Cavalcade mémorielle
Pour rendre hommage à feu Yannick Daguerre, lors du concert du 27 septembre en la collégiale Saint-Martin de Montmorency dont le zozo fut titulaire, toute escarbille était bonne, du répertoire
- joué,
- composé ou
- enseigné par le maître
aux pièces qu’il n’aurait pas dédaignées, en passant par des improvisations ciblées, inspirées par des mélodies de son invention ou aimantées par son nom. C’était le cas de cette cavalcade traduisant YANNICK DAGUERRE en fonction de l’alphabet musical (A = la, B =si, C = ut, etc.) puis tournoyant autour du résultat à toute vitesse, comme l’hurluberlu aimait vivre. Cette aspiration musicale a donné ce qui suit.
Etsuko Hirose, « Schéhérazade » (Danacord) – 2/3
La première partie de cet « arrangement de Schéhérazade » était de toute beauté (suivez-moi pour plus de concision). La seconde commence avec « Le jeune prince et la jeune princesse », manière de barcarolle floquée « andantino quasi allegretto », dont la pianiste rend l’ambiguïté très borodinienne. En effet,
- l’agogique contenue,
- la fantaisie créative et
- la liberté précieuse, notamment des respirations,
dialoguent fructueusement avec la rigueur métrique.
- L’astuce des modulations,
- le plaisir des récurrences et
- la capacité à faire fructifier le sarment a priori sec d’un motif finalement digne d’un figuier biblique à l’approche de l’été
alimentent l’intérêt jusqu’au surgissement du « piochissimo più mosso » en Si bémol. C’est alors que, en dépit de la matité de la prise de son signée Bertrand Cazé, précise mais trop rigoureuse à notre goût car moins spectaculaire (bah, sur une symphonie à programme, un peu de spectacle, ça nous irait bien !) que dignement scrupuleuse, ébaubissent
- tonicité des notes répétées,
- virtuosité paisible des triolets de doubles,
- netteté de la narration,
- richesse de l’arrangement,
- variété des touchers et précision des phrasés
On se laisse volontiers séduire, au sens serpentin du terme, par
- les ruptures de caractère, à la fois significatives et non disruptives,
- l’art d’associer discontinuité et persistance du même projet narratif
- (récurrences de motifs,
- itérations de structures,
- réinvestissement de thèmes structurant l’ensemble de l’œuvre) et
- la volonté diégétique d’Etsuko Hirose (elle raconte une histoire à la fois cohérente et multiple puisque c’est une série !).
Et cependant, ces charmes ne sont qu’une partie de l’arsenal déployé pour nous embobiner comme le tueur par son ex-vierge Schéhérazade. De fait, l’artiste ne convainc pas moins par
- la souplesse de son geste dans le 6/8,
- son envie de bariolage qui tranche avec la traditionnelle transcription de Paul Gilson ou
- sa capacité à associer
- rigueur,
- ductilité et
- équilibre orchestral des voix.
Bref, ce troisième épisode de l’arrangement hirosique est une proposition captivante.
Reste la triple péroraison du quatrième mouvement :
- la fête à Bagdad,
- la mer et
- le naufrage du vaisseau sur un guerrier d’airain.
On reste en 6/8 pour cet ultime épisode qui sombre rapidement dans la frénésie avant de mixer les mesures et de revenir au 6/8… version vivo. L’interprète-arrangeuse veille à profiter
- de l’éruptivité d’un piano DeLuxe préparé par Philippe Destouesse,
- de sa capacité à faire rebondir les nuances les unes contre les autres, et
- de son art de transcriptrice visant à imaginer des variations de registres parlantes.
Elle
- marque les breaks,
- s’embarque avec grâce dans les foucades modulantes,
- dégaine une habileté délicieuse à mêler binaire et ternaire, et
- se goberge de la fougue orientalisante qui mène la danse.
Sans se laisser embarquer par les ruptures rythmiques associant 2/8 et 6/16, elle trace une route qui préfère
- le précis à l’éruptif,
- le dynamique au volcanique, et
- le multiple à l’univoque.
