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Lily et Lily, Théâtre de Paris, 27 mars 2025

L’affiche (best of)

 

Pour qui aime le théâtre de boulevard, Lily et Lily, actuellement présenté au Théâtre de Paris, tient du bonbon et du monument. Lily et Lily est

  • bonbon,
  • sucrerie et
  • douceur

parce que la pièce est définitivement marquée par sa créatrice, Jacqueline Maillan, son évocation charriant aussitôt ses palettes de nostalgie dramatique ! Monument, parce que c’est techniquement l’une des meilleures pièces du genre qui ait été écrite. Aussi phénoménale que les chefs-d’œuvres de Georges Feydeau, elle pousse au maximum le comique

  • de situation,
  • de mécanique,
  • d’invraisemblance,
  • d’absurde et même, quoique ce ne soit pas la prime spécialité des auteurs,
  • de langage.

L’histoire ? Années 1930. Hollywood. La star du moment s’appelle Lily Da Costa (Michèle Bernier). Puisque vedette, elle est plus que capricieuse : insupportable avec Sam, son imprésario (Francis Perrin) et ses domestiques (Bastien Monier et Morgane Cabot) qui ont reçu mission de l’enlever au profit de la mafia. Indifférente au mécontentement général, elle boit, sniffe et baise à tout-va. Pour sauver son âme, Deborah, sa jumelle (Michèle Bernier itou), débarque du Minnesota. C’est alors que Sam, son imprésario, a une idée : et si Deborah, plus influençable et moins ingérable que sa sœur, prenait la place de Lily ?
Michèle Bernier s’est emparée de la pièce, dont nous voyons la cinquantième représentation dans la mise en scène de Marie-Pascale Osterrieth. Avec la technicienne, l’actrice a remanié le texte de 1984 à la fois légèrement (la structure est conservée) et lourdement. C’est tout le paradoxe de ces « reprises » qui remettent en selle des chevaux parce qu’ils sont fringants dans – voire grâce à – leur vieillesse, mais tentent de les faire presque passer pour de jeunes canassons. La question n’est pas nouvelle, pour le boulevard. En 2013, lors de la réédition d’un florilège de leurs pièces chez Omnibus, Jean-Pierre Gredy et Pierre Barillet avaient eux aussi procédé à des changements « parcimonieux » (les « nègres » avaient disparu et les monnaies s’étaient modernisées), en veillant à ne surtout pas trop actualiser leur travail, confiants qu’ils étaient dans un théâtre qui, en dépit de son succès, a, comme le théââââââtre, « l’ambition d’être intemporel ». Michèle et Pascale ont eu la main autrement lourde. De très nombreuses modifications ont été apportées, le plus souvent de façon inutile. Ainsi,

  • Odilon, le domestique, est renommé Gaston ;
  • Vladi, le mari slavisant, devient Julio le vaguement hispanique (Cyril Garnier) ;
  • la fille de Chico n’est plus évoquée ;
  • jadis chassé à coup de « Jingle bells », le zinzin invisible devient un fan (ce qui oblige à une explicitation autour de l’Oasis, clinique psychiatrique, quand il s’agit d’y envoyer Lily) ;
  • Dandy Cracker se transforme en Joe le scorpion, etc.

Pourquoi diable ? Adieu aussi le prologue et les cendres de Poopsie (Michèle Bernier ne sniffe pas) ; bonjour, modifications dont l’intérêt échappe totalement ! Parmi moult, évoquons

  • le prix du journal intime de la star qui a doublé ;
  • les Marx Brothers qui perdent leur décompte ;
  • l’entreprise de nettoyage qui se consacre désormais à vider les greniers ;
  • Charlène la journaliste qui perd son maître ès pendule ;
  • les domestiques qui rêvent désormais d’un bar-tabac rue de Clichy pour y recevoir Maurice Chevalier ;
  • la chute de la dernière réplique de l’acte deuxième qui est coupée (dommage !) ;
  • Heidi et la petite maison dans la prairie qui font leur apparition ;
  • le « fondu enchaîné » qui a fondu quand, pour enchaîner (haha), Lily rembobine sa jeunesse avec son cher Jonathan qui n’attend plus dans la vieille Ford ;
  • la versatilité politique du « démocrate ou républicain », quoique rigolote, est coupée, etc.

Au gré des (mauvaises) inspirations des updateuses, on oscille entre explicitation superfétatoire (la bisexualité des chiens) et pudeurs de sainte-nitouche, faisant écho à la suppression de la poudre (ainsi, l’excellente réplique « C’est une maman qu’il vous faut / – Exactement ! Une maman… de dix-sept ans de préférence » est remplacée par un hommage aux femmes « mûres mais pas trop », beaucoup moins savoureux ; désormais, Lily s’enfuit avec un marchand de plumeaux quand elle a presque quinze ans, pas presque quatorze, etc.). Même si l’on apprécie le clin d’œil à Gilles Vigneault dans le rôle du violoneux, les nombreux changements feront évidemment sursauter les aficionados, d’autant que, dans l’ensemble, ils n’apportent rien et sonnent parfois lourdingues, à l’instar de l’hispanisation incomplète de Vladi. Toutefois, yippie ! l’essentiel demeure.

