Bien accompagné 9
Ça ne prévient presque pas, ça arrive – du coup, on vient de loin. À l’invitation de François-Xavier Grandjean, j’ai rejoint Namur cet été pour y propulser un concert d’improvisations en l’église Sainte-Julienne. Par le fait même, j’étais flanqué d’un expert chargé de scruter la granularité sonore des claviers belges. Dès l’arrivée, il s’est agi d’organiser une inspection en profondeur, puis un test selon la technique dite du tape-cul, un truc que seuls certains facteurs d’orgue sont habilités à pratiquer.
Le spécialiste ayant donné son accord, les répétitions ont pu commencer. Et il y a de quoi faire, d’autant que, face à moi, se dresse la concurrence du festival Les Solidarités, un gros machin bien beauf avec, en vedette, Pascal Obispo et Aya Nakamura, et, en invitée, la gagnante d’un télécrochet belge qui n’a pas encore de chanson à son répertoire, à part « Bohemian Rhapsody » mais, si elle a gagné c’est sûrement une future vedette, ce qui est un gage de qualité comme chacun sait. Pas question, donc, de décevoir ceux qui auraient renoncé au featuring de Charlotte pour assister à mon concert à moi.
Enfin, « mon concert à moi »… En vérité, c’est plus compliqué, mais on y viendra. Pendant que je travaille, l’expert, lui se remet de ses émotions – ce qui, selon lui, constitue néanmoins une autre facette de son travail. En effet, il s’agit de compenser « une extrême attention où les connaissances accumulées, les exigences de l’analyse et l’objectivation de la subjectivité indispensable au jugement » par un retour au calme à même de « structurer les conditions sine qua non d’une évaluation probante et, forcément, granulaire ». Ce qui, en termes iconographiques, se traduit ainsi…
On notera que la présence d’une bière ambrée s’inscrit dans une volonté résolue de s’imprégner de la culture locale » afin de mieux saisir les particularismes propres aux orgues de la capitale de la Wallonie » et de se ressourcer aux fiertés autochtones. Il ne s’agit donc aucunement d’une perversion ou d’un simple apéro au bord d’une piscine chic. Bien plus, l’on doit parler d’une imprégnation – le terme est bon, je trouve – aussi méthodique que consciencieuse, seule à même de cerner les spécificités géographiques dans leur dimension holistique, au moins. Sinon, oui, il paraît que la bière était délicieuse.
Pendant ce temps, à la différence du spécialiste, parti se ressourcer après tant d’émotion consciencieuse…
… le musicien était tenu de ploum-ploumer. Alors, soit, on ne va point le cacher, selon certaines révélations, lui aussi avait dû céder aux pressions – le terme est excellent, je trouve – et se retrouver dans tel ou tel endroit de perdition, en l’espèce le Cardinal. Mais c’était essentiellement pour profiter d’un super piano idéalement désaccordé, fracasser des standards et échanger des impros à quatre mains sur des marches harmoniques bien carrées avec le Bûcheron des Ardennes qui se trouve être le prof d’orgue du coin.
Puisque certains farceurs ont cru bon de faire circuler cette photo, nous préférons la révéler nous-même : oui, à un moment, nous avons partagé quelques gouttes de houblon avec le patron du lieu ; mais c’est, bien entendu, parce qu’il eût été indélicat de lui refuser un tel honneur, après en avoir accepté de semblables de la part d’à peu près tous les habitués du lieu. Pas question de risquer un incident diplomatique alors qu’approche à toute berzingue le concert, intitulé « France-Belgique, le match »
Le dimanche venu, forcément trop tôt après un bref passage au Cardinal, il n’en était pas moins temps d’aller à la messe. L’occasion faisant le luron, l’expert a décidé de se transbahuter aux grandes orgues de la cathédrale de Namur, où le titulaire, Emmanuel Clacens, lui a volontiers laissé expertiser sa Bête. Disons que, là, il ne s’agissait plus d’être dans l’esprit ploum-ploum-tagada. Clairement, le projet était différent, comme le sous-tendait une certaine esthétique peu propice à la farce et à la gaudriole.
C’est donc avec le sérieux respectueux requis que l’expert a décidé de se coller à son expertise, dont le clou reste forcément l’épreuve du tape-cul, réalisée d’abord très posément puis dans la vitalité que l’exercice impose.
Après avoir eu la chance de jouer un offertoire et la sortie à la cathédrale, ne restait plus qu’à préparer le concert de l’après-midi à Sainte-Julienne ; et c’est alors que, patatras, une idée surgit. Et si, tant qu’à improviser, on intégrait un local de l’étape, le tout nouveau directeur de conservatoire et excellent flûtiste Jean-François Dossogne ? Aussitôt dit, aussitôt acté. Pour la troisième fois sur trois concerts namurois, l’énergumène s’est retrouvé engagé dans une nouvelle posture : d’abord co-soliste, ensuite percussionniste, enfin, ce 25 août, partenaire pour la première des trois séries d’improvisations.
Après écoute, l’expert est formel : il attend avec hâte une prochaine invitation en Wallonie. Il estime n’en avoir pas fini avec cette granularité sonore qu’il traque inlassablement à chaque tribune que ses partners et lui visitent. L’appel est lancé. Au nom du salut, puisse-t-il être bon entendu !