivent avec la sonate en Ré KV 311, composée fin 1777. Trois mouvements au programme, dont un rondeau, ce qui fait écho au premier morceau chroniqué tantôt. L’allegro con spirito liminaire associe

  • allant du tempo,
  • tonicité des doubles et
  • énergie bondissante des staccati.

Avec vigueur, compositeur et interprète enquillent

  • trilles frétillantes,
  • fringantes appogiatures et
  • festonnants traits de doubles croches legato.

Le pianiste sait mêler avec finesse

  • suspension du discours,
  • fougue des octaves qui bariolent,
  • plaisir du babillage modulant,
  • art du phrasé,
  • pertinence de l’accent qui relance le propos, et
  • swing des deux-en-deux.

 

 

L’andante con espressione, à deux temps et en Sol, confronte

  • netteté des notes détachées et résonance de la pédalisation,
  • gourmandise des nuances douces et puissance des sforzendi,
  • charme de la mélodie et inclination pour un développement circulaire.

L’allure posée qu’a choisie l’interprète sied à la langueur du mouvement qu’électrisent quelques

  • contrastes,
  • surprises et
  • accélérations bienvenues
    • (triples croches,
    • trilles et
    • prompts ornements)

dont Irakly Avaliani fait son miel et le nôtre.

 

 

Le rondo allegro en 6/8 revient en Ré et assume sa volonté de mordre la célérité à pleines notes (je sais, c’est pas très clair, mais je tente quand même).

  • Volontarisme de l’anacrouse qui précipite l’action,
  • balancement du ternaire et
  • faux déséquilibres entretenus par de nombreuses appogiatures en forme de ressorts

dégoupillent le dernier mouvement. La joyeuse grenade est lancée.

  • Des segments nettement différenciés
    • (traits de doubles,
    • notes répétées,
    • cavalcades descendantes,
    • accords qui évoqueront aux mélomanes tel golden hit d’un opéra de WAM),
  • des silences tenant parfois lieu d’interludes,
  • des modulations proposant de nouvelles pistes de développement

caractérisent la première partie du mouvement, que suspend manière de microcadence allant de l’andante à l’adagio en passant par un trait chromatique ascendant balancé presto… avant que l’affaire ne redécolle sur les bases précédentes.

 

 

  • L’aisance digitale de l’interprète,
  • sa science de la caractérisation et
  • sa capacité à transformer
    • un bariolage en moteur,
    • un silence en question,
    • une démonstration de virtuosité en musicalité intrigante

nous obligent à admettre, dans notre grande bonté, que, malgré notre peu d’appétence spontanée envers la musique de Wolfgang Amadeus Mozart, soit, c’est un fait, nous avons hâte d’écouter la sonate en la pour la chroniquer prochainement. Mais attention, elle a intérêt à être bien !


Pour écouter gracieusement le disque en intégrale, c’est, par ex., ici.
Pour réserver en vue du concert Beethoven avec lequel Irakly Avaliani fêtera ses 75 ans dont 65 de carrière, c’est, par ex., .

 

Fruits de la vigne – Sauvignon gris 2023 par les frères Paquereau

Photo : Bertrand Ferrier

 

14 variétés de raisins, 26 cuvées différentes et des étiquettes parfois plus design que claires pouvant nous inviter à nous arracher un œil (quand on n’a pas la réf, il est heureux de trouver curieuse une telle invitation) : aux mains de Cyrille et Sylvain Paquereau, le domaine de l’Épinay – qui, ô surprise ! a perdu son accent (alors que le « à » de « À la nantaise » s’est bien accroché au sien), désormais une vilaine habitude sur les étiquettes de bouteille – revendique sa créativité. Ici à l’honneur, le fié gris est cultivé en « biologique » et délivre en 2023 un jus affichant 12,5° au compteur.
La robe arbore une teinte très légère,

  • plus claire que crème,
  • plus crème que jaune et, on y revient,
  • plus translucide que crème.

Le nez, très doux, se révèle

  • équilibré,
  • constant et
  • légèrement agrumé, entre clémentine et pamplemousse.

La bouche est surprenante.

  • Son attaque est délicate mais présente ;
  • sa consistance frisotte un enrobé presque beurré ; et
  • sa persistance est notable avec une belle résonance dans les naseaux.

Le mariage avec un œuf mollet accompagné d’une purée de homard et de quelque crevette (trop rare, hélas, comme toujours) est particulièrement réussi.

