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Jean-Nicolas Diatkine, salle Gaveau, 16 décembre 2024 – 2/3

Décor de la salle Gaveau (Paris 8), le 19 novembre 2024. Photo : Rozenn Douerin.

 

Pour ouvrir son récital 2024 à Gaveau, Jean-Nicolas Diatkine a choisi le concerto dans le goût italien BWV 971 de Johann Sebastian Bach, soit une œuvre doublement paradoxale, comme l’interprète l’explique au micro. D’une part, c’est la réduction d’un concerto qui n’a jamais été écrit ; d’autre part, c’est une réduction pour clavecin qui va, ici, se retrouver orchestrée par les sonorités plus larges du piano. Sous les doigts du musicien, le premier mouvement – un allegro qui ne dit pas son nom – se caractérise par

  • la tranquillité du tempo choisi,
  • l’articulation de nuances rebelles à toute emphase et
  • la réussite d’un swing porté par
    • des accents subtils,
    • des mordants et des trilles raffinés, ainsi que par
    • des contrastes finement suggérés.

L’andante laisse une basse tranquille servir d’assise à une main droite qui va son chemin. Loin de s’en tenir à l’énonciation du topos italien (ploum-ploum à gauche, mélodie à la dextre), Jean-Nicolas Diatkine tâche

  • de créer un espace sonore singulier dans une acoustique qui lui est familière,
  • d’inventer une temporalité où l’agogique – légère – paraît fondue dans l’énoncé du texte, et
  • de susciter une concertation – rappelant le titre de l’œuvre – entre les deux protagonistes se promenant sur le clavier.

Le presto se présente sans excès de célérité. Le spectateur peut se pourlécher les esgourdes grâce à

  • une motricité discrètement virtuose,
  • une polyphonie toujours très claire et
  • une régularité métronomique d’autant plus efficace que de justes accents la pimpent.

Le musicien, plus connu pour ses disques dix-neuvièmistes, rappelle à qui l’aurait oublié que spécialisation n’est pas exclusivité. Néanmoins, les quatre impromptus op. 90 de Franz Schubert renouent avec la veine plus fréquemment creusée par l’interprète. Lequel explique que, d’après lui, le premier impromptu serait la marche d’un poète obligé de faire la guerre et finissant par mourir alla Chopin : en majeur. Aussi l’interprète-t-il avec,

  • d ‘abord, un sérieux martial,
  • ensuite, l’optimisme que constitue la tentative d’envol de la mélodie,
  • enfin, le souffle narratif que portent les modulations, les nuances et les articulations.

Comme le confirmeront les applaudissements saluant la performance, on ne peut que saluer la netteté

  • de l’étagement des voix,
  • des notes répétées et
  • des mutations d’intensité.

Avec une aisance confondante, le deuxième impromptu associe

  • fluidité,
  • ductilité et
  • mobilité des nuances,

avec une partie centrale marquée par

  • une tonicité sans brutalité,
  • des contrastes sans brusquerie et
  • une vivacité plus intérieure qu’exacerbée.

La virtuosité de Jean-Nicolas Diatkine suscite son bouquet d’applaudissements avant que le troisième impromptu ne propose à la salle, très attentive (c’est devenu rare, dans les salles parisiennes…),

  • une méditation intérieure et non démonstrative,
  • offerte par la musique et non par la mise en scène d’un interprète mimant sa fausse torture intérieure,
  • suggérée par les ondulations des tensions plutôt qu’explicitée par des à-plats de nuances flashy,

et à peine troublée par les malotrus qui trahissent leur connerie en parcourant leur programme à la lumière crasse de leur cellulaire-torche. Des applaudissements secouent l’hypnose dans laquelle l’artiste tenait ses spectateurs, puis le quatrième impromptu cliquette. On y goûte

  • la légèreté de la main droite,
  • la délicatesse de l’accompagnement et
  • l’art du dialogue à trois (thème à gauche, harmonie au centre, mélodie à droite).

La partie centrale rend

  • presque palpable l’inquiétude,
  • vibrante l’obscurité qui descend,
  • saillante la tension qui s’installe.

Elle sied comme un gant de soie à un Jean-Nicolas Diatkine dont on apprécie

  • la virtuosité qui s’efface sans s’excuser,
  • les lectures sensibles qui esquivent la sensiblerie d’un romantisme cliché, et
  • les pétillements qu’il sait faire crépiter sans obérer le sombre qui guette et finira par nous envelopper.

