Bien accompagné 32 : église de la Madeleine (Paris 8)
Ce dimanche, à l’occasion du concert du Duo éolien d’Aurélien Fillion et Mélanie Filipiak, Sleepy n’avait pas du boulot en perspective mais des boulots. En tant que fondateur, coordinateur, responsable pragmatique et prospective de la compagnie Sleepy & Partners, il lui incombait – voire il lui décombait – l’expertise des instruments de la Madeleine, « le grantogre et le rikiki ». Quand d’autres essayent de décrocher la Lune, le plus iconique des organologues a d’abord décidé de se pencher puis de marcher sur l’orgue de chœur.
En théorie, son rôle est simple en dépit de sa complexité. Le connaisseur doit expertiser l’instrument d’un point de vue de la granularité sonore, ce puissant et mystérieux concept théorisé, développé et monétisé par sa start-up. Il s’agirait, si nous avons bien feint de comprendre, d’évaluer la spécificité de la couleur instrumentale en tant que ledit résultat de la proposition n’est pas seulement un espace mais aussi un temps, une texture, un devenir, un grain d’éphémère dans une bruiterie en extension, une symbiose vibratoire perçue en tant que tel par des singularités subjectives qu’il convient, évidemment, d’objectiver dans la limite où l’objectivation n’est pas la trahison de ce que la subjectivité a d’ontologiquement subjective (« et non subjectiviste ! », glisse-t-il en s’autorisant un petit rire). Dans cette perspective, le spécialiste expertologue a su une fois de plus, et c’est tout à son honneur, faire un pas de côté. Un élément en particulier a retenu son attention : le banc.
« L’orgue est l’un des rares instruments que l’on est obligé de jouer assis, nous a-t-il expliqué. C’est sa principale différence avec le piano, dont l’utilisateur est parfaitement habilité à jouer debout. S’il en joue assis, pardon de fracasser ce vieux mythe propre au petit monde de la musique savante, c’est essentiellement par flemme. Ce n’est pas du tout le cas pour l’organiste. D’où l’importance du banc. » L’expert spécialiste a donc fort apprécié la structure destinée au postérieur du musicien et, au premier chef, le petit trou qui permet de vérifier au centimètre près si la hauteur du siège est celle que souhaite l’artiste. Tout en prenant des notes, il a posé que « la musique, c’est comme la vie : on ne peut l’apprécier et donner le maximum de soi que lorsque l’on est bien installé. » Puis il a exigé de monter sur-le-champ au grand orgue. Il en avait vu et ouï assez.
Arrivé au sommet de la vertigineuse tribune, l’expert spécialiste triomphe, exulte, éructe presque : « Voilà ce que je disais ! Voilà ce que je disais ! » En effet, il appert que, au grantogre si prestigieux, le banc exprime une fragilité qui n’est pas corrélée à la solennité de l’instrument. Toutefois, le petit ours refuse de s’en offusquer. Il n’est pas là pour juger, souligne-t-il, mais pour « jauger tout un certain nombre de caractéristiques permettant de cerner la proposition fomentée et/ou fermentée par les ondulations acoustiques de l’instrument, tant dans sa fermeté directement perceptible que dans ce que l’on pourrait synthétiser, d’un point de vue structurel, voire physiostructurel, comme une facture de l’aléatoire. »
Aussi a-t-il particulièrement apprécié le troisième clavier, actuellement muet puisque ses tuyaux ont été ôtés le temps de travaux sur la façade. « Il s’agit d’une stratégie culottée – comme une pipe, ce qui est cohérent avec un pipe organ, hihihi – d’ouvrir l’espace de l’imaginaire, de confronter le possible au perçu, de rééchelonner les deux cosmos que sont l’inouï et l’accessible », s’est-il enthousiasmé. Avant de lâcher, épuisé par sa tâche colossale : « C’est bon, j’ai fini, vous pouvez commencer le concert. » Bien que nous redoutions son silence, nous avons posé la question qui aimante tous les esprits : « Alors, cette granularité sonore, que pouvez-vous nous en dire ? » Il a souri, hoché la tête et murmuré : « Oui, oui. » Hélas, nous n’en saurons pas plus pour le moment, confidentialité oblige. La compagnie Sleepy & Partners n’est pas prête à révéler tous ces petits rien qui font des petitd tout et s’appellent, délicatement, des secrets.
Retrouvez les aventures de Sleepy & Partners…
- … aux grandes orgues de la collégiale de Montmorency.
- … à l’église Saint-Marcel (Paris 13).
- … à l’église Sainte-Marie-Madeleine de Domont.
- … à l’église Saint-Martin de Groslay.
- … à l’église Saint-Louis de Vincennes.
- … à l’église Saint-Joseph d’Enghien-les-Bains.
- … sur l’orgue provisoire loué par Notre-Dame de Vincennes.
- … aux grandes orgues de la cathédrale de Gap.
- … aux grandes orgues de Sainte-Julienne de Namur puis de la cathédrale de Namur.
- … à l’église Notre-Dame de Beauchamp.
- … sur l’harmonium du temple protestant du Saint-Esprit (Paris 8).
- … à l’église de Taverny et à l’église de Bessancourt.
- … à l’église du Raincy.
- … à l’église de Notre-Dame du Rosaire.
- … aux grandes orgues de l’église Sainte-Marie des Batignolles (Paris 17).
- … aux grandes orgues de la chapelle du Val-de-Grâce (Paris 5).
- … aux grandes orgues de la basilique d’Argenteuil.
- … sur l’orgue Cattin de Notre-Dame de Vincennes.
- … sur l’orgue Mutin-Cavaillé-Coll de Saint-Georges de la Villette (Paris 19).
- … sur l’orgue Merklin de Saint-Dominique (Paris 14), une fois ou deux.
- … sur l’orgue Delmotte de Saint-André de l’Europe (Paris 8).
- … aux grandes orgues de la collégiale Saint-Jean de Pézenas.
- … aux orgues de l’Immaculée Conception (Paris 12).
- … sur l’orgue de l’église Sainte-Claire (Paris 19).
- … sur l’orgue de l’église Saint-Denis de Gerstheim.
- … sur l’orgue de l’église Saint-Saturnin de Nogent-sur-Marne.
- … sur l’orgue de Bécon-les-Bruyères.
- … sur l’orgue de Saint-Serge d’Angers.
- … sur l’orgue de la chapelle Ozanam (Paris 17).
- … sur l’orgue de la collégiale Notre-Dame de Vernon.
- … sur l’orgue du temple du Saint-Esprit (Paris 8).