  • La rectitude du vin se révèle plus nettement devant la rondeur du plat ;
  • la pointe acidulée du nectar dialogue joyeusement avec l’ambiance plutôt sucrée du mets ; et
  • le beurre de la cuvée propose un liant propice au mélange des saveurs.

Un chouette moment, comme eût dit le petit Nicolas en espérant, plus tard, devenir multicaviste.

 

Elvin Hoxha Ganiyev joue les sonates pour violon d’Eugène Ysaÿe (Solo musica) – 1/6

Première du disque

 

Un jour, il faudra bien que les héritiers de Johann Sebastian Bach, selon une procédure bien connue des États soumis qui piochent dans les poches de leurs citoyens pour assouvir

  • leur inclination lacrymale,
  • leur goût pour la guimauve et
  • leur plaisir de satisfaire les wokistes intéressés et les historiens grassement payés pour refaire l’Histoire
    • (la France, c’est structurellement caca,
    • De Gaulle, c’est génialement gentil,
    • les blancs, c’est ontologiquement esclavagisto-andropèto-masculiniste),

payent pour le trauma que leur aïeul a infligé aux musiciens en général et aux compositeurs en particulier. Ce jour-là, les héritiers d’Eugène Ysaÿe toucheront une part du pactole, puisque le violoniste belge a eu envie de fomenter une partition pour violon seul – son opus 27 publié en 1923 – en écoutant Joseph Szigeti, dédicataire du premier numéro, jouer les sonates et partitas dudit JSB. D’autant que, sur les six numéros, quatre sont en mineur et les deux derniers en majeur, selon la nomenclature Bach. M’est avis que le délit d’emprise est établi.
Elvin Xhoxha Ganiyev, né en 1997, doté d’un Guarnieri et d’un archet d’Eugène Sartory, quoique soucieux de « diffuser la musique composée par des artistes issus des minorités » (en Turquie, ça ne doit pas manquer, sauf si on est du bon côté de l’intolérance…), remet sur le devant de la scène cette problématique grâce à son intégrale des six sonates publiée chez Solo musica. La première, en sol mineur et quatre mouvements, s’ouvre sur un « grave » ternaire floqué « lento assai ». L’interprète en rend la tension insensée voire impossible, entre

  • graves, justement,
  • aigus et
  • dissonances.

La prise de son très proximale surroundolbyse, et hop, sans doute trop le projet – en soi spectaculaire – et la respiration du violoniste, mais ce choix technique ne rabat rien sur la virtuosité gourmande de l’interprète. Entre secondes et tierces, celui-ci travaille l’expressivité

  • des intervalles,
  • des changements de registres et
  • des techniques d’attaques sollicitées.

Le fugato binaire joue sur le chromatisme frictionnant les doubles cordes, les logiques rythmiques sollicitant parfois les grognements de l’artiste (1’08).

  • Travail sur les micro intervalles,
  • expressivité des mutations d’intensité,
  • malice de la polyphonie univoque et
  • agilité spectaculaire

subliment la technicité impressionnante et néanmoins musicale du jeune interprète relevant les défis semés par son lointain collègue. L’allegretto poco scherzoso se veut « amabile ». Il défie

  • l’unicité rythmique,
  • la rigueur monodique mais pas le
  • brio technique propre aux doubles cordes confrontées à la liberté discursive qui alimente le défi technique de la sonate.

Le finale con brio affiche

  • énergie du propos (« allegro fermo ») et tonicité du développement,
  • science de l’agogique et
  • incroyable liberté technique dans les sixtes.

C’est

  • très expressif,
  • très brillant,
  • très admirablement investi.

Pourtant, à ce stade, il nous manque, as far as we’re concerned, le p’tit truc qui fait que l’on n’applaudirait pas le premier de la classe mais, aussi, le mec qui nous fait vibrer. Vivement la deuxième sonate, sans doute !

 

À suivre…


Pour découvrir le disque, c’est ici.