De quoi mettre en appétit pour la seconde partie du récital où Schubert by Liszt et Beethoven promettent de grands moments. À suivre !


Pour retrouver nos chroniques sur Jean-Nicolas Diatkine, cliquer sur l’hyperlien choisi.

 

Elvin Hoxha Ganiyev joue les sonates pour violon d’Eugène Ysaÿe (Solo musica) – 4/6

Première du disque

 

Trompeur, le terme de « sonate », dans ce cycle ? Si elle désigne le fait que sonne un instrument, non ; si elle fait référence à une forme figée en plusieurs mouvements, forme qu’il faudrait définir comme il faudrait définir le « plusieurs » des mouvements, il est certain qu’elle invite l’esprit sclérosé (nous, souvent)

  • à la multiplicité,
  • à l’exploration et
  • à la découverte.

Après deux sonates en quatre mouvements et une d’un bloc, voici une sonate en mi mineur et, surtout, en trois mouvements. Une autre de deux volets puis une d’un seul tenant concluront le cycle.

  • Diversité,
  • souplesse,
  • mutabilité :

voilà de quoi stimuler l’auditeur qui, grâce à Elvin Hoxha Ganiyev, par exemple, envisagerait de traverser les six épisodes du cycle d’Eugène Ysaÿe. Le quatrième numéro s’ouvre sur une allemande à quatre croches la mesure, floquée « lento maestoso ». En réalité, comme dans les épisodes passés, le compositeur distend les codes qu’il met en place.

  • Le tempo lent est grevé par des quadruples croches ;
  • le maestoso est interrogé par un geste qui bondit du registre medium au suraigu et retour ; et
  • la mesure est dopée par des sextolets et des septolets avant de céder et de passer en 3/8.

Le violoniste se sert de cette pulsion

  • extravertie,
  • incontrôlable,
  • inarrêtable

pour dessiner un geste

  • attentif aux inflexions du texte (« allargando », « ritendo »),
  • désireux de dessiner une narration qui intègre ces cahots, et
  • soucieux d’une expressivité qui rende raison de la partition.

Le compositeur travaille la dynamique

  • des rythmes pointés,
  • des appogiatures,
  • des mordants et
  • des suspensions

hélas perturbée dès que les nuances redeviennent piano par une prise de son qui ne nous cache rien, et il faut le regretter,

  • des efforts physiques du violoniste,
  • de ses inspirations et
  • de ses relâchements (le « wouah » à 1’31).

Dommage, car

  • la fragilité assumée des passages « sensible »,
  • la précision des suraigus,
  • la clarté de l’agogique,
  • le sens
    • du juste moment où sonner,
    • du contraste qui fait sens et récit, ainsi que
    • de l’attaque qui relance discours et attention,

témoignent d’une virtuosité intérieure à la hauteur de la technicité extérieure, et l’auditeur apprécierait sans doute mieux ces prouesses s’il ne bénéficiait des parasites incarnant, certes, mais perturbant la propulsion de la musique. Restent les évidentes qualités de l’interprète :

  • le glissando,
  • la maîtrise mais aussi l’apparent lâcher-prise donc la liberté faisant vibrer la proposition, bref,
  • le brio fors la pyrotechnie

sont notables et prenants dans ce mouvement intense, un lento finissant en ternaire auquel fait suite une sarabande, « quasi lento » ternaire itou. Eugène Ysaÿe a à dessein rapprocher les structures des deux mouvements pour valoriser le contraste technique avec le surgissement du pizzicato « avec vibrations ».

  • La tension entre majeur et mineur,
  • la transcription en duo de la pulsion descendante, et
  • l’incrustation dans le texte

    • d’appogiatures,
    • de mordants et
    • de distorsions du tempo
      • (ritendo,
      • animato,
      • « cédez »)

captent l’écoute avant

  • l’accélération arpégée
    • (sextolets de doubles croches,
    • ensemble de triples croches par quatre,
    • ensemble de triples croches par cinq),
  • l’essor de la tension en nuance piano et
  • la conclusion en pizzicati arpégés.