À la virtuosité digitale répondent
- l’énergie des poignets,
- le tempérament musical qui rechigne à l’extraversion, et
- le sens de la ligne musicale qui, en dépit d’une acoustique décidément trop sèche à notre goût, ne renie pas la jouissance d’un clavier puissant et multiple.
Jointoyant son programme et la logique de la progression dramatique, Nikolaï Rimsky-Korsakov prépare son finale en glissant, après ce passage brillantissime, d’intenses moments « più tranquillo » puis des réminiscences énoncées lento. Ce choix de terminer par un moment à la fois « molto dolce » et tremblant parachève
- la grandeur de la pièce,
- la réussite de la transcription et
- la beauté de la pianisation de la suite.
Le résultat, très impressionnant dans les passages brillants comme dans les moments plus intériorisés, inspire respect et brava… et prélude joliment avant l’excellente idée qui, avec originalité, conclut le disque et fera l’objet d’une prochaine notule !
À suivre…
Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.
Pour écouter le disque gracieusement, c’est par exemple là.
Pour voir l’artiste jouer Schéhérazade (et pas que) à Paris, c’est le 25 janvier 2025 à l’Espace Bernanos (réservations ici).
Fruits de la vigne – Il fait soif 2021
À ce qui se fredonne, derrière chez moi, y a-t-un étang, où le fils du roi s’en va chassant. Derrière les vignes de Michèle Aubery Laurent, y a-t-un viticulteur qui, depuis 18 ans, fournit après vendange une partie de ses raisins à Maxime-François Laurent, le fils de la vigneronne, négociant qui revendique de travailler à partir d’un vignoble « cultivé sans chimie, dans le respect du vivant », avec néanmoins un sulfitage post-fermentation réputé indispensable. Parmi ses créations markettées avec soin, une bouteille d’« Il fait soif » 2021 se retrouve sur notre table. Issu de jeunes vignes, le jus associe 70 % de grenache à 20 % de syrah et 10 % de cinsault (même si certains sites l’annoncent uniquement grenache en monocépage).
Sa robe est encore
- plus compacte que dense,
- plus sombre que sanguine, mais également
- davantage parcourue d’éclats de morelles que confite dans une obscurité rabat-joie.
Son nez se mérite. Il tire de cette discrétion
- une légèreté agréablement frivole,
- une oscillation de possibles (cassis ? groseille ? quelles épices ?) joyeusement mystérieuse, et
- une tendance plutôt conviviale dont émerge curieusement une idée de sucré – laquelle, évoquant une saveur, ne ressortit pourtant de l’olfactif que par association.
Côté bouche, d’inquiétants signes d’astringence et des pétillements font froncer les sourcils dans une première approche. C’est sans doute signe que la bouteille, même si elle aspire explicitement au statut de « vin de convivialité » plus qu’au statut de grand cru, eût dû être ouverte plus tôt. Petit à petit, ses qualités se dévoilent.
- On retrouve la légèreté du nez, avec des notes épicées, entre cannelle et poivre, qui arrivent a posteriori dans le pif ;
- on salue le concentré de fruits rouges moins compotés que densifiés à maturité ; et
- l’on apprécie cette étrange petite note d’agrume qui, à bien y goûter, paraît pointer le bout de sa surprise sur le bout de la langue.
Le mariage avec une pizza tomatée est une bonne surprise car le plat léger fait ressortir une douce amertume qui pimpe joliment le breuvage. Son prix de 16 € constaté aux Galeries Lafayette de Paris et sur des boutiques digitales peut paraître un chouïa surcoté – preuve que, avec constance,
nous nous heurtons à ce qui est.
Nous appelons cela connaître.
Nous allons à nos fins sans savoir avec zèle.
Nous appelons notre folie savoir.
Nous pensons en cela échapper.
(Jean-Paul Michel, « Nos ennemis dessinent notre visage » [1997-1998], in : Défends-toi, Beauté violente…, Gallimard, « Poésie », 2019, p. 311)
Mais à quoi peut-on échapper quand il fait soif ?