 

Morgane Cabot (Yvette) , Bastien Monier (Gaston) et Michèle Bernier (Lily et Deborah). Photo : Béatrice Livet pour le théâtre de Paris. Source : site du théâtre.

 

L’essentiel, c’est le vertige que procure le théâtre de boulevard survitaminé. Chaque soir, et deux fois le samedi, Michèle Bernier joue Lily et Deborah, mais Deborah joue aussi Lily et réciproquement, voire joue Lily qui joue Deborah, et ainsi de suite. Les conventions sont habilement mises en évidence par les auteurs, et tellement extrémisées – et hop – qu’elles craquent et font rire aussi bien de leur mécanique huilée que de leur pétillante invraisemblance. Barillet et Gredy jouent sur

  • l’accumulation et l’imbrication de situations cocasses,
  • la réversibilité des apparences et la part d’authenticité qu’elles portent, et
  • la malice mêlant
    • narration échevelée,
    • humour débridé, et
    • absurde joyeux de l’invraisemblance assumée.

Lily et Lily est un éloge vivifiant de la pacotille et de la mauvaise foi, celles

  • des vedettes,
  • de l’art,
  • de la vie quand elle va bien.

Face à la maîtresse de cérémonie, très convaincante (on avait entendu pis que pendre de Michèle Bernier : nous ne la connaissions pas mais l’estimons, tout court, puis digne et euphorisante dans son rôle), Francis Perrin réussit à sortir son personnage du pleurnichard qu’avait campé Jacques Jouanneau. L’option d’interprétation est validée par

  • un dynamisme efficace,
  • une épaisseur psychologique étoffée, et
  • une présence scénique percutante.

Parmi les seconds rôles, saluons la Yvette de Morgane Cabot, laquelle sait jouer à la fois quand elle est au centre de l’attention et quand elle se tient coite. À Bastien Monier, son partenaire, Bernier & Osterrieth inventent une carrière espérée de chanteur donc insèrent des passages de musical à vocation de respiration, certes, mais qui ne se révèlent guère convaincants. L’acteur semble à l’étroit dans son rôle de victime (il n’en sortira pas à la fin, contrairement à la VO) pour nous ébaubir.
Véronique Boulanger joue la garce avec la même univocité qu’Éric Boucher joue le mari coincé qui redécouvre la devise d’un autre Barrier, Ricet, selon laquelle « chauffe un marron, ça l’fait péter ». Les deux comédiens font montre du métier attendu pour planter ces personnages aux stéréotypes jubilatoires, oui, jubilatoires, et si vous insistez, j’ajoute « ciselés », de sorte qu’il vaut mieux briser là, je le suppute. Entre deux passages au placard (après Alcatraz, le prisonnier en fuite est souvent fourré dans un autre placard, à fourrures, celui-là) ou sous le lit, Riton Liebman tente d’incarner l’improbable Doug avec un savoir-faire guignolesque qui n’exclut pas une palette de caractères, entre

  • l’évadé sous tension,
  • l’ex d’il y a un quart de siècle,
  • l’homme rêvant d’un quickie

Cyril Garnier, lui, peine à fasciner dans son rôle remixé de parasite hispanique. Sans doute l’acteur est-il handicapé par la réécriture plate qu’il doit parler et dont on aurait aimé qu’il fût fait l’économie. Plus généralement, l’ensemble est porté par une mise en scène fonctionnelle et un décor à l’avenant – avantage du théâtre de boulevard sur l’opéra, en quelque sorte !
Comme attendu et avec justesse, la salle fait un triomphe aux artistes. Michèle Bernier a l’élégance de saluer les techniciens et la production. Le couple d’hommes à mes côtés part rassuré car, bien que nous ayons été très proches de la scène, nous n’avons pas reçu de postillons, contrairement à leurs craintes les plus fofolles. Derrière moi, les deux spectatrices qui n’avaient de cesse de se demander à chaque acte si c’était la fin, ont obtenu la réponse qu’elles attendaient. C’est bel et bien fini, après

  • un beau travail,
  • un bon moment
  • du théâtre populaire qui n’a pas peur de la virtuosité :

bravo et merci, les artistes !

 

La joie, cette espérance

Photo : Bertrand Ferrier

 

Au quatrième des cinq dimanches de Carême, un dimanche de joie. Dans la série des « improvisations du samedi soir », voici une proposition association la sobriété violette (bourdon et flûte harmonique de 8′) et la pétillance rose (flûte octaviante de 4′). Le tout est assaisonné du respect dû au travail de l’organiste dans la plupart des églises, en l’espèce une annonce improvisée par une bénévole pour une brocante fermée-mais-bon rappelant que l’orgue ne joue pas de musique pour faire résonner la parole de Dieu, il bruite. En somme, la vie – la vraie – de musicien de l’Église catholique. Vivement Pâques !

 

 

Alain Chamfort, « L’Impermanence » aux Folies Bergères, 25 mars 2025 – 3/3

Visuel du dernier disque d’Alain Chamfort

 

Ce 25 mars 2025, aux Folies Bergères, après demi-heure de concert, pendant que la vedette part en pause, voguent les musiciens sur les eaux d’un extrait de « Démodé » (1979), au texte absolument inintelligible d’où nous nous trouvons car

  • plus de bruit que de musique,
  • pas assez de diction, et
  • sonorisation insatisfaisante.