Irakly Avaliani joue « Un autre Mozart » (2006) – 1/5

Quatrième de couverture du disque

 

Un autre Mozart ? Tant mieux. Si, tant mieux car

  • le petit HPI qui écrivait ses concerti à trois ans pendant que ses compères de la crèche jouaient à se fracasser le crâne à coups de hochets en bois,
  • le joli cœur qui remplissait des pages de bariolage à cent sous la minute pour un résultat à peu près aussi passionnant que le monologue aux oiseaux du Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen,
  • le génie malade qui meurt en écrivant son propre requiem commandé par la Faucheuse en personne,

tous ces clichés quasi sulpiciens et la cohorte de musique qui l’accompagne, censée être géniale alors qu’elle est souvent presque aussi

  • navrante,
  • banale et
  • ennuyeuse

qu’une sonate pour flûte alto de Georg Philip Telemann jouée sur instruments d’époque par un consort subventionné à grands frais, jouant dans de petites chapelles sous l’éclairage feutré, tamisé et vacillant de bougies électriques, on aura bien senti que ce n’est pas notre came. En revanche, quoi de plus stimulant que de mettre ses propres clichés à l’épreuve de la musique ?
Voilà long de temps que nous avons observé une bizarrerie à la limite de la diablerie. Des pianistes que nous estimons – tels Jean Muller, Christian Chamorel et, en l’espèce, Irakly Avaliani – s’astreignent à explorer l’immense catalogue mozartien pour clavier. Comment des musiciens doués et sensés peuvent-ils dépenser leur énergie et leur temps à jouer des fadaises ? La dissonance entre la gourmandise pour Mozart dont témoignent ces interprètes remarquables et notre peu d’appétence pour cette musique suscite notre curiosité, sur l’air du : et si c’était pas si nul que ça, en réalité ? Irakly Avaliani va très loin dans la provocation en écrivant qu’

 

un seul accent au milieu de la phrase de Mozart peut provoquer plus de désarroi que toute la grosse machinerie romantique du dix-neuvième siècle.

 

Pour l’instant, j’aurais tendance à pouffer ; alors au travail, mon colon ! Et le disque, présenté par Tzvetan Todorov, rien que ça, de commencer par le troisième rondo de WAM, un andante en la mineur écrit en 1787 et mesuré à six croches par mesure. Le pianiste en cisèle l’incipit volontiers chromatisant par l’association entre

  • une nuance piano,
  • un phrasé précis et
  • un sens délicat de l’attaque.

Sans alourdir par une agogique excessivement souple les respirations ménagées entre les différents segments qu’accole (avec un seul « l ») le compositeur, l’interprète fait cliqueter les éléments dynamisant la sage pulsation de la main gauche, notamment

  • les anacrouses,
  • les appogiatures,
  • les trilles et, plus généralement, les nombreux ornements.

 

 

On goûte

  • la légèreté de la pédalisation,
  • l’étagement des voix quand elles se retrouvent trois à discuter, et
  • les contrastes d’intensité.

Malgré une interférence grave qui surprend l’auditeur (3’11-3’17), l’oreille se concentre sur la veine

  • modulante,
  • chromatique et
  • alternante (tantôt le travail sur la mélodie est premier, tantôt le travail sur l’harmonie prend le lead)

de la partition. Un segment central,

  • en mode majeur,
  • largement staccato et
  • volontiers doublement ternaire

ravive l’intérêt de la proposition. Le compositeur et son porte-voix jouent à la fois sur

  • la fragmentation d’un discours changeant,
  • le plaisir du développement et
  • l’agencement entre ruptures et continuité dont témoignent les oscillations tonale et modale.

En effet, le moment solaire en majeur s’effrite soudain pour laisser place à la réexposition du premier sujet – mineur – du rondeau,

  • réinvesti,
  • enrichi et
  • devant presque obsessionnel.

Une dernière péroraison partagée par dextre et senestre permet d’apprécier l’art du toucher cher à Irakly Avaliani et achève de nous convaincre que, va, bien que ce soit du Mozart, il semblerait bien que nous eussions hâte d’ouïr la suite. À suivre, donc !


Pour écouter gracieusement le disque en intégrale, c’est, par ex., ici.
Pour réserver en vue du concert Beethoven avec lequel Irakly Avaliani fêtera ses 75 ans dont 65 de carrière, c’est, par ex., .

 

L’autre vol du bourdon

Pierre-Marie Bonafos le 26 juin 2024 au théâtre du Gouvernail (Paris 19). Photo : Rozenn Douerin.

 

Peut-on être cool et avoir le bourdon ? C’est ce genre de question presque aussi métaphysique que philosophique, et vice et versa, que Pierre-Marie Bonafos et moi avons affronté en élaborant le menu du concert intitulé Une histoire du cool, donné en la prestigieuse chapelle du Val-de-Grâce le 3 novembre 2024. La réponse à la question ayant rapidement été trouvée (« oui »), voici un extrait du récital, via un standard de Pierre-Marie.
Ceux qui se creusent la tête pour trouver une idée de beau cadeau musical à glisser sous le sapin peuvent d’ailleurs doublement se réjouir, puisque quelques exemplaires de son disque autour des Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgsky sont encore disponibles ici, et le disque est super (suivez-moi pour plus de critiques parfois concises).