Enjott Schneider, « Bridges to infinity » (Solo musica) – 2/3
Après un concerto pour violon, voici Harmonies fatales de la noire douceur, un concerto pour alto. Enfin, à l’origine, c’était un concerto pour violoncelle et orchestre à cordes, mais il est ici confié à l’archet de l’altiste Alexia Eichhorn. Son inspiration est liée à un madrigal de Carlo Gesulado, d’abord meurtrier en pleine conscience, d’autant qu’il ne risquait rien pénalement, puis, après qu’il a refait sa vie et trouvé une nouvelle esclave sexuelle (c’est ça, une seconde épouse), compositeur qui se flagellait un peu trop pour vivre très longtemps – suivez-moi pour plus de biographies condensées.
Articulée en six mouvements dont un dernier deux à quatre fois plus long que ses prédécesseurs, l’œuvre s’ouvre sur un « Prologo – armonie mortali ». Habillé par le tremblement aigu des violons, bientôt enténébré par violoncelles et contrebasses, l’alto semble exprimer avec ses acolytes
- les grandeurs et bassesses de l’âme humaine,
- la fluctuation des aspirations et inspirations, ainsi que
- la présence du drame au sein même de l’harmonieux, non comme un excipient ou un additif mais comme un élément consubstantiel de l’harmonie.
Dialoguent
- nappes orchestrales,
- soli de l’alto et
- ensemble associant soliste et accompagnateurs.
Le compositeur profite de cette variété en tirant le mystère de la discontinuité du matériau musical pour installer discrètement la cellule Ut # | la | Si | Sol, motif récurrent de son concerto. S’avance alors une « cantilena – la belezza di Maria d’Avalos », portant le nom de la femme qu’a massacrée Carlo Gesualdo (avec l’aide de ses hommes de main : les hommes dits d’honneur sont souvent de pendables couards finis…) un soir où elle partageait sa couche et sans doute pas que sa couche avec un autre homme. Le thrène se poursuit, avec
- tenues pesantes,
- ligne brisée du soliste et
- multiples contrastes
- (de caractères,
- de hauteurs,
- d’intenstés et
- de couleurs).
« Ballo mortale (I) » signe le début de l’exécution à grands renforts de pizzicati, de claquements de cordes, de percussivité sèche auxquels s’opposent les interventions parfois détrempées de l’alto.
- La récurrence de motifs déjà ouïs,
- l’insertion de nouveaux matériaux (ainsi des tenues suraiguës des violons orchestraux) et
- le mélange des techniques expressives que troue des silences presque oppressants
participent d’une partition sinon programmatique, du moins ouvertement narrative… bien que le mouvement suivant, un « ricercare », ne revendique pas explicitement la part descriptive dévolue aux autres titres.
- Unisson orchestral,
- écho du soliste sur tapis de cordes,
- refus de l’univocité
réinvestissent le concept de « ricercare » qui, jadis, ressortissait d’un fugato en plusieurs mouvements. Ici, la recherche fouille moins une mélodie ou un enchaînement de hauteurs traité de façon polyphonique qu’une tonalité dramatique où
- la surprise,
- le jaillissement et
- l’intriguant
- (notes répétées,
- brusques embardées,
- suspensions)
ont leur part, comme s’il s’agissait de s’interroger sur les méandres heureusement insaisissables de la psyché, qui plus est quand il s’agit d’évoquer un musicien tueur sur lequel les éléments biographiques sont moins fiables que faibles.
« Ballo mortale » (II) envoie en première ligne l’alto soliste zébrer l’espace sonore d’un zigzag déstructuré auquel répondent les percussions de la première balle mortelle.
- Des échos désordonnés,
- des emportements dégingandés,
- des transmutations de motifs dansants
enveloppent les pistes esquissées par un instrument soliste plus déséquilibré qu’explosif. L’imposante « passaglia della morte – morire d’asfissia su un’altalena » commence par
- des tenues funèbres,
- des fusées descendantes et
- des pizzicati explosifs claqués par Alexia Eichhorn.
S’y ajoutent
- des glissendi,
- des ruptures, et
- des éclats de vivacité
habillant les quatre accords obsédants autour desquels tourne la passacaille.
- Des accents puissants,
- des pépiements têtus,
- des silences synchronisés et
- des nappes évocatrices
animent tour à tour ou simultanément le récit. Entre
- éruptions spasmodiques,
- contemplation hébétée et
- déploration fataliste,
la fin du mouvement est de toute beauté – augurant du meilleur pour la symphonie de trois quarts-d’heure que nous raconterons prochainement dans cette colonne.
