Balmino, « Les saisons à l’envers » – 1/2
Alors que les Victoires de la Musique s’apprêtent à nous rappeler à quel point la chanson française
- officielle,
- validée,
- subventionnée et
- primée
n’est plus, pour l’essentiel, qu’un étrange conglomérat fonctionnant en circuit vaseux pour produire un gros tas
- de débilité putréfiante,
- de nullité effarante et
- d’insultes assumées à ceux qui ne logent pas leur cerveau que dans leurs chaussettes, selon l’expression de Reinhard-Frederik Mey, ou dans les avis de « critiques » téléramo-radio-francesques, donc de répéteurs de communiqués de presse aimant à interviouver les artisss dans les bars des palaces parisiens,
il est heureux que des chanteurs déjà blanchis sous le harnais de la scène et du disque poursuivent leur chemin en empruntant les sentiers du crowdfunding et de la fière indépendance qui, s’ils sont parfois empruntés par des autoproclamés artistes sans
- personnalité,
- savoir-faire ni
- talent,
sont devenus des passages presque obligés pour des fredonneurs à l’audience certes plus confidentielle que les vedettes en plastique, mais aux productions incomparablement plus
- vibrantes,
- stimulantes et
- requinquantes
pour celui qui aime la chanson avec
- du texte,
- de la musique et
- du vivant.
D’où notre plaisir de recevoir le nouveau disque de Balmino, Les Saisons à l’envers, réalisé par Julien Jussey – un disque à l’ancienne avec, ô joie ! paroles dans le livret (qui aurait certes gagné à être relu plus attentivement), ce qui inscrit le travail dans
- une tradition honorable,
- le respect de l’auditeur et
- une logique justifiant pour partie le disque physique (la présence d’une traduction pouvant par exemple çà faire goûter un passage en langue africaine pour ce qu’il signifie et non seulement pour l’exotisme qu’il évoque au non-initié).
À peine la galette insérée dans notre mange-disque préféré, on est heureux d’avoir modestement participé à l’aventure qui a conduit à l’enregistrement de ce projet. Il y a du Bertrand Cantat dans la rugosité de la voix plus diseuse que chantante qui nous accueille à l’orée du bilingue « N de l’amour ». Durant plus de six minutes, Balmino – guitariste autodidacte revendiqué, jadis chanteur de Khaban devenu acteur – installe dans sa chanson un système de résonances faisant écho à
- un sentiment,
- un vécu,
- une disparition.
On y goûte
- le temps laissé au temps et à la part musicale de la chanson,
- les astuces grâce auxquelles le chanteur-auteur-compositeur s’approprie l’idée que le temps gagné comme le temps perdu se disloque mais ne revient jamais
- (durée,
- délais,
- échos,
- floutages,
- coda sciemment trop longue où le langage disparaît…), et
- cette délicatesse avec laquelle l’ACI
- évoque sans raconter,
- esquisse sans vraiment chanter,
- expose sans, et c’est heureux, en dire assez.
« Ce qu’il entend n’a pas de prix » revendique une esthétique très différente, lorgnant cette fois du côté de la pop avec programmation et sons saturés, glissants, frisant la signature Indochine new gen. La voix prend ses quartiers au pays d’une raucité proche, par certaines inflexions, d’un certain Bernard Lavilliers. Nicolas Moumbounou apporte pour sa part un écho bilingue pour évoquer l’exil des Congolais. Le texte francophone creuse la veine habile qui consiste à susciter des images en évitant d’expliciter ; et la construction de la chanson est assez riche pour garder à la fois l’énergie de la variété et l’art de la longue coda répétant en boucle le titre mystérieux de la chanson.
« Du bout de quel silence », musiqué par Nicolas Mondon, contraste à nouveau en revendiquant la simplicité
- de la percussivité du piano,
- de la cyclicité de la grille et
- de la proximité des parophonies (« raffut » suscitant « rafiot », « quel bâbord » entraînant « quel d’abord », etc.)
pour évoquer à demi-mots le tourbillon de l’amour. La voix
- dit,
- feule,
- traîne,
- crie.
La longue coda évite le solo brillant d’une gratte déchirante qu’exigerait le stéréotype. Pourtant, la musique
- respire,
- se déploie et
- se prolonge.
Efficace et convaincant. « Ni le vent moqueur » tourne casaque une fois de plus en partant sur une ambiance latine volontiers acoustique. Derrière ses
- balancements rythmiques,
- maracas évocatrices et
- mélismes vocaux frisant la marque de fabrique de Stéphane Eicher,
la chanson
- s’affiche dans une structure conventionnelle (C / C / R / C / R),
- s’habille d’un ensemble de cordes habilement arrangé par le maître d’œuvre,
- festonne autour d’un texte qui aurait assurément inspiré un Alain Bashung (« si je glisse ta Kétamine dans mon tajine / je finirai compressé au bout du rouleau sans printemps »).
Aux esgourdes d’un auditeur drogué à la chanson Rive gauche depuis environ mille ans, cette liberté verbale revendiquée pourrait passer pour un signe escagassant de facilité niaiseuse. En réalité, Balmino parvient à tisser
- des ambiguïtés,
- des frictions,
- des harmoniques
qui, sans « faire sens » de manière univoque, comme l’espèrerait presque le narrateur de la chanson, savent être
- charmeuses,
- intrigantes et
- en cohérence avec l’atmosphère
- globale, néanmoins
- polymorphe et
- riche de secousses
- globale, néanmoins
du disque, évoquant ainsi, toutes proportions gardées, les presque récentes réussites d’un JP Morgan. Bref, pour l’instant, c’est vachement bien. Voici donc venu le moment de faire une pause afin d’installer un suspense un peu foufou avant notre prochaine chronique sur le sujet, en espérant que ce teasing ne fasse pas plouf : la seconde partie du disque est-elle de la même eau ?
On pourra retrouver l’artiste en trio à la Maison pour tous des Rancy (Lyon 3), le 23 janvier, à 20 h 30.