
« Arborescences sonores » est un projet un rien dingodingue mené par Rachel Koblyakov et Florimond Dal Zotto afin d’explorer le répertoire de musique de chambre hors trios avec piano, trop communément joués. Leur seconde saison de concert commence donc par deux trios avec piano, parce que les règles sont faites pour être transgressées, comme dirait le gouvernement promouvant l’écologie tout en réautorisant des engrais qui, même au Vietnam en temps de guerre, auraient été considérés comme des outils pour commettre des crimes contre l’humanité. Heureusement, nous sommes ici en compagnie plus empressée qu’empoisonnante, le duo pensant s’adjoignant François Daudet pour sévir au piano, ce qui est quand même plus digne que de confier la culture à une inculte pourrie de la trempe d’une Rachida Dati, fin de tir.
Deux trios ont été choisis par l’ensemble Arborescence, naming pas très abouti tant il est occupé (par exemple ici). En l’espèce, celui de Maurice Ravel précèdera le premier de Franz Schubert. Pour lancer la saison et le concert, les artistes proposent une quasi demi-heure de secousses avec Maurice R. L’église écossaise de Paris – pas blindée, ce soir, mais pas loin, ce qui est une joyeuse performance – est le lieu du crime. En fait d’église, il s’agit d’une salle bien insonorisée, sise en sous-sol d’un quartier très chic de Paris. L’acoustique mate voire sèche ne flatte pas l’oreille, mais elle valorise
- la synchronisation des trois comparses lors des passages à l’unisson,
- leur capacité à étalonner leur volume pour assurer la lisibilité des échanges en fonctions des séquences
- (dialogues,
- contestations,
- emportements,
- lead mélodique…) et
- leur aptitude à respirer ensemble pour guider l’oreille dans une proposition profuse.
La complicité des partenaires ne fait nul doute. Dès ce premier mouvement, on en apprécie le résultat :
- netteté des changements thymiques,
- sensation d’intensité diffusée dans les passages suspendus comme dans les sections vigoureuses,
- tuilages permettant de virer insensiblement d’une atmosphère à l’autre.
Le deuxième mouvement, un « pantoum » propulsant la poésie orientale dans la musique occidentale en emmêlant deux thèmes, montre le trio allègrement à l’ouvrage. Il s’agit d’allier
- rythmicité,
- lyrisme et
- labilité.
Les archets commencent à souffrir de l’engagement des artistes à quatre cordes, obligés d’arracher les cheveux que perdent leurs prolongements. Avec une intuition très fine que partage leur claviériste, ils cherchent à conjuguer les plaisirs
- du ressassement,
- de la mutation
- d’intention,
- d’intensité
- de technique (archet ou pizz) et
- de la virtuosité pétillante du pianiste qui sait
- placer un trait,
- faire ressortir la note essentielle, ou
- trouver le bon positionnement d’accompagnement
- (suivre,
- amplifier,
- impulser).

La « passacaille » impose un retour brutal à
- la gravité,
- au solennel,
- au méditatif.
C’est la force de la gang de Rachel Koblyakov : décider de caractériser et d’être résolument expressif. C’est aussi le moment où le trio affronte le paradoxe de la passacaille, ici simplifié par rapport au chef-d’œuvre définitif de Johann Sebastian Bach, mais relevé tout de même : la passacaille, c’est censé être toujours le même thème avec des machins autour pour que ce soit supportable de subir toujours le même thème, souvent nul en plus (parce qu’il faut mettre des machins autour). L’objectif compositionnel est, façon thème et variations de l’extrême, de travailler l’immuable en
- le contrastant,
- l’animant,
- le contrastant et
- le reconfigurant
car c’est toujours pareil donc toujours différent. Idéal pour savourer la maestria ravélienne
- de l’itération mobile,
- de la répétition déjouée et
- de l’identique déformé.
Cette capacité de renouveler un discours qui pourrait paraître ruminé s’exprime aussi à travers le recours aux quatre combinaisons possibles :
- piano – violon,
- piano – violoncelle,
- piano – violon – violoncelle et, nouveauté de la passacaille,
- violon – violoncelle.
Les anamorphoses du trio irisent la très sûre forme en arche qui structure le mouvement en revenant, in fine, au grave monodique du début.

Le finale étincelle d’énergie grâce notamment à
- un tempo audacieux,
- des accents gouleyants, et
- de grands mouvements très différenciés
- (fortissimi,
- pianissimi et
- crescendi magistraux).
Ça crépite :
- les trilles grommellent,
- les bariolages fulminent,
- les surprises harmoniques et rythmiques se multiplient.
Le piano de François Daudet virtuose à gogo, entre
- de grands accords solides,
- des traits liquides dans le registre aigu, et
- un souffle éolien quand l’instrumentiste parcourt son clavier de gauche à droite.
Si, dans le finale du finale, les interprètes rendent gouleyants
- son explosivité,
- sa fureur et
- ses fulgurances sauvages,
c’est aussi parce que les interprètes construisent une musique tour à tour frémissante et tempétueuse qui n’est jamais bruit. Une telle lecture, audacieuse, semble revendiquer
- la prise de risque,
- la vitalité et
- l’urgence du moment présent.
Autant dire qu’elle ragaillardit qui l’écoute, ce qui, pour une assistance partagée entre antiquités plus ou moins antiques et jeunes musiciens palpitants, n’est pas le pire compliment que l’on puisse adresser à une soirée musicale qui commence juste. À suivre !