 

 

Ex-Norma, « Au Vivat 30 ans après » (Le grand grabuge) – 2

François Marzynski, le 22 décembre 2023 au Vivat (Armentières). Capture d’écran tirée du film de Jean-François Devos édité par Jean-Marc Boël.

 

Nous avons quitté les foufous d’Ex-Norma en train de danser avec les macchabées, macchabées, macchabées. Nous les retrouvons avec « La métamorphose du chef sioux », une chanson signée François Marzynski et Yann Allano. On s’amuse d’écouter cet air blanchi sous le harnais, avec des jeux de mots dignes de Bertrand Ferrier (« je n’ai plus de Sioux ») et un exotisme topique alla Disney à faire frémir un woke, et le « e » final indique que je ne parle pas d’un ustensile pour cuire des légumes à la chinoise. Le visionnage en continu du concert permet d’apprécier le soin apporté aux transitions, qu’elle soient

  • tuilées,
  • parlées ou
  • contrastantes.

Deux chansons de Jean-Marc Fontaine suivent et nous obligent à avouer notre insensibilité aux paroles et aux mélodies du guitariste. Les interprètes tentent d’habiller « Drapeau blanc » d’une aura acoustique qui s’électrise un chouïa grâce au solo de gratte, puis le miracle advient. Jean-Claude Hujeux, prodigieux bassiste-paysan (c’est lui qui se définit ainsi) croisé dans L’Intermittent (titre provisoire), confirme son excellence enthousiasmante avec une modestie scénique qui lui sied bien. Il est aussi de service dans « L’épave », la seconde chanson de JMF qui nourrit notre scepticisme quant à notre compatibilité avec les créations du gratteux. Le formidable bassiste s’impose par un solo planant au-dessus du vide stéréotypé des paroles. Ce n’est pas juste une question de technique, bien que celle-ci soit époustouflante : c’est de musique qu’il s’agit, avec

  • du souffle,
  • de la présence et
  • de l’attention
    • à l’harmonie,
    • à la note et
    • à la pulsation.

Magistral ! « Le train », de François Marzynski et Christophe Patte, se présente alors comme une chanson atmosphérique et persiste dans le mid-tempo évocateur qui a désembrasé – et hop – la scène. Un solo de guitare sans excès démonstratif précède un joli break. Avec métier, le chanteur crée du liant entre les musiciens : c’est aussi son rôle ! « Bonne santé pour intérim » renoue avec la veine Jean-Marc Fontaine, où nous échouons à nouveau à nous enthousiasmer devant

  • un texte sans aspérité,
  • une mélodie qui se dérobe,
  • des trouvailles harmoniques qui se font attendre et
  • un beat dont nous peinons à sentir le groove.

 

Jean-Claude Hujeux, le 22 décembre 2023 au Vivat (Armentières). Capture d’écran tirée du film de Jean-François Devos édité par Jean-Marc Boël.

 

Néanmoins, la fin, joliment synchronisée, montre que le groupe (feat. JMF) n’omet pas d’essayer de pulser afin de raviver la flamme avant « Allegro Jo », une chanson écrite en 1986 par François Marzynski et Michel Hujeux. La fredonnerie rappelle l’essence de la musique pop et la conviction de tant de chanteurs qui veulent d’l’amour au moment qu’ils le disent et à la place qu’ils le disent. Version Marzynski, ça donne : « Tu n’as personne dans ta vie / Rejoins la chanson / Ça va te changer. » Soli guitare et voix permettent au public de taper dans les mimines avant une nouvelle jolie synchro finale, qui rappelle que ceci n’est pas un spectacle de MJC mais bien un truc de gens qui ont failli être les Oasis de la chanson en français. « Tous les interdits », le tube espéré écrit par Michel Hujeux, le claviériste, s’agrémente d’effets spéciaux dans le DVD édité par Jean-Marc Boël.