Heureusement, Alain Chamfort revient vite pour présenter ses musiciens

  • (Julia Jérosme aux claviers,
  • Jérôme Arrighi à la basse,
  • Clément Fonio à la guitare,
  • Arnaud Gavini ce soir derrière les fûts).

Puis l’artiste doit prévenir qu’est arrivé « le moment où il faut entrer dans le nouvel album », sans doute parce que son public core est réputé préférer ses anciens albums – comme ironisait Anne Sylvestre dans « Parti partout »,

 

 

mais qu’est-ce qui m’a pris de chanter ça ? J’aurais mieux fait de rester chanson française, avec la guitare et les grands cheveux, et gling gling, et tout ça, seulement voilà : ta chanson, il faut que tu la chantes ! Sinon, les droits d’auteur, ils ne tombent pas, alors, tu la chantes, ben voilà. Ouh.

 

 

A priori, ce n’est pourtant pas une gave que d’écouter « L’apocalypse heureuse », écrite (comme presque tout le disque) par Pierre-Dominique Burgaud et musiquée par Alain Chamfort en compagnie d’Arnold Turboust.

  • Le début piano-chant séduit ;
  • arrive malheureusement le doublage vocal féminin d’Alain Chamfort, inutile et assez vilain ;
  • la réutilisation de l’atmosphère du disque n’est pas non plus ce qui nous séduit le plus,

même si nous apprécions la spatialisation des sons dans les Folies Bergères alors que nous avons l’habitude d’écouter cette chanson dans des périmètres un tout p’tit peu plus restreints – notre boîte crânienne, notamment.

 

 

Le chanteur se lève pour entonner « En beauté » (« Au concours du plus laid, [il faut] savoir s’imposer en beauté »), de Burgaud et lui-même. Ambiance dancing avec

  • breaks,
  • chorégraphie et
  • voix entre lasse et indifférente.

On aimerait goûter cette tension entre dandysme et dynamisme qui caractérise Alain Chamfort, croisement entre un Alain Souchon et un Étienne Daho qui se serait plu à tremper les doigts dans le pot à dance, mais la seconde voix de la claviériste, par

  • sa justesse relative,
  • son timbre parfois crissant et
  • son inutilité musicale,

fracasse un brin notre inclination pour cette contradiction élégante. « Whisky glace », titre-phare de la collab’ avec Sébastien Tellier, libère le danseur du pied de son micro. Après quoi, l’interprète remercie ses paroliers et part sur « Par inadvertance » en guitare-voix. Peut-être par volonté de se rapprocher du disque, la direction musicale évite la radicalité d’une chanson dépouillée, comme s’il s’agissait de calquer la scène sur le studio. Sont donc rapidement convoqués les autres musiciens, au lieu de prolonger un climat plus resserré qui tranchait précieusement avec le potentiel de décibels : dommage !
Un medley entérine la mutation d’atmosphère avec son ambiance saturday night fever mêlant des extraits de « Bébé polaroïd », « Bons baisers d’ici » et « Souris puisque c’est grave ». La salle est invitée à danser (pas facile en configuration sièges ultra rapprochés) et à clap-claper, façon d’adresser des « baisers du ciel » au chanteur de charme. Les spectateurs ne sont pas au bout de leur communion puisque surgit « Traces de toi », une fredonnerie de Didier Golemanas et Alain Chamfort extraite de Tendres fièvres (1986), où les fans de longue date se donneront au chanteur sans confession en criant avec lui quand leurs cœurs font « bing bing bing ». Alors que le temps file,

  • pour nos battements de palpitant,
  • pour le concert, et
  • pour les Anciens présents qui se rapprochent de leur mort tout en s’accrochant à leur jeunesse musicale,

le chanteur avoue que ce tempus fugit l’a toujours préoccupé, même très jeune. Et le septuagénaire d’ajouter joliment :

 

 

avec le public, le temps passe encore plus vite. Alors, je voulais vous remercier pour ça, mais vous dire que je vous en veux un peu aussi.

 

 

Habile introduction au « Temps qui court », titre d’Adrienne Anderson et Barry Manilow avec de nouvelles paroles en français écrites en 1975 par Jean-Michel Rivat. La chanson qui acte la rupture entre Claude François et Alain Chamfort renverse l’idée initiale de s’en tenir au répertoire post-1980, et pourquoi pas, bon sang de bois ? Voilà donc, libre, celle qui sera la dernière chanson du set principal. À l’instar de la trotteuse fatale, elle nous rappelle que « le manque d’amour nous fait vieillir », ainsi que le professe le crooner. Les chœurs tâchent de rendre pompeux et flonflonneux ce qui aurait pu être touchant. Une fois de plus, les arrangements exagèrent les contrastes entre les styles du répertoire chamfortien sans laisser la musique donc les mots respirer au-delà du flashy : franchement, re-dommage ! Sans nostalgie pour « L’ennemi dans la glace », on aurait aimé un chanteur susceptible d’être

  • vraiment intime,
  • franchement dansant et
  • résolument troublant.