Le finale, un presto ma non troppo lancé sur une mesure chère à Eugène Ysaÿe, la 5/4 (cinq temps par mesure), subit les soubresauts auxquels, alléluia, on ne s’habitue pas, les cinq temps (vingt doubles croches)

  • s’habillent d’ornements qui débordent les notes écrites,
  • se hérissent de phrasés ou d’attaques tête bêche,
  • se frottent à des mesures à trois temps, et
  • se cognent à des gruppetti de sextolets ou septolets qui butent contre le rigide et précipitent l’allant,

créant une secousse joyeusement permanente, d’autant que l’interprétation participe d’une hystérie aux accents presque tziganes.

  • En monodie,
  • en double corde,
  • en mid tempo,

la phrase

  • s’ouvre,
  • se cabre,
  • s’ouvre

à une transition habile pour une fin en majeur qui préfigure les deux dernières sonates centrées sur ce mode.

Le jeu d’Elvin Hoxha Ganiyev mixe

  • une incroyable technique,
  • une haute vue musicale et
  • un souci de narration vibrante qui font mouche.

Sera-ce aussi le cas à l’écoute de la cinquième sonate ? On a connu suspense ô combien plus subtil, j’en conviens, mais pour l’auditeur que je suis, pas forcément beaucoup plus appétent.

 

À suivre…


Pour découvrir le disque, c’est ici.
Cliquer sur les hyperliens pour retrouver les notules sur
la sonate 1,
la sonate 2 et
la sonate 3
.

Objectif Noël !

Affiche du concert (détail)

 

I. Le concept

Contribuer à réenchanter Noël et à redonner son sens à cette fête pour la joie des croyants et non-croyants : tel est l’immodeste défi de ce « concert de la veille don’ Noé » proposition désormais bien ancrée dans le paysage parisien. Loin de n’être qu’une « fête de fin d’année » au vieux goût de business sirupeux, Noël est à la fois

  • un grand moment cultuel (célébrant symboliquement la naissance du Christ),
  • un grand moment culturel (marqué par un répertoire richissime inspiré par l’événement matriciel) et, souvent,
  • un grand moment qui relie
    • l’intime et le collectif,
    • le personnel et la société,
    • le moi et le nous.

Le casting change chaque année, mais le projet reste fidèle à ses trois piliers :

  • à 15 h 30, visite commentée de l’orgue pour les trente premiers curieux arrivés (jauge limitée pour des questions de sécurité) ;
  • à 16 h, un concert alternant chants traditionnels de Noël et grand répertoire de saison joué à l’orgue ; et,
  • à 17 h, chocolat chaud avec ses petits biscuits pour les survivants du concert.

Le tout est gratuit, sans obligation d’achat quoique avec possibilité de contribuer aux frais (graphisme, édition des programmes, SACEM, catering…), mais bien quand même.

 

II. Le programme (durée : env. 45′)

1. « C’estot la veille don’ Noé » (traditionnel)
2. Jean-François Dandrieu (1682-1739) : trois noëls
3. « Dans une étable obscure » (traditionnel)
4. Louis-Claude Daquin (1694-1772) : sixième noël
5. Anne Sylvestre (1934-2020) : « Noël nouvelet »
6. « Noël nouvelet » (traditionnel)
7. Olivier Messiaen (1908-1992) : « Desseins éternels », extrait de la Nativité du Seigneur
8. Alphonse Daudet (1840-1897) | Bertrand Ferrier (né en 1977) : « La Vierge à la crèche », création
9. Olivier Messiaen : « Les anges », extrait de la Nativité du Seigneur
10. « Les anges dans nos campagnes »
11. Pierre Cochereau (1924-1984) | François Lombard (né en 1958), transcription : toccata sur la Marche des rois, extrait de la Suite française improvisée
12. « Go, tell it on the mountain »

 

III. Les invités autour de Bertrand Ferrier

Né en 1962, Vincent Crosnier découvre sa vocation pour l’orgue à l’adolescence. Sa rencontre avec Jean Guillou est déterminante et l’amène à suivre l’enseignement du maître dans le cadre du Meisterkursus de Zurich.  Devenu concertiste international, il a toujours tenu à déployer es différents possibles de la vie d’organiste : il est

  • l’organiste liturgique titulaire de Saint-Enghien-les-Bains (Val-d’Oise),
  • le professeur d’orgue, de clavecin et de formation musicale que s’est attaché le conservatoire de Vincennes, et
  • l’artiste qui a donné plus de 180 auditions dominicales à Saint-Eustache ainsi que des intégrales de Maurice Duruflé et de Jehan Alain… sans oublier d’enregistrer des inédits de son mentor !