À suivre !
Une trompette cool
Et si, « à la finale », ainsi que s’expriment les paltoquets voulant avoir l’air cool, le saxophone était une trompette en plus cool ? C’est l’une des questions fondamentales pour l’humanité – au moins – que posait Une histoire du cool, le récital proposé le 3 novembre 2024 en la chapelle du Val-de-Grâce (Paris 5) par Pierre-Marie Bonafos, l’homme-au-bonnet, et votre serviteur.
Pour une raison simple : le concert se décapsulait sur les Pièces pour trompette et orgue de Jean Langlais. Les curieux qui n’auraient pas encore médité sur la coolitude comparée du saxophone et de la trompette peuvent désormais alimenter leur débat intérieur avec cette pièce très cool placée par Jean Langlais au début de son cycle.
Etsuko Hirose, « Schéhérazade » (Danacord) – 1/3
Que nul ne soupire en apercevant la première de couverture terriblement kitschissime, même si le résultat fait saigner des orbites. Et encore ! L’image que nous avons reproduite, proposée par RDM sur une page où il se peut acheter le disque, ne rend pas compte du rendu réel, violet et non bleu (c’est peut-être pire : voir les vidéos infra…), mais donne une idée des dégâts… Cette première, d’un mauvais goût, disons, rocambolesque, ne rend nullement raison
- du talent de l’interprète,
- de l’originalité de la musicienne et
- de l’ambition euphorisante de l’artiste
dont témoigne Etsuko Hirose dans ce disque qui fait suite à son récital Moszkowski chez le même label – un album que, grâce à notre science musicologique, nous avions sans pitié taxé de « super » (plus de détails ici). Comme je détiens moi-même le record de la première de couverture la plus moche pour un roman, le ratage graphique de ce disque m’inspire plus de compassion que de hauts-le-cœur ! Et puis, ce qui compte, ça reste la musique, en l’espèce : Schéhérazade, la « suite symphonique » en quatre mouvements de Nikolaï Rimsky-Korsakov.
Le programme de l’œuvre s’appuie sur un éloge du teasing et fait du conte un substitut de la virginité puisque, après avoir défloré ses épouses, le sultan les tuait au matin suivant, ce qui a poussé Schéhérazade à lui raconter une histoire sans fin : l’infini gagne toujours contre l’éphémère, comme le rappelle la mort en se moquant de la vie. La version Hirose, captée et produite par Bertrand Cazé sur un Bechstein D préparé par Philippe Destouesse, est ici présentée dans un « arrangement », non une transcription, de l’interprète. On suppose que c’est par modestie en général et par déférence envers le compositeur en particulier que la musicienne a choisi spécialement ce vocable.
Le premier mouvement, « la mer et le bateau de Sindbad », s’avance, savante, avec
- la solennité,
- la gravité et
- la retenue
que le prélude largo puis lento exige. L’allegro non troppo passe au ternaire et au majeur, avec un chromatisme profond dont Richard Wagner se souviendra. Etsuko Hirose
- cisèle ses trilles,
- affine ses nuances et
- ne lésine pas sur une pédalisation qui laisse imaginer l’orchestre derrière la réduction mono-instrumentale.
Son investissement de la partition, multipliant les intentions sans surcharger le rendu, lui permet de donner du souffle à cet incipit en créant des couleurs pour habiller de nombreuses façons le swing obstiné de la main gauche – en témoigne la modulation en Ut, dont l’aspect « tranquillo » puis « dolce » saisit.
- La caractérisation des registres,
- l’étalonnage des différentes voix,
- les astuces de transcription (ainsi de l’octaviation de la clarinette pour répondre au violon solo) et
- la polymorphie du toucher (çà doux, là tonique, ailleurs mélangeant les façons)
précipitent l’auditeur dans une histoire modulante qu’il peinerait à couper avant le finale. Si la prise de son privilégie la netteté à l’onirisme, pour un résultat moins poétique que précis (oui, je sais, ça dit deux fois la même chose mais, sur le moment, je trouvais ce chiasme indispensable à la compréhension de mon propos, c’est pourquoi je ne l’ai pas détruit), l’interprète, elle, sait « mettre le ton » dans sa narration. On est emporté sur son vaisseau par le sac et le ressac de la mer où elle conduit notre barque, mer qui s’anime grâce, notamment,
- aux fluctuations d’intensité brusques ou progressives,
- au plaisir du brio et à la gourmandise de la suspension,
- au respect du texte et à l’inventivité de l’arrangement visant à davantage d’efficience diégétique.