Les trois. Or, à force de chercher à lisser sa ligne de vie, l’arrangeur donne l’impression d’éteindre ces systoles et diastoles qui, justement, sont à même de faire vibrer le catalogue chamfortien, bien au-delà du plaisir de soukousser sur des basses qui boum-boument.
Pour les premier rappels, Alain Chamfort revient avec « Noctambule », sur un texte de Jacques Duvall. La chanson concluait Trouble, son disque de 1990 (son mille neuf cent quatre-vingt disque, en somme) qu’ouvrait « Souris puisque c’est grave » et où il découvrait le plaisir du sample en général et de l’amour samplé en particulier. Le deuxième bis, « Géant », est une sucrerie écrite par Jean-Michel Rivat puis musiquée par Alain Chamfort et Jean-Noël Chaléat en 1979, pour célébrer la naissance de Clémentine. La bambine de trois ans voit son papounet « comme un géant » de sorte qu’il acquiert la conviction, lui qui papillonne de femme en femme, que quelqu’un croit vraiment en lui : « Quand on est aimé, on peut tout faire, je crois. » Au point de conclure la chanson par « et même j’en suis sûr ! » Après avoir chanté avec la vedette sur son invitation, la salle chavire en oyant cette déclaration.

 

 

Ça tombe bien, le saltimbanque convie en « Paradis » ceux qui sont venus l’aduler. L’hymne est crucial car, quand la chanson paraît, pour la première fois dans le catalogue d’Alain Chamfort, apparaissent les mots d’Éric Werwilghen, aka E. Hagen-Dierks, aka Jacques Duvall, une de ses plumes majeures. Selon les vers du chansonnier belge, que s’approprie sans difficulté le chanteur français, être prisonnier d’une femme  est un piège paradisiaque. On regrette que ce moment hors-sol soit décidément fendillé par la voix pénible de la claviériste-choriste (une fois que vous avez repéré un parasite, vous n’entendez presque que lui…). L’affaire se conclut par le moment que Marie-Paule Belle, avant d’entonner « La Parisienne », dédie à « ceux qui ne sont venus que pour celle-là ». Pour « Manureva » (Gainsbourg / Chamfort – Chaléat),

  • l’ambiance est au max,
  • les vieilles demandent aux moins vieilles de se rasseoir parce qu’elles ne peuvent pas filmer l’instant avec leur cell,
  • Julia Jérosme headbangue avec une vigueur roborative derrière sa guirlande électrique rouge, et
  • l’on sent des milliers de souvenirs pas toujours avouables sourdre de centaines de corps en folie.

C’est chouette.
La seconde série de bis s’ouvre avec « Palais Royal » (1980, Jay Alanski /  Chamfort – Charléat), qui le répète : « Tu sais, le temps passe / Dis-moi que tu m’aimes. » La guitare-voix liminaire pourrait nous charmer, mais la voix de tête et les chœurs réfrènent largement notre élan. L’amusant « Tout s’arrange à la fin », écrit par Jacques Duvall, parachève le travail. On regrette à la fois la doublure voix à l’octave par la claviériste et l’absence de place laissée à un vrai solo instrumental, mais on s’amuse de cette tentative d’optimisme forcée (« tout s’arrange à la fin (…), si ça ne s’arrange pas, je m’dis qu’c’est pas encor la fin »).
Après les remerciements aux techniciens, le dernier titre, « La grâce » (Burgaud / Chamfort) part joliment en piano-voix. À notre aune, la diffusion du clip en fond, avec caméo de stars de la chanson mainstream (on peut trouver la liste des figurants DeLuxe en cliquant sur le lien supra), puis l’insertion de cordes en play-back « comme dans le disque » gâchent la question suspendue d’un homme se demandant s’il aura « su toucher les gens / autant que ceux qui l’ont touché ». Devant ce gâchis dû à Adrien Soleiman qui, quoique musicien, semble avoir peur de l’intimité et manquer de confiance dans le magnétisme du personnage Alain ou de la chanson Chamfort, une réponse s’impose : « Presque, peut-être. »

 

Présence de l’absence

Sébastyén Defiolle, Bertrand Ferrier, Jann Halexander et un petit extrait de Claudio Zaretti, le 18 mars 2025 à la librairie Publico (Paris 11). Photo : source inconnue.

 

Chanter l’autre que soi, donc soi, jusqu’à ce que la force de l’aimer manque : projet. Honnête, en sus.

 

 

Alain Chamfort, « L’Impermanence » aux Folies Bergères, 25 mars 2025 – 2/3

Photofficielle de la tournée « L’Impermanence »

 

Après une première partie décevante et un entracte longuet (après 30′ de musique, 20′ pour faire fructifier le bar maison, est-ce vraiment raisonnable ?), la lumière s’éteint et revient enfin sur la vedette du soir, Alain Le Govic dit Chamfort en personne. Depuis ses débuts dans les années 1970, soutenus par Claude François qui voit en lui un chanteur à minettes et lui fait abandonner son nom trop bretonnisant à son goût, l’ex-futur pianiste classique n’a eu de cesse

  • de croiser de grandes vedettes de la chanson d’antan, de Serge Gainsbourg à Véronique Sanson,
  • de changer de style plus par appât de la liberté que par appât du gain, même si l’un n’empêche pas l’autre, et
  • de connaître, au gré des chiffres de vente de ses disques,
    • des très hauts volant au-dessus de l’Altiplano,
    • des moyens et
    • des relativement bas.