Né en 1982, Jann Halexander est un chanteur franco-gabonais dont la carrière atypique suscite l’ire des passionnés de routes droites et de profils prédéterminés, ceux qui, copiant-collant les  communiqués de presse ou fréquentant trop les coke-tèles, s’extasient sur les « fils de » et les vedettes en plastique, ceux qui espèrent écraser la singularité sous des topoi

  • de couleur de peau,
  • d’origine ou
  • de carcans musicaux.

Mulâtre revendiqué donc incernable par les massmedias en particulier et les margoulins en général, il trace sa route jalonnée d’albums marquants (tel Un bon chanteur est un chanteur mort) et de concerts alliant des prestations en proximité à des shows inattendus (tel celui qui s’est tenu au théâtre Michel, temple du théâtre chic où la chanson n’a a priori pas sa place, ou celui qu’il a donné pour ses vingt ans de carrière au cinéma Le Lincoln, à deux pas des Champs-Élysées). Après le succès de Consolatio, son précédent disque, il vient de publier Ornithorynque, sorte d’autobiographie musiquée et à peine déguisée, disponible ici et chroniqué tant çà que .

 

Rendez-vous en l’église Saint-André de l’Europe | 24 bis, rue de Saint-Pétersbourg | Paris 8 | Métro : Place de Clichy (13), Rome (2), Europe (3) | Bus : 66, 68, 80, 95

 

Irakly Avaliani joue « Un autre Mozart » (2006) – 4/5

Quatrième de couverture du disque

 

Double surprise pour le premier rondo – écrit « rondeau » sur la quatrième de notre édition – en Ré KV 485, composé par Wolfgang Amadeus Mozart en 1786 : Irakly Avaliani ne l’enlève pas en 8′, comme annoncé sur la quatrième de son disque, mais en 5’40 (c’est la première surprise), lui qui n’est pas réputé pour caracoler à fond les ballons (c’est la seconde surprise). Les vidéos disponibles sur YouTube oscillent entre 5′ pour Artur Balsam et plus de 8’30 pour Evgeny Kissin, c’est dire la liberté de tempo envisagée par les interprètes, les différences étant d’autant plus considérables que la pièce est brève ! Ici,

  • allant,
  • légèreté et
  • dextérité

lancent la fête bariolante que boostent

  • ornements,
  • appogiatures intégrées ou non au flux de la phrase,
  • notes répétées et
  • modulations.

Même un sceptique en mozartitude comme l’auteur de ces lignes doit reconnaître que le charme opère, d’autant qu’Irakly Avaliani réussit à dissoudre

  • la virtuosité nécessaire dans une apparence de futilité,
  • la technique impressionnante dans un pétillement de tous les instants, et
  • la réflexion musicale dans l’implacable cavalcade de la joie sautillante.

 

 

Pour ce faire, il dégaine ses armes préférées, parmi lesquelles on peut citer

  • le souci du phrasé,
  • la multiplicité des touchers (entre legato et staccato se love tout un spectre d’intermédiaires),
  • la précision des nuances dans un registre sciemment resserré, et
  • la qualité des respirations qui impulsent le groove.

Côté composition,

  • la tentation du mineur pour relancer le discours,
  • le tuilage des modulations (telle celui conduisant de Ré à ré mineur vers Fa) pour fluidifier les à-coups, et
  • l’interpolation des rôles confiés aux deux mains pour varier les équilibres sonores

dessinent une belle ouvrage rendue ravissante, oui, par

  • une interprétation peaufinée,
  • une prise de son très claire signée Sébastien Noly et
  • un Fazioli réglé aux petits oignons par Jean-Michel Daudon

Cela valait bien un bis qui fera, l’on s’en doute, l’objet d’une prochaine notule. À suivre !


Pour écouter gracieusement le disque en intégrale, c’est, par ex., ici.
Pour réserver en vue du concert Beethoven avec lequel Irakly Avaliani fêtera ses 75 ans dont 65 de carrière, c’est, par ex., .