Le deuxième mouvement, « l’histoire du prince Kalendar », en si mineur, s’ouvre sur un prélude binaire et lento reprenant le motif principal avant de céder la place à l’andantino ternaire où le chant doit être doux et expressif, et l’esprit « capricieux », proche de la liberté d’un récitatif. Le nouveau thème apparaît au médium sur une pédale grave qui pose un vrai problème au piano solo, la longueur de la tenue entraînant sa disparition prématurée, d’autant que la pédale de sustain, qui permet de prolonger les sons, ne peut être laissée tout le temps où l’accord est censé résonner, car elle noierait le thème dans un gloubiboulga peu rimski-korsakovien. Etsuko Hirose travaille donc les atouts pianistiques offerts par
- les appogiatures bondissantes,
- la nette différenciation des attaques,
- la densité des arpèges et
- la souplesse des foucades rythmiques plus simples à coordonner sur un clavier qu’entre des dizaines d’intervenants.
Le tempo più mosso permet
- d’écouter bondir les staccati,
- de se goberger des différents registres, et
- de se réjouir des soubresauts de tempo et de caractère.
L’allegro molto et son mystère liminaire sont rendus avec l’inquiétante assurance qui sied.
- Trompettes et trombones se défient sous les doigts de l’interprète ;
- l’octaviation singularise l’entrée des bois qui précipite l’arrivée du moderato assai suspensif ;
- la virtuosité digitale éclate au retour des mouvements à la fois vifs et rythmiques.
La pianiste déploie
- un sens remarquable de la narration,
- une excellence notable dans l’art de la mutation,
- un goût affirmé pour la dimension orchestrale du piano
- (ensembles,
- polyphonie,
- dialogues), et
- une poésie crépitante que déplient
- nuances,
- pédalisation et
- caméléonisation, et hop, d’un piano qui, malgré la sonorité pas toujours magnifique de l’instrument, saisit l’auditeur et lui échappe encore et encore.
Le diable de clavier ne cesse de changer de forme et de caractéristiques à chaque nouveau segment d’une partition qui, habilement, développe peu ses thèmes, préférant
- les varier,
- les confronter,
- les déformer, voire
- les concaténer.
Cela profite à un arrangement décidément astucieux
- (choix de hauteurs,
- notes répétées plutôt que bariolage à l’octave déjà très utilisé,
- petite pirouette finale, etc.).
De quoi avoir hâte que, une prochaine nuit ou une prochaine notule, Schéhérazade nous donne de boire une autre chère rasade de ce vin capiteux !
À suivre…
Pour acheter le disque, c’est par exemple ici.
Pour écouter le disque gracieusement, c’est par exemple là.
Pour voir l’artiste jouer Schéhérazade (et pas que) à Paris, c’est le 25 janvier 2025 à l’Espace Bernanos (réservations ici).
Un premier verset à double sens
La musique dite savante se dissimule derrière quoi ?
- Des codes,
- des mathématiques,
- des usages.
Elle semble avoir bien raison de se protéger ainsi tant que ces gnagnagnas n’obèrent pas la part émotionnelle que ces machins permettent. En témoigne la pièce claquée par Mathieu Lours le 27 septembre 2024 en hommage à Yannick Daguerre. Lequel Yannick Daguerre avait claqué la susdite pièce à l’occasion du mariage de Mathieu. Autrement dit, la vie et la mort incluses résonnaient tantôt en la collégiale de Montmorency, avec
- l’énergie,
- l’exigence et
- l’émotion requises.
Pour preuve ou presque de ce beau médius préalablement humecté et tendu bien haut devant la mort, la vidéo infra.