Il a annoncé la fin de sa carrière avant, c’est selon, de se rétracter ou d’affiner ses propos : il

  • n’arrêtera pas de chanter,
  • n’arrêtera pas non plus d’écrire, MAIS
  • L’Impermanence, paru en 2024, prétexte de la tournée qui passe ce 25 mars 2025 aux Folies Bergères, sera son dernier disque au sens archéologique du terme,

le format « album » ne lui paraissant plus adapté aux nouvelles habitudes liées notamment au streaming. Au fil de ses cinquante ans de carrière et de sa quinzaine d’albums studio, c’est

  • ce bouillonnement,
  • cette insaisissabilité et
  • cette capacité à rebondir qui constituent son personnage artistique,

même si la salle est plutôt monomorphe, ne rassemblant que de vieux Blancs des deux sexes (enfin, de l’un ou de l’autre), dont votre serviteur. Fondé sur une set-list éprouvée, le spectacle s’ouvre sur une bonne idée de mise en scène. Les musiciens entrent et viennent saluer avant de prendre leurs quartiers devant leurs binious et d’interpréter eux-mêmes un bout de « Baby boum », premier extrait d’Amour, année zéro (1981), l’album qui suit la déferlante « Manureva » et est presque intégralement cosigné par celui que Jane B. aimait tant appeler « Siiiiiirge ».
À soixante-seize ans, revenu d’un redoutable cancer des os, lapalissade, Alain Chamfort entre avec « La fièvre dans le sang » (1986), une chanson écrite par Jacques Duvall et co-composée avec Marc Moulin. Le personnage du lover fou s’y affirme à travers l’itération du phonème « sang » appliqué à une fille à la fois princesse et démon. Pour le spectateur, une crainte perce : la direction artistique du jazzman Adrien Soleiman Daoud converti à la pop le conduit à sous-produire la voix par rapport au boum-boum de la basse et de la grosse caisse. Acceptons-en néanmoins l’augure puisque, dans une ambiance sombre, désagréablement trouée par un projecteur arrivant pile dans les yeux des spectateurs placés en hauteur, l’idée semble plus de jouer au Macumba des années 1980, avec

  • chorégraphie du chanteur,
  • surcharge des graves et
  • invitation à taper dans les mains.

La chanson-titre d’Amour, année zéro enquille, éloge paradoxal du carpe diem (« le futur est illusoire ») et de la pérennité (« jolie, tu l’es toujours restée / au physiqu’ comme au figuré ») qu’habille un son

  • résolument lourd,
  • assurément poisseux et
  • volontiers monocorde.

C’est le moment que choisit Alain Chamfort pour glisser l’inusable quoique usé : « Bonsoir, vous allez bien ? » comme au bon vieux temps, avant d’annoncer sa feuille de route. Il effleurera sa carrière – mais pas en-deçà des années 1980, stipule-t-il, sans doute pour créer un suspense cousu de corde blanche, puisque son architube « Manureva » est paru en 1979. L’objectif, annonce-t-il, est de « passer un bon moment ensemble ». Retour ensuite à Amour, année zéro avec l’hommage de Serge Gainsbourg à « Bambou », avec son lot de clichés sur l’exotisme africain qui ne choquait pas dans les 80’s. Pour assurer ou habiter l’espace, le chanteur indique à ses musiciens les moments de reprise et de fin. Le concert est rodé mais vivant !
Débarque « Contre l’amour » (1997). Logique pour un type qui a toujours été contre l’amour, tout contre, le sujet occupant, selon ses statistiques, « 80 % de son répertoire ». Il y revendique de savoir combattre migraines, refroidissements, angoisse, remords tardifs et tutti quanti, mais pas l’amour (« à ce jour, faut dire que nous ne gagnons pas »). En 1993, le trio Duvall-Moulin-Chamfort a ficelé « Clara veut la Lune », qui n’a pas besoin d’Alizée pour s’amuser de ses allusions porno-myléniques (« Clara veut la Lune / Il m’arrive de refuser / Quand j’ai rangé la fusée / Au garage »). C’est l’occasion d’un premier solo de guitare qui se refuse à décoller ainsi que cela se pratique à Kourou, comme ensuqué volontairement dans cet amour terre-à-terre qui atterre Clara.
Dans ce contexte, on est obligé d’entendre à double sens – si l’on peut dire – la déclaration d’amour du chanteur aux chutes, pourvu qu’elles soient douces. Troisième titre pioché dans Personne n’est parfait, « Notre histoire » se finit mal mais commence bien – dans les paroles mais aussi sur scène : on aime

  • la proximité proposée par le piano-voix,
  • l’essor permis par l’élargissement sans surprise mais bien mené de l’instrumentarium, et
  • les plaisirs
    • du temps long,
    • de la mélancolie ainsi que
    • de la redite de variété

comme si, en se remémorant les faux souvenirs de l’artiste, l’auditeur revivait voire remâchonnait ces histoires à la fois personnelles et communes à tant d’humains. Un p’tit peu de mise en scène avec le déplacement d’Alain Chamfort vers une table fleurie, une coda instrumentale de bonne facture, et voilà la première partie du spectacle terminée – nous retrouverons la seconde dans une prochaine notule !

 

Pelléas et Mélisande, Bastille, 28 février 2025 – 4/4

Huw Montague Rendall (Pelléas), Antonello Manacorda (chef) et Sabine Devieilhe (Mélisande) aux saluts. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Pour Pelléas, la fin du voyage approche, le début aussi.