  • Ambiance slow,
  • vintage assumé,
  • désir inchangé de musiquer pour « faire l’amour » :

les critères de la chanson d’époque sont là et s’enhardissent encore dans les « Nuits parallèles » dont rêvait François Marzynski en 1988. Avec son bagout de camelot pas dupe de lui-même, constitutif du personnage scénique qu’il s’est créé, il prélude à sa chanson en la présentant comme un titre qui « aurait pu être le générique d’un feuilleton de campus américain ». En tout cas, l’auteur-compositeur-interprète est formel : avec cette bombe, il compte « enterrer Elton John et Billy Joel » pour récupérer leur public et (ou donc) la belle qui l’a quitté. Sans être un tube caricatural, le titre est un slow qui assume et son efficacité, et sa singularité, et où

  • le batteur et son fiston travaillent leurs combinaisons sonores ;
  • les guitaristes adaptent leurs sonorités au style du morceau ;
  • le second degré est justement ostracisé, même si l’indispensable solo de gratte post-coda fait forcément sourire ; et
  • le texte est interprété avec l’intensité sans relâche qui caractérise le chanteur.

C’est la force proprement jubilatoire de ce concert que de jouer sur la tension et non la contradiction entre musique à consommation immédiate d’antan et pérennité de la date limite de consommation. « Batida de Coco », de François Marzynski et Yann Allano, le confirme en marquant l’arrivée du vaillant grand-père du percussionniste (et donc père du batteur). Pas de chougne sur ce combo trigénérationnel, juste une idée

  • judicieuse,
  • intime,
  • efficace :

bien joué. Les ex-futures stars sont comme tous les fredonneurs en particulier et tous les zicos en général : elles veulent du soleil sur quatre accords. Dans le public, les femmes s’approchent pour danser (un couple aussi, de sorte que l’on devine qui tient le lead dans ce duo). La froideur de la fin décembre et la tendance au gris d’Armentières s’éclairent à la chaleur de l’ambiance tube de l’été qui résonne au Vivat. Certes, le solo de clavier est mal valorisé par le mix, mais Michel H. y démontre

  • une ténacité,
  • une tonicité et
  • une créativité tranquille

qui vibrent bien.

 

Michel Hujeux et les fourneaux du temps qu’ils étaient jeunes, le 22 décembre 2023 au Vivat (Armentières). Capture d’écran tirée du film de Jean-François Devos édité par Jean-Marc Boël.

 

Ensuite,

  • le triple solo mauricien des percussionnistes « le fait grave », ainsi que l’on eût dit jadis ;
  • le break déchaîné et dialogué qui les foudroie rayonne d’efficacité, eh oui ;
  • le chanteur endosse à nouveau avec pertinence son rôle chéri de musicien-réalisateur ;
  • le bassiste et le claviériste expriment leur plaisir d’être sur scène par la musique ou par la voix.

C’est ça, même, c’est ça ! Souvenance d’antan, deux titres anglophones surgissent soudain. D’abord le « Evil Ways » popularisé par Santana (l’origine du titre n’est pas à 100 % attribuée à Carlos), avec Éric Brousse à la guitare solo : quelle intervention

  • puissante,
  • juste,
  • percutante

du musicien en intro ! Trois notes suffisent quand

  • le son,
  • le rythme et
  • l’esprit

surgissent comme inopinément. Le texte narre l’histoire d’un type trompé qui, en rentrant chez lui, se sent « like a clown ». Néanmoins, l’ambiance est festive, ce qui pourrait surprendre si l’on oubliait que, longtemps, l’hymne des mariages fut « I will survive », éloge fougueux du célibat retrouvé. Les percussionnistes assurent la pulse, et le clavier s’offre un solo à nouveau sous-produit, propre donc un peu sage à nos esgourdes (on aurait bien aimé qu’il devînt foufou vers le finale, boudu !). « Long train running », écrit par Tom Johnson – pas le compositeur minimaliste, évidemment – a été popularisé par les Doobie Brothers – une référence pour les Ex-Norma d’alors – après son remix par Bananarama en 1991. L’incroyable Jean-Claude Hujeux revient pour offrir au titre un groove

  • puissant,
  • lourd et
  • aérien à la fois.

Pas du tout au sens husserlien, il faut se rendre à l’évidence : il est vraiment, il est vraiment phénoménal, ce zicos !

 

Jim Bachun, le 22 décembre 2023 au Vivat (Armentières). Capture d’écran tirée du film de Jean-François Devos édité par Jean-Marc Boël.

 

Se joignant à la danse, un étranger investit la scène. David Krüger, le photographe, clique à tout-va et fait les chœurs – pas toujours pile poil très justes mais, dorénavant, qu’importe !

