Bien accompagné 17
Pas de trêve noëllique pour les explorateurs de la vibration que sont les Sleepy & Partners, cette équipe d’experts à la recherche de l’instrument « capable d’exprimer la plus parfaite granularité sonore, l’imperfection pouvant être manière de perfection », selon l’une des motivations de leur mission.
Si leur passage par Saint-Louis de Vincennes est le moment le plus illustre de cette saga, tant il a suscité de durs remous, il ne peut occulter leurs voyages à la collégiale de Montmorency, au grand orgue de l’église Saint-Marcel, aux orgues de Domont, Groslay, Enghien-les-Bains, Notre-Dame de Vincennes, aux grandes orgues de la cathédrale de Gap, de l’église Sainte-Julienne de Namur, aux orgues de Beauchamp, à l’harmonium du temple du Saint-Esprit, aux autres ogres des églises de Bessancourt, de Taverny, du Raincy, de Notre-Dame du Rosaire, de Sainte-Marie-des-Batignolles et du Val-de-Grâce [sur Google, tapez Bertrand Ferrier bien accompagné].
Cette fois, l’expert s’attaque au Gonzalez de la basilique Saint-Denys d’Argenteuil. [Le titulaire nous écrit : « Ce n’est plus un Gonzalez. Juste un estropié anonyme et attachant, vivant de la bonne volonté des uns et des autres. Ôtez ce nom que je ne saurais voir. »] L’analyse technique est assurée par le partner Boulgour (« ça s’écrit presque comme bonjour, de même que couscous s’écrit presque comme coucou », stipule-t-il), notamment célèbre pour son slip de panda.
Comme de coutume, on ne saura presque rien de fondamental, la substance étant réservée au KanGourou Sleepy et au comité d’experts. « Il ne s’agit pas de dissimulation, mais de précaution : tout un chacun n’est pas préparé à entendre certaines vérités potentiellement cosmiques », précise l’explorateur, très concentré. « Ce nonobstant, je peux reconnaître être impressionné par la ductilité d’un certain mélisme de la vibe qui, à n’en pas douter, s’épanouit dans une perspective multiplans dont il s’agit de percevoir la coaxialité afin de faire musique – oui, c’est cela : faire musique », tient-il à souligner.
L’observation techniciste n’excluant pas une approche plus artistique, l’examen des « possibles applications de Bach » à l’instrument a permis d’étayer les observations du fin connaisseur.
« Pour moi, il n’est certainement pas question de réduire la granularité à une formule magique, pointe-t-il. La granularité sonore, du fait même qu’elle paraît indéfinissable, se positionne dans une protéiformité qui nécessite une appréhension pluridisciplinaire. Les constatations pratico-pratiques sont un substrat essentiel, mais elles ne sauraient, en aucun cas, prétendre à l’appellation d’expertise si elles ne se confrontaient pas à des problématiques prolongeantes et kaléidoscopiques. Aussi le polymorphisme de notre approche est-il le contraire d’une dispersion : il se fait concentration d’énergies impalpables – oui, c’est cela : concentration d’énergies impalpables. »
Cette pluralité semble consubstantielle de la quête du Graal granulaire – ce que, entre eux, les initiés appellent la graalnularité sonore.
« Penser l’orgue comme un tout exige de penser le tout comme un multiple, et vice et versa, insiste Boulgour. L’addition de perspectives n’est point protubérance, elle est essence, comme la diversité des registres d’un orgue est la moelle de l’instrument. La synthétisation des investigations doit produire une révélation. Si elle n’émeut pas, si elle ne donne pas naissance à un sentiment, par-delà la technicité, elle s’expulse de l’incarnation et, partant, s’invalide comme médium entre nous – en tant que nous – et la granularité sonore. Car quoi de plus incarné, en ces temps de Noël, que la granularité sonore comme unité du multiple et multiple de l’unité – oui, c’est cela, unité du multiple et multiple de l’unité ? Voilà, quoi. Quand je vous disais que tout le monde n’est pas apte à saisir la cosmicité de la pensée granulaire ! Bon, et sinon, j’suis mignon, quand même, hein ? Et jusqu’au slip, s’il vous plaît ! »