 

Jean-Nicolas Diatkine, salle Gaveau, 16 décembre 2024 – 1/3

Jean-Nicolas Diatkine, le 16 décembre 2024 à la salle Gaveau (Paris 8). Photo : Rozenn Douerin.

 

Que deviendra la salle Gaveau, où le programme musical est déjà gangréné par des « causeries » de personnes souvent plus recommandées par leur notoriété que recommandables par

  • leur moralité,
  • leur profondeur de pensée ou
  • leur talent,

à présent qu’elle est passée sous la houlette du sinistre producteur officiel du tout aussi sinistre régime macroniste ? Pour l’instant, les affaires suivent leur cours, ce qui nous permet de venir écouter le presque rituel concert de fin d’année que Jean-Nicolas Diatkine a coutume de livrer dans une salle feutrée ornée d’un cadavre d’orgue aussi choupinou qu’attristant. Oui, profitons du soir présent pour saluer le beau succès de ce concert où se mêlent

  • aficionados de grand répertoire,
  • diatkinomaniaques (il y en a de plus en plus !) et
  • curieux par le programme alléché.

Ce soir sont annoncés trois compositeurs et demi :

  • une première partie associant
    • Bach et
    • Schubert,
  • une seconde couplant
    • Schubert-Liszt et
    • Beethoven.

D’ailleurs, bien que sa personnalité publique soit volontiers encline à la retenue et à la modestie, l’artiste tient à s’expliquer moins de la cohérence que de l’importance de ses choix. Alléluia, il fait partie de ces musiciens classiques qui ne conçoivent pas un programme pour eux-mêmes ou pour les Grands Critiques. Il les conçoit en associant sa propre inclination (voire admiration) pour les œuvres et son désir de les partager, au point de présenter systématiquement à l’oral une partie de la pièce ou du cycle. Point question d’assommer le mélomane avec des

  • dates,
  • faits et
  • poncifs musicologiques

écrasant le son sous son pré-décryptage ou sous un accumoncellement de science encyclopédique qui confond marteau et chausse-pied, autrement dit lourdingue leçon de choses et léger apéritif permettant d’entrer dans une meilleure intelligence de la musique. Bien plus, Jean-Nicolas Diatkine préfère parler du biais

  • interprétatif,
  • mental ou
  • fantasmatique
    • (synesthésie intellectuelle,
    • transversalité culturelle ou
    • intuition intime)

qu’il a développé au contact de tel morceau ou mouvement qu’il vient nous apporter. À titre personnel, je l’avoue, je préfèrerais que ces remarques fussent réservées au programme de salle (on en trouve des bribes dans le programme du soir, qui n’est pas distribué à tous les étages) un peu comme un livret de disque peut parfois enrichir la compréhension

  • d’un programme,
  • d’une œuvre,
  • d’une interprétation

sans que l’artiste

  • ne commence chaque piste par un minipitch,
  • ne gâche éventuellement la surprise ou
  • ne limite les divagations de l’auditeur qui font aussi partie du plaisir d’aller écouter de la musique et un musicien avec l’appréhension joyeuse de se retrouver devant des masterpieces avec plus
    • d’envie,
    • de bonne volonté et
    • de curiosité

que de notices wikipediaques en tête. Cependant, par bonheur, cette pratique, hélas très développée, prend ici une dimension

  • personnelle,
  • presque autobiographique,
  • disons même charnelle,

dans la mesure où le virtuose, qui a souvent vécu avec ce dont il parle pendant des années – et pas que pendant la préparation spécifique du récital – parle moins de ce qu’il va jouer que de pourquoi il est lui-même ébaubi par sa sélection du soir. Bref, voici encore une chronique qui ne rend pas du tout compte de la musique tout en expliquant qu’il est vain de blablater, music must always come first. Espérons que cette contradiction crée du suspense, et retrouvons-nous très bientôt ou presque pour découvrir Bach, Schubert, et ce que Jean-Nicolas Diatkine en a

  • dit,
  • joué et
  • vibré.

À suivre !


Pour retrouver nos chroniques sur Jean-Nicolas Diatkine, cliquer sur l’hyperlien choisi.