Désormais, afin de lui éviter la mort, Arkel l’incite à l’exil. Peut-être fatigué (il déclarera forfait pour des représentations ultérieures), Huw Montague Rendall laisse percer son accent en relâchant la précision des voyelles. La question de la vue, replacée par l’évocation puis la présence d’Arkel (Jean Teitgen), presque aveugle, garde toute sa force. Mélisande (Sabine Devieilhe) promet à Pelléas : « Je te verrai toujours, je te regarderai toujours », tandis que le demi-frère de Golaud lui demande un rendez-vous pour « la voir » une dernière fois – ce sera à la fontaine aux Aveugles. Arkel, lui, s’arc-boute sur son envie de voir Mélisande en l’embrassant. Golaud (Gordon Bintner), personnage principal des actes finaux, s’escagasse des gueux qui viennent périr de fringale devant le château (« on dirait qu’ils tiennent tous à mourir sous nos yeux ») et aboie sur Mélisande en lui demandant : « Vous espérez voir quelque chose dans mes yeux sans que je voie quelque chose dans les vôtres ? »
Sans souffle, hélas, la mise en scène peine à traduire la poésie du texte et de la musique. L’ample tirade de Golaud (« Une grande innocence ! ») tourne plus au morceau de bravoure qu’au concentré de colère rentrée et ou donc délirante ; et le duo d’amour de la quatrième scène de l’acte quatrième vaut surtout par l’intensité que lui confèrent ses interprètes, entre punchlines

  • (« Et tous ces souvenirs, c’est comme si j’emportais un peu d’eau dans un sac de mousseline »,
  • « on a brisé la glace avec des fers rougis »,
  • « on dirait que ta voix a passé sur la mer au printemps »,
  • « Je ne t’entends plus respirer. / – C’est que je te regarde »,
  • « Ah ! qu’il fait beau dans les ténèbres ! », etc.)

et champ lexical de la vue

  • (« Je n’ai pas encore regardé son regard »,
  • « On pourrait nous voir »,
  • « Je veux l’on me voie »,
  • « C’est la dernière fois que je te vois »,
  • « Il a tout vu, il nous tuera ! »).

Puis, en contemplant la transposition vidéo de la fuite de Mélisande, un ralenti sépia dans le petit matin, on entend le verdict du musicologue expert Alain Souchon devant cet appendice bidon, et on l’approuve :

 

 

Consternation !

 

 

Le cinquième acte s’ouvre sur l’agonie de Mélisande, qui veut encore ouvrir la grande fenêtre (« c’est pour voir ! »). Le court rôle d’Amin Ahangaran comme médecin permet au membre de la troupe de l’Opéra d’installer une certaine présence, malgré un français très perfectible, ce qui est fort dommageable dans un opéra aussi délicat. Le bouleversant duo des époux, alors que Mélisande s’éteint (« J’ai le soleil du soir dans les yeux (…). Y a-t-il longtemps que nous ne nous sommes vus ? »), fait regretter la platitude de la mise en scène, dont la louable sobriété peine cependant à faire résonner

  • la fragilité intrinsèque,
  • la solennité inéluctable et
  • la puissance funèbre

du moment. Curieux, car Sabine Devieilhe est dans un registre qui lui convient ; et, surtout, l’orchestre travaille joliment. Sous la baguette d’Antonello Manacorda, il

  • déploie des couleurs efficaces,
  • cisèle des synchronisations précises et précieuses, et
  • sait alterner cohérence du son avec complémentarité des sonorités propres à chaque pupitre.

Surprise pour le spectateur : Sophie Koch revient sur scène afin de présenter la fille de Mélisande, laquelle finit par « fermer les yeux ». Wajdi Mouawad tente une incursion dans le fantastique et le symbolique pour accompagner la mort de Mélisande en réintroduisant Pelléas version fantôme. Le rajout paraît vain tant la tentative ou la tentation d’évoquer voire de décrire l’indicible oscille entre lourdeur et maniérisme. Arkel, lui, affirme n’avoir « rien vu » et conclut de la défunte : « C’était un petit être mystérieux comme tout le monde. » Du moins cette production qui peine à convaincre laisse-t-elle goûter la poésie d’harmonies verbales et sonores dont l’écoute – sinon la vue, hélas – est souvent un émerveillement recommencé !

 

Alain Chamfort, « L’Impermanence » aux Folies Bergères, 25 mars 2025 – 1/3

Capture d’écran IG annonçant la présence de Mélissende Letty « en support », avec un « r », à l’Olympia, le 17 avril 2025.

