Alex Lutz, « Sexe, grog et rocking-chair », Cirque d’hiver, 18 avril 2025 – 1/2

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L’affiche du spectacle (détail)

 

Derrière un titre franchement daubé se cache la tension qui constitue le substrat « Alex Lutz » sur scène. Désormais connu pour

  • sa série télévisuelle « Catherine et Liliane »,
  • ses films et
  • ses seuls-en-scène,

l’acteur s’amuse, quand il est en direct, à concilier les deux pôles de l’humour alla francese : les sketchs et le stand-up, les premiers étant désormais jugés ringards quand ils ne sont pas intégrés au flot narratif se revendiquant autobiographique qui caractérise le second. L’incipit du spectacle le traduit visuellement, puisque le comédien est enfermé dans un sas et cherche à en sortir en trouvant la bonne catégorie de divertissement qui, abracadabra, le libèrera. Accompagné par un guitariste et un cheval, Alex Lutz, dont le succès est considérable, confesse pourtant son impression d’être « quelqu’un de mal emmanché ». Son souci : « Mon père est mort, je dois vider sa baraque et rendre ce spectacle. » Ainsi énonce-t-il les trois motifs indissociables qui vont structurer le spectacle :

  • le thème,
  • l’espace et
  • la création.

Le thème tourne autour du décès du géniteur à travers

  • une collection de souvenirs
    • précis,
    • diachroniques ou
    • élargis à une génération,
  • l’évocation d’éléments matériels portant trace d’une vie,
  • le bilan et l’analyse spéculaire qu’implique l’exercice,

au sens où réfléchir à la mort d’autrui nous conduit moins à réfléchir à notre propre mort qu’à réfléchir à notre propre vie, en imaginant ce qui se passerait si, là, de suite, c’était moi, le mort. Il se traduit dans un triple espace décloisonné :

  • le lieu physique encombré d’une maison « à vider »,
  • la part symbolique de cette « maison à vider » et de
  • la transcription scénique de ces problématiques via l’utilisation des trois dimensions :
    • la profondeur  rendue concrète par la fosse d’où émerge sporadiquement et métaphoriquement un agglomérat d’objets qui disparaîtra dans la dernière scène, les comptes ayant été apurés à la fin des contes ;
    • l’horizontalité dont l’investissement passe par la gestion habile de la scène ronde, tant dans le partage des regards aux spectateurs que dans l’utilisation de cette circularité lors des tours équestres ;
    • et la verticalité puisque les escaliers et la scène surplombante font partie du théâtre.

 

Au Cirque d’hiver, le 18 avril 2025. Photo : Bertrand Ferrier.

 

La création, enfin, est en quelque sorte le véritable sujet de ce seul-en-scène.

  • D’abord parce qu’analyser son rapport au père passe par le questionnement physique de l’engendrement et, par voie de conséquence, des limites de celui-ci (une fois mis au monde, quelle est la part du créateur originel – le père – et celle du créateur qu’est devenue la créature ?).
  • Ensuite parce que, en narrant son père, Alex Lutz interroge aussi la mesure dans laquelle nous sommes créateurs de notre destin ou des marionnettes plus ou moins façonnées – osons le mot : créées – par une époque.
  • Enfin parce que, comme le veut le genre, une part importante du spectacle repose sur son making of.

Le spectacle est montré en train de se créer sous nos yeux. Alex Lutz évoque la concurrence fructueuse entre ses urgences artistiques et ses devoirs de fils : ce qui remplit son spectacle, c’est la vidange, la vidation, la viditude de la baraque, mais c’est aussi ce qui l’empêche de se préparer à casser la baraque au Cirque d’hiver, vu que cette toilette funéraire de l’immobilier lui ponctionne beaucoup de temps et d’énergie. Dès lors, derrière l’évidence du récit biographique d’une vie terminée et de ses conséquences sur l’existence de ceux qui restent, se jouent des problématiques finement tissées voire étoffées par une diversité

  • de langages,
  • d’humours et
  • de genres
    • (intimiste,
    • sociologique,
    • fictif à travers l’incarnation de personnages inventés, etc.).

C’est sans doute cette polymorphie du texte qui permet à Alex Lutz de passer très rapidement du statut de vedette qu’on va voir pour bien s’marrer à celui d’acteur qui crée un objet dramatique à la fois très reconnaissable et bien plus original que ce que l’on aurait pu redouter. Nous continuerons de l’évoquer tantôt.


À suivre !