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Fluidité et plasticité : telle paraît être la direction choisie par Ali Hirèche pour son nouveau disque rassemblant Franz Schubert et Franz Liszt autour de la figure du « Wanderer ». Fluidité, puisque la galette montre comment un même motif peut être samplé à la fois par le compositeur originel et par un collègue ; plasticité, puisque cette continuité se fait dans des formes différentes, passant par

  • le lied,
  • sa transcription pour piano seul,
  • la reprise d’un élément caractéristique pour une sonate et
  • l’inspiration d’une autre sonate inspirée du lied initial

(faut suivre, hein, on n’est pas en train de chanter les louanges du nouveau Jul, ciselé, jubilatoire, et dont le désenchantement très en écho avec notre époque apporte un éclairage singulier sur l’œuvre d’un artiste qui sait toujours se renouveler et semble arrivé à la maturité de son art de prendre les consommateurs pour leur première syllabe).
À la base, donc, un lied, « Der Wanderer ». Le texte de Georg Philipp Schmidt von Lübeck restera difficile à transformer en tube de l’été par une IA, dans la mesure où il raconte l’histoire d’un voyageur qui se demande avec nostalgie où est sa terre, où sont ses amis, avant de s’entendre répondre par les spectres que peu importe : de toute façon, où qu’il se trouve, la joie désertera. Pharrell Williams et son « Happy » n’ont qu’à bien se tenir ! Certains éléments de la mélodie de Franz Schubert sont repris dans la Fantaisie en Ut du compositeur en personne – œuvre replaquée dès lors « Wandererfantasie » sans l’approbation de l’intéressé ; et ladite fantaisie, plusieurs fois transcrite par Franz Liszt, a inspiré la grande sonate en si mineur dudit Franz Liszt. De la sorte, vous avez touché le programme du disque dans le désordre :

  • la « Wandererfantasie » ouvre la bal,
  • trois lieder de Franz Schubert transcrits par Franz Liszt servent de mi-temps, et
  • la sonate en si mineur de Franz Liszt conclut l’affaire.

Le tout est chapeauté par le seul nom d’Ali Hirèche (la première, le dos et la quatrième du disque ne mentionnent pas les compositeurs), que les habitués du présent carnet de notules ont pu croiser précédemment ici à l’occasion

 

 

La « Wandererfantasie » s’ouvre sur un Allegro con fuoco ma non troppo.

  • Énergie,
  • clarté,
  • contrastes d’intensité et de toucher,
  • explosivité,
  • aisance digitale,
  • association entre groove et caractérisation des différentes atmosphères,
  • art de la respiration et
  • science de l’agogique juste

éclairent un mouvement à la fois solaire, inquiet et rageur que traverse la fulgurance des octaves. Direction alors l’Adagio à deux temps en C#m, qui prolonge le motif liminaire.

 

 

Après l’explosion liminaire, retenue méditative et pénombre des pianissimi enveloppent l’auditeur.

  • Fine délicatesse (qui n’est pas mièvrerie),
  • orfèvrerie des nuances au sein même du très doux et
  • maîtrise profonde du clavier que les tremblements en triples à gauche pimpent avec la sourde rage attendue

débouchent sur un forte ambigu car souvent teinté de fortepiano qui me rappelle les fulminations de ma prof de piano qui criait avec la mauvaise foi de tout prof, de piano ou non : « Forte, ça n’a jamais voulu dire fort, sinon, ce serait écrit fort ! Forte, ça veut dire rythmique ! »

  • L’élégance du développement, même quand se noircit la partition,
  • la hauteur de vue qui permet au musicien d’insérer l’événement sonore dans un projet qui l’englobe,
  • la modestie de la virtuosité dentellière et
  • la capacité à insérer du swing, du percussif et du musical

conduisent l’auditeur jusqu’à la transformation harmonique habile qui se noue autour du sol dièse fomentant le La bémol du Presto suivant.

 

 

Si forte ne veut pas dire fort mais rythmique, alors presto ne veut pas dire vite mais énergique. Ali Hirèche y travaille singulièrement les articulations entre legato et détaché. Cela contribue à rendre raison d’une partition que font vibrer mille et une étincelles, dont

  • le passage malin d’une partie du motif de la main droite à la main gauche,
  • les mutations d’esprit propres à la fantaisie,
  • les soubresauts rythmiques insérant des triolets dans le ternaire,
  • les changements de registre,
  • les hésitations intérieures,
  • la contradiction progressive contractant provisoirement le Presto en un Adagio apparent,
  • la bousculade du La bémol en la mineur et
  • la suspension du discours qui tuile une fois de plus le mouvement suivant sur le précédent.

 

 

L’Allegro conclusif s’ouvre sur une amorce de fugue en Ut volontiers chromatique. Ali Hirèche en désosse la virtuosité sans la désamorcer pour en faire briller l’inventivité.

  • Variété des attaques,
  • sûreté des doigts,
  • clarté des lignes,
  • brio revigorant et
  • gourmandise de la percussivité

achèvent de convaincre l’auditeur qu’il faut poursuivre l’écoute avec trois transcriptions de lieder de Schubert par Liszt, à commencer par « Der Wanderer ». Ce sera le projet d’un prochain post !

 

À suivre…


Pour écouter sans attendre l’intégrale du disque, c’est par exemple ici.