Bien accompagné 23
Pas de vacances pour les experts : la firme Sleepy & Partners a été sollicitée une fois de plus pour faire démonstration de sa capacité à établir des diagnostics aussi pointus que des turlututus quant à la granularité sonore des orgues du monde entier. Cette fois, c’est l’ultra expérimenté Boulgour qui a été mandaté auprès des grandes orgues de l’Immaculée Conception (Paris 12). L’objectif ? Toujours le même : saisir la rencontre entre le son et l’instant…
… puis, grâce à la méditation, la concentration et l’exigence analytique, devenir et le son et l’instant.
Pour l’expert, le travail consiste alors à « objectiver le granulaire ». Et ça n’est pas chose aisée, à l’en croire.
Pour déterminer l’essence – en l’espèce, l’essence du son en tant qu’il se présente à travers son grain, et vice et versa –, il nous faut revenir à ce que Husserl définit, dans Idées directrices pour une phénoménologie, comme « l’empire de l’être absolu ». Vous trouverez son propos à la page 242, dans l’édition Tel qui a popularisé la traduction de Paul Ricœur. Or, et Husserl le pointe bien, pour catégoriser l’objet de l’étude, il faut établir la plus radicale de ce qu’il appelle la « distinction au sein de l’être », c’est-à-dire le départ entre l’être comme conscience et l’être s’annonçant. Si l’on se place dans cette perspective phénoménologique – à la fois un peu schématisante, bien sûr, et éclairante, du moins pour une première approche –, la quête de la granularité sonore s’inscrit dans un process éidétique qui postule l’essence de ce grain et tâche de le dégager de ses apparats existentiels. Donc, pour cela, l’exigence majeure est sans doute de ne pas confondre l’être transcendantal du son et l’être transcendant du grain – pardon de revenir sur ce qui doit être une évidence pour tout le monde (rires) !
Soudain, le sachant tire la bombarde et, juste avant de la tester, précise, comme ses confrères qui en ont l’occasion : « Dans notre compagnie, nous sommes partenaires en expertise, mais ne croyez pas pour autant que nous nous la pétions ! »
Son job accompli, l’expert peut s’accorder un instant fraîcheur…
… puis gagner la richissime pièce annexe où, après une terrible déception…
… son instinct granulaire ne manque pas de ressurgir.
« Et voilà, soupire enfin Boulgour, les yeux dans le vague. Il ne me reste plus qu’à rédiger mon rapport afin d’avancer dans nos recherches sur la granularité sonore. » Toujours cette mystérieuse granularité sonore dont, à l’instar du Graal, un non-initié peine à définir avec précision s’il s’agit d’un récipient, d’une pierre incandescente ou d’un objet trop mou pour ouvrir une serrure, un peu comme une chemise. Gageons que c’est ce qui fait une grande partie de son charme !