Enjott Schneider, « Bridges to infinity » (Solo musica) – 1/3
Peut-être reportée au 21 février 2025, selon certains sites, fixée à l’automne 2024 selon la cyberfaçade du compositeur (en allemand uniquement), le nouveau disque d’Enjott Schneider, produit par le compositeur, n’en intrigue pas moins par son ambition : trois œuvres orchestrales (deux concerti et une symphonie de quelque trois-quarts d’heure), dont l’une intègre un chœur, se répartissant 81′ de musique, cela témoigne d’une ambition certaine – même si l’on regrette, que, une fois de plus, seuls les acheteurs anglophones et germanophones puissent profiter du livret – pour celui qui affiche à son compteur
- dix opéras,
- moult musiques pour le cinéma,
- une prédilection pour l’oratorio,
- seize symphonies avec orgue (!) et
- un goût pour l’éclectisme stylistique associant époques et espaces.
La première œuvre à tourner sur notre platine, captée par Karsten Zimmermann et Johannes Philipp Müller, est un concerto pour violon. Le soliste est ici accompagné par un orchestre de chambre philharmonique incluant quatre percussionnistes (on en découvrira infra une version très différente, tant sur le contenu musical que sur l’instrumentarium, mais qui présente des similarités évidentes dans la construction et l’imaginaire avec le concerto pour violon), commandé pour le cinquantième anniversaire de la mort de Pablo Casals et donc partiellement inspiré par son encore favori, « El cant des ocells » (le chant des oiseaux).
Son titre associe
- les oiseaux,
- la sagesse et
- la magie,
et sa construction articule cinq mouvements. Le premier, « Naissance de l’univers depuis une spirale et un œuf d’oiseau », plonge dans
- les abysses d’un big bang alchimique,
- la fragmentation du discours,
- l’évocation ornithologique d’un oiseau affolé ainsi que
- le travail sur les limites donc les grandeurs de la ligne mélodique défiée notamment par
- la percussion des archets,
- la mutation de registres,
- la friction des différents pupitres,
- l’aspiration sporadique vers le silence,
- l’écrasement harmonique offert par l’unisson et
- la confrontation des modes où les écarts arabisants ont toute leur place.
Partition de l’évocation sciemment énigmatique, ce que laissait subodorer le titre mystérieux du mouvement, ce concerto pour violon s’engage sur un langage onirique plus riche que complexe. On y goûte par exemple
- l’écho entre les différentes familles d’instruments (cordes versus bois),
- le recours à différentes percussions instrumentales
- (bruitisme des archets tressautants ou des flûtes réduites au souffle et au cliquetis des clefs,
- claquements des cordes graves,
- synchronisation très accentuée des accords rassembleurs),
- le recours abondant au mix’n’match
- d’échos,
- de styles,
- d’intensités, donc
- le dialogue entre fragmentation du discours et fusions éphémères.
Le second mouvement s’intitule « Corbeau et corneille – La noirceur nigredo » (le nigredo étant le premier moment dans la création de la pierre philosophale, celui de la calcination). Une séquence rythmique coordonne
- pulsations,
- contretemps et
- cycles moins dansants que vigoureux du violon soliste.
Le développement de cette cellule, loin d’être uniforme, secoue l’auditeur qui, par-delà les séquences où grognent, imperturbables, les cordes les plus graves, se retrouve projeté dans un espace sonore contradictoire, marqué par l’oscillation entre
- la pulsion vers la trépidance,
- l’attraction pour la méditation profonde et
- l’attrait pour
- le surgissement,
- le jaillissement et
- l’explosivité rebondissante.
Enjott Schneider se fait un plaisir d’alterner
- les couleurs et les techniques,
- les ingrédients orchestraux et les codes musicaux,
- les passages évidents – presque apprentisorciéiques – et une construction qui retient l’attention par ses aspects
- labyrinthiques,
- lacunaires et
- morcelés.
La référence alchimique embrase aussi le troisième mouvement, intitulé « Le cygne – Le blanc albédo », l’albédo (que symbolise le cygne) étant la phase postérieure au nigredo, acoquinant la distillation chimique et la libération de l’âme. Il s’ouvre par une envolée lyrique du violon qui, sur un tapis de cordes tressé pour l’occasion, se perd dans des pépiements suraigus. Le retour de l’âme autour du corps souligne que la libération n’est pas encore parfaite.