  • Le clavier opte pour un solo vintage ;
  • Loïc Bachun enflamme la salle ;
  • avant le guitariste, Jean-Claude Hujeux défonce tout : il y a
    • du son maîtrisé,
    • de la virtuosité joyeuse et
    • de la perfection dans la construction du solo.

C’est euphorisant. Pour terminer fort le concert, Ex-Norma envoie « Autour de la Terre » de François Marzynski et Michel Hujeux. Le titre ouvrait l’album enregistré en mars 1993. C’est donc une façon symbolique de boucler un voyage forcément circulaire puisque « tout commence à Armentières et tout finit à Armentières », du moins pour ces ex-jeunes-là.
Aspirés par une ambiance reggae de belle facture, les enfants se rapprochent pour danser même si les gamines moovent moins leur booty que les vieux venus s’enjailler. Sans perdre en rigueur, les artistes finissent de se détendre. François Marzynski profite des instrus pour se muer une dernière fois en cadreur sauvage. Comme chez les stars du rock, la gratte rythmique se rapproche de la six-cordes lead pour le solo. Ados et préados gagnent la piste de danse improvisée.
Les enfants se laissent contaminer par le souffle chorégraphique qu’activent les musiciens. De part et d’autre de la scène, ça s’éclate. Un « Je t’aime » mutuel conclut la fusion entre groupe et public, couronnant ainsi une performance de haute volée, qui

  • chasse la naphtaline à coups de décibels,
  • accepte le temps qui passe sans se réfugier dans le regret ce qui ne fut pas, et
  • rappelle que c’est parfois dans les vieux pots qu’on fait les meilleurs punchs.

Le résultat suscite le respect du spectateur et l’envie de parler de cet événement étonnant, presque au sens étymologique du terme. D’où cette double chronique !


Contact : le grandgrabuge@laposte.net

 

Fruits de la vigne – Le vieux mûrier 2022

Photo : Bertrand Ferrier

 

Trop souvent, la dichotomie aristotélicienne suffit à comprendre le monde. Par exemple, l’on peut distinguer sans coup férir

  • le bon grain de l’ivraie,
  • les macronocompatibles des gens fréquentables, et
  • ceux qui aiment ce site des butors.

Heureusement, il arrive que la réalité se dérobe au rythme binaire de la partition et oppose au beat disco une oscillation plus stimulante pour la boîte à neurones qui est censée couronner notre corporéité. Ainsi de ce crozes-hermitage conçu par Florian Buit, qui

  • s’est occupé des vignes,
  • a supervisé les vendanges mais
  • n’a pas embouteillé lui-même ce vin de prestige.

Et pour cause : en attendant la construction d’un chais perso, son jus est hébergé dans la cave de Jean-Louis Chave, mentor et voisin dudit Florian. Or, cette opération, d’apparence anodine, s’accompagne, sinon d’une transsubstantation, du moins d’un changement de nature : le vin de récoltant devient vin de négociant.
La nouvelle terminologie est a priori moins prisée des fines bouches car le statut de négociant permet aux aigrefins de tripatouiller fonds de cuve et invendus pour créer une vinasse presque aussi honnête qu’un gouvernement associant une ministre de la transition écologique à une ministre de l’agriculture se démenant pour développer tout azimut des intrants phytosanitaires (quel dommage que cette dangereuse fumisterie barniérique ait été victime d’une motion de censure !). Cependant, et nous l’avons constaté dans cette rubrique, la prévention que la dénomination de « vin de négociant » entraîne est parfois totalement injustifiée. Il arrive fréquemment que tel vin de négociant bien intentionné ne se révèle pas moins sapide et singulier que certains de ses concurrents, compères et collègues aux étiquettes plus prisées.
L’étiquette est d’ailleurs le point faible de la bouteille, en dépit de sa sobriété élégante. En effet, le cinquième millésime du « Vieux mûrier » a oublié son accent circonflexe. Partant, il remet un coin dans notre juke-box inauguré tantôt : comment peut-on faire des trucs aussi compliqués qu’un vin et omettre de faire relire son étiquette par des gens qui,

  • nuls en fermentation alcoolique ou malolactique,
  • incompétents en piégeage ou soutirage,
  • démunis face à tout projet d’éraflage ou d’entonnage,

sauraient néanmoins éviter cette cagade pour, finalement, pas super cher ? Certes, l’essentiel est ailleurs, comme on disait dans le Sentier, et un petit chapeau pointu n’est peut-être qu’un détail ; ce nonobstant, pour reprendre l’analyse de Muriel Robin quand elle était chef de chantier plutôt que