 

Remplaçant de la titulaire d’un billet, me voici dans les Folies Bergères pour assister à la première partie du concert d’Alain Chamfort, assumée par Mélissende Letty, dite Mélissende. Son set de sept chansons (sa sept-list, donc) s’articule en forme ABA : début à la guitare, milieu au miniclavier, fin à la guitare. Après avoir évoqué aux Anciens l’Allain Leprest du puissant « Quel con a dit y a rien qui s’passe ? » avec son pourtant lénifiant « Rien ne se passe », voici que la demoiselle fait surgir l’iconique « Tiens-toi droit » d’Anne Sylvestre avec « Tenir droit », posture importante pour « te dire je t’aime ». Même si, en tant que microchanteur, on est a priori solidaire de la nana qui débarque sur scène pendant que les gens bavardent en s’installant vu que ce n’est pas pour elle qu’ils se sont déplacés, impossible de tenir cette posture après

  • deux titres d’une pauvreté musicale abyssale,
  • un interchansons parlé d’une fatuité et d’un conformisme extrêmes (« alors la prochaine chanson, je l’ai écrite il y a longtemps, mais j’aime bien la chanter car elle me rappelle d’où je viens et celle que je veux continuer à être », comme aurait commenté un personnage d’André Roussin à chaque fois que sa belle-mère entre sur scène : « Feu ! »)
  • et une poétique égotique plus que limitée (« je n’ai plus peur d’être moi » sur trois notes et environ un accord, franchement, tu devrais flipper, la miss).

Avec « Que les rêves », la dame arrive au miniclavier où elle bariole et minaude en évoquant un amour perdu qu’elle peut toujours fantasmer en baguenaudant dans ses pensées « si je veux être à tes côtés, wo-o-woh ». Les amateurs de mollesse lancinante et contente d’elle-même se gobergeront

  • de la voix chichiteuse,
  • de la chanson cousue de corde blanche bien usée, et
  • de l’ironie mièvre de la demoiselle estimant que, « comme le dit le fameux dicton, une chanson sur le deuil et ça repart ».

Suit « Petite voix », toujours en bariolage éprouvant sur le miniclavier, dont les paroles sont, peu ou prou : « Cette toute petite voix, ah, ah, ah, oui, c’est bien moi, ouh, haha, ha. » Depuis les parodies citées dans Langelot chez les papous et fomentées par le regretté Vladimir Volkoff, aka Lieutenant X, on n’avait peut-être pas ouï

  • de tels véritables cheffes-d’œuvre,
  • de telles pépites jubilatoires, ni
  • de telles fulgurances de l’émotionnel.

 

 

On tâche de se contenir, de croire que le meilleur est à venir ou que le pire est passé. Hélas, rien ne nous sourit. En effet, l’interchansons parlé a la sexytude d’une huitre périmée (« Je me demande souvent si ce ne serait pas mieux ailleurs, donc la prochaine chanson s’appelle Ailleurs », aïe, heurt).

  • L’accompagnement uniforme et stérile,
  • la voix oscillant entre susurrations mielleuses et envolées nasales pour les moments émotifs,
  • les texte et mélodie plats comme un segment [AB] sur un papier millimétré d’élève de sixième,

on suffoque d’autant plus que l’on voudrait vraiment saluer

  • une singularité,
  • une proposition,
  • une présence.

Las, « L’amour m’a quitté » n’arrange pas notre déchirement entre désir et constat.

  • La diction traînante,
  • la propension à avaler les consonnes,
  • l’impression que la réverb’ et l’écho suffiront à donner de la profondeur à un timbre mielleux, mi-rien,

désamorcent notre sincère volonté de bienveillance. La fin ne nous déçoit pas davantage en bien, comme le préfigure l’interchansons : « Ma dernière chanson s’appelle courage. Je voudrais la dédier à toutes celle et à tous ceux (sic) qui ont besoin de réconfort, ce soir. » En effet, le refrain de la chanson sur le courage qui s’appelle « Courage », dit « Coura-a-age (bis) ». Wow. Quasi spooky.
Un entracte de vingt minutes n’était peut-être pas inutile pour faire la fortune du bar du théâtre et nous aider à oublier ces trente premières minutes qui, il faut bien l’avouer,

  • artistiquement,
  • poétiquement et
  • scéniquement,

nous ont affligé. Il y avait sans doute mille artistes chamfort-compatibles, plus originaux et plus doués pour profiter de cette prestigieuse tribune, c’est

  • sûr,
  • certain et
  • vaguement triste.

 

Tautologie, niveau expert

Photo : Rozenn Douerin

 

Et Dieu dit à Moïse :

 

Je suis qui je suis.
Tu parleras ainsi aux fils d’Israël :
« Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : Je-suis. »

 

C’est sur cet extrait du Livre de l’Exode, proposé parmi les lectures du troisième dimanche de Carême, qu’a fleuri l’improvisation accompagnant la sortie de la grand-messe du 23 août avec les exigences d’une registration de Carême. Voici donc le nouvel épisode de la série des « improvisations du samedi soir » ou presque.

 

 

Pelléas et Mélisande, Bastille, 28 février 2025 – 3/4

Anne-Blanche Trillaud Ruggeri (Yniold), un extrait de Jean Teitgen (Arkel) et Wajdi Mouawad, le 28 février 2025à l’opéra Bastille (Paris 11). Photo : Bertrand Ferrier.

 

C’est presque fait :

  • à l’acte premier, les fils du drame étaient lâchés ;
  • à l’acte deuxième, le drame s’est noué ;
  • voici l’acte troisième, où la question de la vue reste prégnante.

