Barthélémy Saurel meets Oldan, Comédie Dalayrac, 18 février 2020
Longtemps, ils ont vécu dans des mondes parallèles. Oldan vivait dans le monde du mardi, 19 h ; Barthélémy Saurel squattait la galaxie du mardi, 21 h. Les voici réunis pour une nouvelle expérience, toujours dans l’orbite de la Comédie Dalayrac. La collision des deux plaques se fait manière tectonique : chacun glisse deux ou trois titres, puis l’autre s’immisce, se frotte, reprend l’initiative.
Cette relation lascive des deux espaces-temps se dévoile dans le télescope des astronomes venus pour dix euros la place profiter de deux singularités de l’espace. Barthélémy Saurel, c’est le Terrien. Ce soir-là, il projette des chansons qu’il a soigneusement prélevées dans son riche répertoire, rayon « titres que je ne dégaine pas souvent ».
Pas de rôle prédéfini : c’est drôle quand c’est drôle, c’est pas drôle quand c’est pas drôle. Le mystérieux « Jaloux de rien » tutoie l’onirique « Napoléon » où l’artiste se transforme en grognard pour promouvoir Elvis et la gare d’Austerlitz.
Le « chanteur de race inférieure » (c’est dans ses gênes que y a pas beaucoup d’spectateurs) n’en garde pas moins « Un soleil dans chaqu’ poche » (Oldan, lui a « un couteau dans la poche », nuance) quand il compte les filles qui lui font envie (mais pas la vie qu’elles lui proposent).
L’artiste n’évite pas pour autant les problématiques urbaines comme l’art de se garer à Montmartre, ni l’importance de l’art funéraire gastronomique. Bref, on savoure cet art de chansonnier qui reste l’un des plus étrangement cachés du ciel parisien : le type n’est pas une star, mais son talent brille et devrait attirer à lui tous les kiffeurs de bonne chanson.
Oldan joue dans une catégorie différente. Au Terrien répond l’éthérique – un éthérique qui siffle de la bière, heureusement, car « Les choses sont ce qu’elles sont ». Même si l’olibrius chante parfois (« Léger au bord de la falaise »), il se revendique avant tout diseur.
Pas slameur, au sens où le slam fricoterait avec le rap à travers un travail spécifique sur la vitesse du flow ou la récurrence d’effets phoniques. L’homme a plutôt le cœur à dire des textes sur des fonds musicaux souvent planants mais assez variés pour, eux aussi, capter l’attention.
Saisit sa présence d’acteur, épurée avec un métier patent. Il cale sa grande carcasse sur un siège noir, choisit la couleur de sa boule lumineuse, semble rentrer, yeux clos, dans sa bouille où, de face, flottent de faux airs de Bernard Joyet, de Joe Dassin et de Jean-Pierre Ferland (les trois à la fois, c’est fort), et débite avec intention des textes maîtrisés, oscillant entre poésie narrative et nouvelles versifiées.
L’intérêt du spectacle est bien d’alterner deux conceptions de la chanson à la fois radicalement différentes mais fermement unies dans le métier de l’interprète-créateur, dans la spécificité de son microcosme artistique, et dans l’exigence que l’artiste s’impose pour propulser, en complémentarité, sa fantaisie dans les esgourdes et le palpitant du spectateur.
Il y a de la bonne humeur, de la bonhomie, mais aussi du talent, donc de l’astringent, des failles intimes derrière les sourires et, suspendues, ces interrogations fondamentales qui animent tout homme de scène digne de ce nom.
Quand la soirée se termine, la guitare circule parmi les spectateurs. Ce n’est surtout pas une scène ouverte, c’est la suite du partage. La redescente sur Terre. Sous terre. On boit un dernier gorgeon, on regarde le matériel qui se range, on ressort du Dalayrac. Dehors, il fait beau. Dedans, aussi, merci.
Prochaine séance : mardi 25 février, 21 h, à la Comédie Dalayrac (tout près du métro Quatre-Septembre, Paris 2).
Pour découvrir Barthélémy Saurel, c’est ici.
Pour écouter Oldan, c’est là (deux derniers albums en ligne) ou via son site officiel.