  • collectionneuse de subventions publiques,
  • pleurnicheuse en chef,
  • madone grassement rémunérée des causes consensuelles, et
  • lâcheuse d’élite sortie première nommée d’une promotion où, pourtant, la concurrence était féroce,

« votre chemise a des boutons, c’est un détail, mais avouez que, pour la fermer, c’est quand même plus pratique ». Enfin, donc, après ces considérations de dénomination et d’orthographe, apparaît le vin, un monocépage à la gloire de la syrah. Sa robe est marquée par

  • l’unité,
  • la densité et
  • l’opacité

du produit. Peu d’éclats rougeoyants. À la place, une belle densité qui augure d’un vin solide et charpenté. Le nez confirme ces auspices. On note

  • sa puissance,
  • ses notes de fruit confit et
  • sa finale de girofle

qui ajoute à la fermeté une petite pirouette à la fois gracieuse et appétissante. La bouche étonne. Partant sur une légèreté où le fruit semble se dissimuler derrière le gingembre, elle revendique

  • moins la rondeur chromatique qu’un à-plat de couleurs,
  • moins l’étagement des saveurs que leur confrontation synchronique, et
  • moins l’explosivité propre à certains monocépages syrah qu’une forme de stabilité gustative se prolongeant en fade out.

Peut-être la dégustation est-elle perturbée (ou rendue spécifique) par certaines interférences. D’une part, il est évidemment envisageable que la quille aurait gagné à rester en cave quelques années de plus, d’où la sensation d’un potentiel profond associé à une linéarité gustative, au lieu de la perspective 3 voire 4D que l’on attendait. C’est entendu, mais l’impatience, si elle peut être saccage, est aussi hommage à la désirabilité des bouteilles ! D’autre part, son association avec de délicieuses pâtes fraîches au foie gras – merci à la maison qui, ce soir-là, n’avait reculé devant presque aucun sacrifice – n’est sans doute pas la plus immédiatement attendue. Pour autant, en bousculant les us et coutumes des logiques feutrées présidant aux accords mets et vins, elle souligne le charme d’un vin – généralement commercialisé aux alentours de 25 €, compter 5 € de plus chez les heureux cavistes qui ont obtenu un quota de cette cuvée annoncée comme confidentielle – qui sait être

  • soyeux,
  • ferme et
  • assez direct pour s’adapter au palais du curieux sans perdre son identité.

De la sorte, la création de Florian Buit ajoute du mystère au plaisir et évoque, à son corps défendant mais le siroteur a le droit de résonner (oui, avec un « é ») comme juste lui semble, cette confession d’Alicia Galienne :

 

Plus je me regarde dans cette eau lourde et profonde,
Plus la nuit se masque et va rejoindre le jour.
(« Les nocturnes », in : L’Autre moitié du songe m’appartient, Gallimard, « Poésie », 2020, p. 69.)

 

Bonnes nuits diurnes à tous, et belle joie aux patients pas malades qui dégusteront le jus quand il aura atteint maturité !

 

Bien accompagné 33 : basilique de Notre-Dame du Perpétuel Secours (Paris 11)

Manneken et Petit être céleste lors de l’expertise du grand orgue de la basilique Notre-Dame du Perpétuel Secours (Paris 11), le 1er décembre 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Voilà huit ans que je n’étais pas revenu à « NDdPS », la majestueuse basilique mineure de Paris où, quand j’étais organiste à mi-temps, j’étais convié l’été à jouer les messes dominicales. Profitant d’une coïncidence improbable, associant concert annulé mais remplacement non annulable (heureusement !) et proposition in extremis de Dominique Pasquier, j’ai tenté un come-back sur le gros instrument, restauré depuis mon dernier passage. Impossible cependant de revenir seul car, depuis, l’entreprise d’expertise de granularité sonore de Sleepy  & Compagnie a décidé de me coller aux basques dès qu’il me revient de ploum-ploumer un monstre qu’elle n’a pas encore scanné.

  • Respectée,
  • challengée (quoique jamais égalée) et
  • parfois dénoncée

par tel ou tel titulaire un peu plus que concon, faut bien le dire, la confrérie d’experts revendique plus d’une trentaine de hauts faits (hyperliens en fin de chronique) incluant une délicieuse polémique où un imbécile tenta d’impliquer l’évêché du 94 (avec un « v », l’évêché, pas un « m ») et le virtuose belgo-français désormais suissisé Jean-Luc Thellin. Grâce à la bêtise humaine, le tube de Sleppy & Partners reste donc curieusement l’expertise des tuyaux de Saint-Louis de Vincennes, mais la firme continue de tracer sa route depuis lors. En témoignait ce tout tantôt l’examen minutieux de l’orgue de Notre-Dame du Perpétuel Secours.