- Tantôt, cette redescente est marquée par le rythme brièvement impulsé par les woodblocks ;
- tantôt, elle s’enivre d’une intervention flûtée imitant un chant d’un oiseau plus pépiant que le cygne ;
- tantôt, elle s’abreuve aux multiples facettes de la harpe, entre glissendi rêveurs et intervalles légers ponctuant le discours.
Enjott Schneider tâche de profiter au mieux de l’ensemble à sa disposition, y compris des percussions qu’il a convoquées pour ce premier enregistrement laissant tinter çà une cymbale légèrement frappée, là babiller un xylophone dont le son boisé peut évoquer la découverte de nouveaux possibles par l’âme du violon. Après la tonicité du deuxième mouvement, le troisième, qui confirme la technique savante d’orchestration maîtrisée par le compositeur, se goberge d’une manière d’apaisement interrogatif aspirant
- à la paix intérieure,
- à la joie blanche et
- à la liberté sereine,
même si ces impulsions, convoquant explicitement le « chant des oiseaux » cher à Pablo Casals, restent
- fragiles,
- souvent perturbées, partant,
- presque illusoires, comme en témoigne la fin du mouvement.
Le quatrième mouvement, « Le paon – l’étourdissant monde astral », est de loin le plus concentré. Si le violon solo semble mener la danse par des interventions tranchantes et tendues, l’orchestre, placé sous ladirection de Gabriel Venzago, lui tient la dragée haute. Il
- accompagne,
- commente et
- interrompt volontiers
les embardées de Friedemann Eichhorn. Enjott Schneider fait rutiler la polychromie du petit orchestre en s’attachant à précipiter, comme dans un alambic inquiétant,
- mystère et continuité,
- allant et suspensions,
- refus du développement et souci d’une narrativité joyeusement énigmatique.
Le cinquième mouvement, « La danse de la grue – rituel et voyage astral », est le plus long. Il se déploie sur un rythme presque tribal par les percussions que rejoignent le soliste puis l’orchestre dans une forme d’ostinato. Se multiplient
- contrastes efficaces,
- jeux rythmiques et
- itérations roboratives
jusqu’à ce que le violon change le cours du récit pour le diriger vers une méditation au calme inquiet. Tout se passe comme si le compositeur proposait une synthèse fulgurante de son concerto à travers
- le retour d’intervalles arabisants,
- la volonté d’entremêler différents langages et
- la place laissée à une traditionnelle coda virtuose (poursuivant l’interrogation structurelle sur les rapports entre soliste et orchestre qui semble être un sous-jacent fort de l’œuvre),
avant de glisser un finale qui refuse de finir
- en profitant d’un tutti orchestral,
- en s’abîmant dans une trop attendue forme en arc type ABA, ou
- en se complaisant dans une explosion pyrotechnique que l’on imaginerait en contradiction avec le programme du voyage astral.
Il préfère s’évaporer sur une tenue suraiguë du soliste, témoignant de
- de la cohérence,
- de la maîtrise et
- de la vue d’ensemble
dont vibre cette proposition. Le prochain opus au programme, le concerto pour alto et cordes, nous propulsera-t-il sur les ailes du rêve et de l’émotion – un oiseau que l’on aime plutôt pas mal, lorsque l’on écoute quelque disque ? La réponse est à découvrir dans une prochaine notule sur le sujet !
À suivre…
Fantaisie académique
C’est une œuvre pour la jeunesse bien sous tous rapports :
- le personnage principal est une fille au tempérament de garçonne ;
- elle a deux mamans ;
- ses aventures sont un hymne à l’acceptation de la différence.
Un tournoi d’enfer est le deuxième tome d’une série qui s’inscrit dans l’effort de poly-exploitation de la marque « Donjons & dragons ».
- Écrit par Madeleine Roux,
- illustré par Tim Probert et
- traduit par votre serviteur,
il s’amuse à mêler les codes du jeu original et ceux de « Harry Potter ».