 

Elvin Hoxha Ganiyev joue les sonates pour violon d’Eugène Ysaÿe (Solo musica) – 3/6

Quatrième du disque

 

Dédiée à Georges Enescu, la troisième sonate en ré mineur d’Eugène Ysaÿe se présente comme une ballade constituée d’un seul mouvement. Évidemment, l’histoire est plus compliquée, donc promet d’être plus intéressante. Tout commence par un lento molto sostenuto annoncé in modo di recitativo (un prélude, voilà). Elvin Xhoxha Ganiyev en rend la tension liée à la liberté

  • de mesure,
  • de tempo et
  • d’agogique.

L’expressivité de son jeu fait crépiter

  • monodie,
  • quartes,
  • sixtes,
  • accords et
  • arpèges

qui étincellent dès les premières minutes. Même si, dans ce passage presque paisible et souvent piano, la proximité du micro avec le violon – donc avec les inspirations-reniflements de l’interprète – peut instantanément agacer voire diffuser un sentiment de gêne chez l’auditeur qui n’y verrait point un signe d’une musique sinon vivante, du moins en train de sourdre, l’on se gobergera d’une partition où

  • sautes de registre,
  • rythmes pointés,
  • glissendi  et
  • silences prolongés

ouvrent les possibles d’une écriture (de violoniste) pour violon seul. Certes, c’est

  • riche,
  • multiple et
  • profus,

mais nul show-off, ici. Eugène Ysaÿe connaît assez son instrument pour transformer

  • la virtuosité patente,
  • la complexité intrigante et
  • la diversité sonore

en musique et non en bons points pour le compositeur (comme aimeraient s’en voir adresser certains contemporains lorsqu’ils recourent à TOUTE la palette de l’instrument pour bien montrer qu’ils n’en ignorent rien, alors qu’ils prouvent ainsi qu’ils le connaissent encyclopédiquement mais pas intimement). Un molto moderato, officiellement quasi lento, ne tarde pas à s’animer.

  • La mesure, jadis à quatre temps, s’agrandit et en compte désormais cinq ;
  • le tempo s’accélère ;
  • le temps bat plus vite puisque les deux en deux deviennent
    • triolets de croches,
    • ensembles de quatre doubles croches puis
    • quintolets de doubles.

Eugène Ysaÿe semble ainsi chercher à se libérer

  • de la vitesse (lente ou rapide) pour privilégier l’expression,
  • de la mesure pour laisser sa place au geste inspiré, et
  • de la régularité rythmique pour développer une narrativité catchy, et hop.

Voici qu’il fait exploser ses lenti dans un allegro in tempo giusto (cette fois) e con bravura. Mais la partition exprime une tension patente entre ce « tempo giusto » et le texte qu’elle porte. À Elvin Xhoxha Ganiyev, en l’espèce, de tenir les deux bouts d’une exigence de rigueur et de la mobilité voire de l’oscillation que créent

  • un trois temps qui devient parfois deux,
  • une mesure à trois croches qui privilégie les triolets de doubles, et
  • un carcan officiel que défient et distendent

    • rythmes pointés,
    • mordants,
    • appogiatures et
    • ritendo.

Or, comme indifférent aux monstrueuses difficultés techniques et musicales, l’interprète paraît brillamment se nourrir de la prolifération

  • d’allures polymorphes,
  • de caractères contrastés et même
  • d’harmonies résolument en friction,

assurant, par-delà les cahots d’une écriture survitaminée, la fluidité du ruisseau musical que renforcent et traduisent à la fois une série de sextolets de triples croches, d’abord en solo puis à deux voix… au point de rendre presque insensible le ralentissement progressif suggéré par la partition.

  • Le phrasé,
  • les variations d’intensité et
  • la précision rythmique que ne perturbent pas des septolets chromatiques

offrent à l’auditeur, en sus de l’effet waouh de la pyrotechnicité – et re-hop – au sens de technique en feu d’artifice perpétuel exigée, un intérêt constamment renouvelé. Un finale à diastoles et sistoles avec

  • un tempo poco vivo,
  • puis più mosso,
  • puis slargando (un « élargissement » pas vraiment sensible sous les doigts et l’archet du violoniste, qui privilégie la fougue conclusive au respect littéral des indications), et
  • enfin vivo

couronne le propos battant de la troisième sonate. En bref, cette ballade n’est pas de tout repos. À moins de préférer

  • le mou,
  • l’ennui et
  • la viole de gambe,

il faut s’en réjouir mille fois : quand on reposera en paix, ce sera mauvais signe !