Langage précis, gestes précieux, l’instant est, dans le texte et la musique, d’une grande délicatesse. Alors que Mélisande laisse courir ses cheveux le long de la tour où elle est plus ou moins enfermée pour la nuit, Pelléas arrive et voit le ciel, au figuré comme au propre. « Il y a d’innombrables étoiles, affirme-t-il, je n’en ai jamais vu autant que ce soir. » Cependant, l’astronomie ne l’intéresse guère, il veut que Mélisande se penche afin qu’il « voie [s]es cheveux dénoués ». Au lieu de quoi, il ne « voi[t] que les branches du saule » et lance : « Je n’ai jamais vu de cheveux comme les tiens, Mélisande ! Vois, vois, vois (…) ! Je ne vois plus le ciel (…) Tu vois, tu vois ! »
Pour incarner ce coït symboliste d’une beauté singulière, Wajdi Mouawad demande curieusement à Sabine Devieilhe (Mélisande) de se contorsionner, juchée sur un promontoire. Volonté

  • d’insister sur la mise à nu des sentiments, sans cloison (mur, porte, rebord) pour les dissimuler ?
  • d’évoquer la mise en danger physique que représente le fait d’assumer un crush interdit ?
  • de souligner l’inconfort d’une situation où, après avoir tenté de se duper eux-mêmes, les amoureux en viennent à duper le mari ?

C’est peu dire que, si nous ne nous échinions à inventer une signification capillotractée à ce moment coiffure, la vision du metteur en scène ne nous transporterait guère d’émotion. Tâchant de prendre son parti du parti pris mouawadique (je sais, mais j’ai toujours aimé les chiasmes, alors, voilà, quoi), Huw Montague Rendall (Pelléas) continue de convaincre par

  • son effort de prononciation,
  • son souci de jouer sans en rajouter des conteneurs, et
  • sa musicalité
    • (science du decrescendo,
    • art des attaques,
    • ciselage des finales).

Sur sa plateforme, presque perdue, Mélisande semble s’essayer à la pole-dance. Des figurants viennent ajouter des restes macabres et une lanterne près du cheval étripé, en milieu de scène. Golaud

  • surprend les amoureux (dont sa femme, quand même),
  • feint de passer l’éponge sans y croire et sans le laisser croire, ce qui n’est pas rien, et
  • met un coup de pression à son demi-frère afin qu’il « voie le fond du gouffre » et qu’il lâche sa dulcinée.

Si la voix de Gordon Bintner (Golaud) peine à faire trembler Bastille, sa présence semble s’affirmer pendant sa colère froide, en dépit d’une mise en scène devenue chichiteuse. Encouragé, on s’attache

  • moins à son timbre qu’à son expressivité,
  • moins à sa gravité qu’à son attitude,
  • moins à ses mots qu’à la tension qui les parcourt.

 

 

De quoi respirer avant la scène gnangnan de l’opéra, qui aurait pu être poignante si le son pénible d’une voix enfantine ne contrastait – volontairement, hélas – avec un tableau puissant. Pour ce faire, la maîtrise de Radio-France a envoyé Anne-Blanche Trillaud Ruggeri pour chanter le petit Yniold. Ceux qui apprécient les rôles enfantins se laisseront émouvoir

  • par une voix en formation (la justesse reste imprécise, la pression d’une première à Bastille pouvant évidemment influer sur ce diapason fluctuant…),
  • par une actrice en devenir (l’expressivité n’est pas encore le fort de la chanteuse), et
  • par une artiste qui n’en est qu’à ses vrais débuts scéniques (ajoutée aux enjeux d’une première, la chape scolaire l’empêche encore de se libérer d’une tendance à la platitude sans doute attendue d’une bonne élève).

Là aussi, pour goûter le moment, il faut voir ce que l’on ne voit pas, entendre ce que l’on ne peut entendre : c’est raccord avec la problématique de l’opéra ! En effet, l’enfant est là pour permettre à Golaud de voir et d’entendre ce à quoi il ne peut assister, id sunt les rendez-vous entre Pelléas et Mélisande quand le mari s’absente. Heureusement pour le faux suspense, l’enfant est un brin concon, et Golaud doit lui arracher les secrets de la bouche pour ne pas rester « comme un aveugle qui cherche son trésor au fond de l’océan ». Quand il obtient la révélation qu’il veut et ne veut pas, il ne peut plus douter.
Désormais, même si, après avoir été baisé sur sa bouche barbue par le presque bambin, le futur papa aimerait « rester encore un peu dans l’ombre », « il commence à faire clair » sur Pelléas et Mélisande, autrement dit sur ceux qui « regardent la lumière » et, aveuglés par le pacte passé à la fontaine des aveugles où Mélisande a abandonné son mariage que symbolisait l’anneau, « ne ferment jamais les yeux ». Il n’est plus temps de compter les moutons : ce sont eux qui vont dormir pour toujours en se rendant docilement à l’abattoir, comme l’homme se soumet, plus par conformisme que par obligation, à sa fatale destinée. Par définition, la tragédie est inévitable, à croire que cela fait partie de ses plus beaux attraits.

 

En attendant le silence

Debussy de la Lorette en Cornouailles, le 9 août 2022 (Paris 17). Photo : Bertrand Ferrier.

 

On fait des chansons comme on se tend la main,
on n’garantit pas l’grand frisson à chaque refrain,

 

fredonnait Michel Bühler. Alors, on bricole aussi quelques couplets. Un temps, on respire ensemble. Parfois, plus tard, on se souvient et, patatras ! on refait des chansons. Donc, à l’occasion d’une causerie ou d’une autre, on les fredonne. C’est la catastrophe que documente, à sa manière, la vidéo ci-d’ssous.

 

 

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