Au programme,
- internat de jeunes élèves,
- compétition (l’un des grands « trucs » des livres pour la jeunesse, avec l’inusable – hélas – préparation d’un spectacle),
- multitude de monstres en tout genre,
- aventures et twists
agitent gentiment le bocal des lecteurs en maniant à la fois l’académisme woke et la fantasy scolaire bon teint. Le plaisir de conter dont Madeleine Roux fait montre contribue à la réussite de cet amusant divertissement « pour les 8-12 ans » que l’on peut découvrir ici et acheter là.
Irakly Avaliani joue Johann Sebastian Bach (L’art du toucher) – 4/4
Dernier volet de la tétralogie Bach proposée par Irakly Avaliani : les prélude et fugue en si mineur BWV 869 qui couronnent le premier – non le « 1et » comme le propose le sommaire intérieur de la réédition de 2011 – livre du Clavier bien tempéré. Il s’agit d’un diptyque somptueux, qui laisse clairement la place à l’interprétation puisque certaines versions torchent l’histoire en 10′ (on connaît la punchline de Jo Privat, après avoir écouté un jeune virtuose accordéoniste venu lui demander des conseils : « C’est très impressionnant, tu conduis vite, mais c’est dommage car tu n’as pas pris le temps de regarder le paysage ») quand la présente proposition frôle les 17’30. La controverse est banale et insoluble, Bach n’ayant jamais assigné un tempo précis à ses œuvres, se contentant d’indications sciemment floues – ici : andante puis largo. Ce qui est moins banal est
- la richesse,
- la liberté, presque
- la polysémie,
que cette fausse négligence octroie à l’interprète. À lui de construire sa vision de l’œuvre et de convaincre l’auditeur que sa conception se tient et donne à entendre des aspects spécifiques de la pièce.
En l’espèce, le prélude ne tergiverse point. Il marche, comme son indication de tempo l’exige, bien aidé par une walking bass d’une légèreté permise par le Fazioli réglé par Jean-Michel Daudon et sublimement captée par Joël Perrot. Il y a tout ce qu’il faut :
- l’allant,
- la sérénité et
- l’étagement des intensités qui distingue avec une netteté impressionnante les trois strates de la partition
- (mélodie,
- harmonie,
- basse).
Le texte est énoncé avec
- une précision scrupuleuse,
- un phrasé harmonieux et, surtout,
- une simplicité saisissante
qui rend d’autant plus fascinants
- les chromatismes hypnotisant,
- les frottements résolus (l’enchaînement Si / fa dièse mineur à la reprise de la seconde section !) et
- les voltes modulantes,
captivant l’auditeur, fermement convaincu à l’issue de cette écoute que ce tempo est le bon tempo – idée stupide, on l’a dit, mais qui traduit à sa façon la performance artistique de l’interprète…
La fugue à quatre voix est annoncée largo ; et, en effet, on ne lâche pas les chevaux, comme disait la pelote, au contraire. À la virtuosité d’esbroufe, Irakly Avaliani substitue une virtuosité de la retenue, où
- le microdétail l’emporte sur le panoramique,
- le choix du toucher sur la précipitation, et,
- sur l’impression générale la construction spécifique du son
- (intensités,
- pédalisation,
- rapport entre les voix).
Bach a choisi de clore son recueil sur une pièce où les difficultés
- technique,
- intellectuelle et
- artistique
consistent, pour le claviériste, à transformer en musique envoûtante une quadriphonie rebelle aux effets waouh. Dans le présent disque, son porte-voix fait son miel d’une telle option avec un jeu dont
- la clarté confine à la grâce,
- la science harmonique à l’élégance et
- l’imperturbable humilité devant le génie du compositeur à un hommage de grande classe.
Se dégage de cette interprétation une évidence loin des problématiques mondaines qui nous happent d’ordinaire. Même les règles si strictes et rutilantes de la fugue semblent se dissoudre dans un flux qui fait sens par lui-même, indépendamment des contraintes mafflues qu’il lui faut respecter. A posteriori, c’est fort impressionnant. Dans l’instant, c’est juste
- saisissant,
- puissant et
- beau.
Et dire qu’il nous reste encore moult disques d’Irakly Avaliani à découvrir !
Pour écouter l’album en intégralité, c’est par exemple ici.
Pour retrouver les précédents épisodes de la chronique Bach, cliquer sur
Fantaisie chromatique et fugue,
Concerto dans le goût italien et
Deuxième partita.