 

À suivre…


Pour découvrir le disque, c’est ici.
Cliquer sur les hyperliens pour retrouver les notules sur
la sonate 1 et la sonate 2.

 

C’est la folia dans la chapelle !

Pierre-Marie Bonafos le 22 mars 2022. Photo : Rozenn Douerin.

 

Comme l’aurait spécifié Blaze Bayley, this was our bastardization d’un tube du quinzième siècle, dans un cycle d’appropriation de golden hits de la musique classique proposé lors du récital Une histoire du cool, propulsé le 3 novembre en la chapelle du Val-de-Grâce. Pour être très précis ou presque, ça donnait ça.

 

 

Irakly Avaliani joue « Un autre Mozart » (2006) – 3/5

Quatrième de couverture du disque

 

Irakly Avaliani a conçu un programme en arche avec coda :

  • un rondeau, une sonate,
  • une sonate, un rondeau et
  • un bis.

Nous voici arrivé au seuil de la seconde partie de l’arche, donc à la seconde sonate (la KV 310 en la mineur), un gros machin de plus de vingt minutes qui se décapsule sur un Allegro maestoso où la tentation de fuser infuse, si si.

 

 

À main droite,

  • anacrouse,
  • staccato et
  • rythme pointé.

À main gauche,

  • urgence des accords répétés,
  • des contretemps et
  • d’un bariolage roboratif.

Le pianiste privilégie

  • légèreté digitale,
  • contrastes et
  • soin du phrasé

à une emphase de l’urgence.

  • Modulations,
  • chromatismes,
  • dialogues entre les mimines et
  • itérations

énergisent la partition sans convaincre de la nécessité – autre qu’utilitaire pour le compositeur – des reprises.

 

 

L’andante cantabile con espressione en Fa se déploie en ternaire et avec cette même envie d’avancer.

  • Vibration des trilles,
  • rebond des deux en deux,
  • sursaut des mordants et
  • autres recettes goûtées précédemment
    • (anacrouse,
    • contretemps,
    • staccati…)

animent ce mouvement lent, oui, mais pas si mou qu’on le pourrait craindre. L’art qu’a forgé Irakly Avaliani

  • de poser la note,
  • de respirer,
  • d’étirer le spectre des nuances piano (le Fazioli est joliment réglé par Jean-Michel Daudon et capté sans fanfreluche par Sébastien Noly) et
  • d’étager le son

permet au sceptique de suivre ces plus de dix minutes sinon avec émotion, ce serait mentir, du moins avec intérêt, même si, décidément, dans notre tour d’ivoire, les reprises ne nous paraissent pas toujours indispensables. On en profite néanmoins pour goûter ce qui se dévoile, parmi quoi

  • une science confondante de la pédalisation
    • (résonance,
    • clarté,
    • clôture de l’effet),
  • la maîtrise du legato et
  • le travail du son dans les passages toniques aux notes ou intervalles répétés, mais aussi dans la caractérisation des différents registres convoqués.

 

 

Le presto à deux temps, entre bref et concentré, revient en la mineur et poursuit dans la veine délicate qu’aime à creuser l’interprète. Impossible de ne pas se délecter

  • de la variété des attaques,
  • de la profondeur sonore qui éclaire le propos en étalonnant les voix,
  • du sens du swing dont le charme opère puissamment et
  • de la force de l’agogique dont la légèreté renforce l’efficacité

jusqu’à presque faire oublier le grondement sourd qui marque l’arrivée du passage en majeur. Le retour du mode et du motif liminaires permet à l’auditeur de profiter d’une coda associant

  • sautillements,
  • vrombissements du grave et
  • efficience décidée des octaves répétées.

De quoi nous donner – et c’est heureux – envie de consulter tout bientôt la piste suivante : le rondeau en Ré KV 485. À suivre, donc !


Pour écouter gracieusement le disque en intégrale, c’est, par ex., ici.
Pour réserver en vue du concert Beethoven avec lequel Irakly Avaliani fêtera ses 75 ans dont 65 de carrière, c’est, par ex., .

 

Grandeurs et limites du tango

Avec Jann Halexander au théâtre Michel, le 5 octobre 2020. Photo : capture d’écran d’après une vidéo de Josée Novicz.