 

Manneken lors de l’expertise du grand orgue de la basilique Notre-Dame du Perpétuel Secours, le 1er décembre 2024. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Soutenu par Petit être céleste, son assistant du jour, Manneken, tout nouveau membre de la confrérie des experts en granularité sonore, n’a pas manqué d’apprécier l’ambition de cet instrument de Dargassies mix’n’matchant des tuyaux de plusieurs instruments. Même s’il lui est interdit de nous dévoiler le résultat précis de ses observations, il nous a glissé qu’il est

 

peu contestable que, en l’espèce, la ductilité de l’étagement sonore, fixe ou flottant, ressortit d’une picturalité chromatique englobante et ascensionnelle, d’autant que la franche libéralité de la proposition se déploie dans une acoustique à la générosité ciselée qu’il revient au musicien de modeler et de co-construire pour changer de logiciel en tant que tel avant d’en avoir gros. Tu n’sais pas dire autre chose, une fois.

 

Nous devons préciser que, pas plus que nous, hélas, l’individu n’avait, à notre connaissance, ni bu ni fumé avant son inspection minutieuse. Autant dire qu’il est probable que l’hurluberlu, puisqu’il a été envoyé par la plus fine start-up perpétuelle du market, a dû viser juste. Si personne n’a la moindre idée de ce qu’il a voulu dire, quelle importance ? C’est un expert, il expertise, point. À chacun de traduire selon sa sensibilité, comme pour une chanson du groupe ultramacroniste Indochine, ou de se laisser porter comme on le ferait sur les ailes d’un solo de free jazz de 25′ !

 

 


Retrouvez les aventures de Sleepy & Partners…

  1. … aux grandes orgues de la collégiale de Montmorency.
  2. … à l’église Saint-Marcel (Paris 13).
  3. … à l’église Sainte-Marie-Madeleine de Domont.
  4. … à l’église Saint-Martin de Groslay.
  5. … à l’église Saint-Louis de Vincennes.
  6. … à l’église Saint-Joseph d’Enghien-les-Bains.
  7. … sur l’orgue provisoire loué par Notre-Dame de Vincennes.
  8. … aux grandes orgues de la cathédrale de Gap.
  9. … aux grandes orgues de Sainte-Julienne de Namur puis de la cathédrale de Namur.
  10. … à l’église Notre-Dame de Beauchamp.
  11. … sur l’harmonium du temple protestant du Saint-Esprit (Paris 8).
  12. … à l’église de Taverny et à l’église de Bessancourt.
  13. … à l’église du Raincy.
  14. … à l’église de Notre-Dame du Rosaire.
  15. … aux grandes orgues de l’église Sainte-Marie des Batignolles (Paris 17).
  16. … aux grandes orgues de la chapelle du Val-de-Grâce (Paris 5).
  17. … aux grandes orgues de la basilique d’Argenteuil.
  18. … sur l’orgue Cattin de Notre-Dame de Vincennes.
  19. … sur l’orgue Mutin-Cavaillé-Coll de Saint-Georges de la Villette (Paris 19).
  20. … sur l’orgue Merklin de Saint-Dominique (Paris 14), une fois ou deux.
  21. … sur l’orgue Delmotte de Saint-André de l’Europe (Paris 8).
  22. … aux grandes orgues de la collégiale Saint-Jean de Pézenas.
  23. … aux orgues de l’Immaculée Conception (Paris 12).
  24. … sur l’orgue de l’église Sainte-Claire (Paris 19).
  25. … sur l’orgue de l’église Saint-Denis de Gerstheim.
  26. … sur l’orgue de l’église Saint-Saturnin de Nogent-sur-Marne.
  27. … sur l’orgue de Bécon-les-Bruyères.
  28. … sur l’orgue de Saint-Serge d’Angers.
  29. … sur l’orgue de la chapelle Ozanam (Paris 17).
  30. … sur l’orgue de la collégiale Notre-Dame de Vernon.
  31. … sur l’orgue du temple du Saint-Esprit (Paris 8).
  32. … aux deux orgues de la Madeleine (Paris 8).