
La sonate K.5 en ré mineur de Domenico Scarlatti est un allegretto ternaire qui ressemble à une conversation insouciante entre deux dames – dont une beaucoup plus pipelette que l’autre – tâchant moins d’échanger des nouvelles que de faire société poliment devant leur pavillon moche mais fonctionnel, situé dans une zone périurbaine qui pourrait se trouver n’importe où mais a le malheur de se situer dans les tréfonds d’un département ingrat, le 78 ou le 91, par exemple. Au programme,
- trilles chargées de dissiper l’ennui,
- triples croches tentant de relancer la discussion,
- gammes égrenées benoîtement comme on enfile les poncifs pour éviter le silence,
- notes répétées et descentes vers le grave parce que, malgré tous les efforts, il n’est pas si simple de meubler.
Irakly Avaliani donne un charme certain à ce babillage sciemment insipide en valorisant
- la légèreté des staccati rebondissants,
- la frivolité des ornements incisifs,
- l’équilibre des deux voix complémentaires,
- la précision réglée du swing à trois temps, et
- la netteté enchanteresse des phrasés.
Au centre du programme, cette sonate dispensable peut paraître indispensable pour offrir à l’auditeur une respiration en forme d’entracte.
Tel n’est pas le cas de la sonate en Ré majeur dite K.145. Cette sonate est apparemment proche de la précédente :
- quoique majeure, elle reste en ré ;
- c’est un allegretto, donc sur un tempo similaire ; et
- la mesure est identique avec trois croches entre deux barres.
On reconnaît là l’un des partis pris implicites d’Irakly Avaliani, qui consiste à piocher dans le vaste corpus de Scarlatti des pièces sans doute favorites mais, surtout, dont l’agencement est à la fois cohérent et soucieux d’une variété… laquelle est d’autant plus délectable qu’elle se fonde sur un récit fluide où les contrastes sont plus intérieurs et délicats que surexposés. L’interprète ne cherche pas à démontrer l’intérêt d’écouter seize miniatures de rang : il en est assez convaincu pour les assembler de manière musicale et non pédagogique. Là, on est dans
- le décidé autoritaire,
- le contre-temps groovy,
- le 9/16 expansif.
Le pianiste est notamment aux prises avec le croisement de mimines, l’exigence du legato, les mutations harmoniques. On y goûte
- énergie,
- virtuosité et
- efficience.
Par honnêteté envers les personnes fragiles du boum-boum, on doit aussi saluer
- la répartition des ornements,
- l’allant euphorisant, et
- le contraste entre tranquillité du jeu et la furibonderie du résultat suspendu.
La sonate en ré mineur dite K.9 prolonge l’histoire en persistant
- en ré,
- en 6/8 (six croches par mesure) et
- dans un tempo allant… mais pimpé (on passe du vague allegretto au vague allegro).
L’Irakly est facétieux et malin. Et, en dépit de sa stature de Géorgien d’origine, élégant Il sait jouer
- la proposition,
- l’aguichage,
- le possible du clin d’œil.
La précision
- des appogiatures,
- des trilles et
- des traits
séduit sans convaincre que l’on a affaire à un compositeur mastodonte du clavier. Lucide et pertinent, l’artiste propose de moduler un ton plus haut, donc en mi avec la sonate K.394.
L’allegretto à deux temps s’ouvre sur manière de toccata que le pianiste exécute avec la liberté d’ornementation et d’agogique requise.
- Mordants,
- gammes ascendantes en écho,
- accents donnant du rebond,
- modulation en si mineur
animent un discours volontiers indécis en dépit d’un tempo allant. De grands arpèges entrecoupés électrisent le début de la seconde partie avant que des modulations dynamiques et un jeu de questions-réponses n’animent le propos. La capacité du pianiste à
- colorer diversement les redites,
- rendre raison des diverses humeurs qui secouent la partition,
- oser la liberté dans
- l’énoncé,
- l’ornementation et
- les effets d’attente (tel le retard sur le dernier mi de la main droite)
contribue à l’intérêt de l’écoute, qui basculera dès la prochaine notule sur la tétralogie final en Ut majeur et mineur.
Pour écouter le disque en intégralité, c’est ici.