 

Tantôt, Jann Halexander chantait des histoires de vertigo, de mendigot, de saligaud, d’ergots et d’ostrogoths, tous plus ou moins égaux. Si cela vous tente et que vous n’êtes pas un gogo, voici la vidéo : go !

 

 

Elvin Hoxha Ganiyev joue les sonates pour violon d’Eugène Ysaÿe (Solo musica) – 2/6

Première du disque

 

Une histoire d’obsession : c’est ainsi que se présente le prélude de la deuxième sonate pour violon d’Eugène Ysaÿe, proposant en la mineur des éclairs constitués par des réminiscences de Johann Sebastian Bach et, surtout, du Dies irae. Elvin Hoxha Ganiyev en rend la fougue

  • ici rhapsodique,
  • çà virtuose,
  • là comme amusée par la réécriture de golden hits.

En mélangeant

  • samples textuellement retranscrits,
  • patterns facilement reconnaissables et
  • écriture personnelle,

le compositeur déploie une écriture exigeante qui semble se nourrir de son ronronnement motorique.

  • L’arrivée de sextolets de doubles croches,
  • le surgissement d’octolets de triples croches et
  • le bref jaillissement d’une mesure à quatre temps ritendo trahissant manière de surabondance sonore qu’une mesure à trois temps ne pouvait plus contenir

préparent la coda où pétaradent

  • les attaques,
  • les phrasés et
  • le sens du swing associant
    • notes éphémères,
    • point d’orgues et
    • brio.

« Malinconia » (en français : mélancolie), le deuxième segment en mi mineur, est affiché

  • ternaire,
  • « poco lento » et
  • « con sordino ».

Eugène Ysaÿe change de langage pour brosser un tableau plus sombre mêlant

  • tempo apaisé,
  • glissendi sombres,
  • ressassement mélodique et
  • manière de duo grâce aux doubles cordes.

Le contraste avec le premier mouvement renforce la dimension intériorisée et sensible de la toute autre facette violonistique présentée ici par Elvin Hoxha Ganiyev, notamment quand il laisse résonner, dans des pianissimi à la fois délicats et fragiles, les échos du Dies irae concluant l’affaire.
Une sarabande intitulée « danse des ombres » s’articule autour d’un thème inspiré par le sempiternel Dies irae et de variations alternant les mesures à trois et quatre temps, avec quelques mesures à deux temps pour pimenter la fin de l’histoire. Le thème, pizzicato et arpégé, prend des allures de fragment pour mini harpe. Les six variations oscillent entre

  • développement en duo,
  • musette (ligne mélodique oscillante intégrant le Dies irae sur un bourdon de sol),
  • duo en mineur,
  • exposition du Dies irae en duo inversant les rôles au mitan, et
  • retour à la monodie virtuose accélérant a tempo (trois sextolets de doubles croches par mesure pour la cinquième variation, vingt-quatre triples croches par mesure pour la sixième).

L’affaire se conclut par la réexposition du thème coll’arco ouvrant la voie à l’allegro furioso intitulé « les furies » qui conclut la sonate. Le mouvement, officiellement à deux temps par mesure, s’emporte irrégulièrement avec des mesures à trois voire cinq temps. La prise de son très rapprochée de Gregor Zielinsky nous fait participer de l’effort consenti par l’artiste – trop, à notre goût : une fois repérés les reniflements de l’artiste, on les entend très fort et, pire, on les attend. Peut-être une distance plus grande aurait-elle ôté en granularité sonore ce qu’elle aurait gagné

  • en résonance,
  • en confort et
  • en plaisir d’écoute ?

Restent

  • la tonicité des doubles cordes,
  • la fulgurance des ruptures rythmiques et
  • la maîtrise technique qui permet de faire miroiter les différentes expositions du Dies irae
    • (en intervalles,
    • sul ponticello,
    • en bariolage,
    • en série de notes graves…).

Ce n’est pas rien et laisse penser que cette sonate, plus exubérante et unitaire que la première, convient mieux à l’artiste ou, l’un n’empêchant pas l’autre, est plus inspirée. Qu’en sera-t-il de la troisième ? Rendez-vous ce tout tantôt pour une notule qui, à notre aune, en décidera !

 

À suivre…


Pour découvrir le disque, c’est ici.