Alex Jellici et Matías Lanz jouent Giovanni Benedetto Platti (Solo musica) – 1/2

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Première du disque

 

Bien que ce disque ne vise pas le public hexagonal (pas de notice en français dans le livret), risquons-nous dans les méandres de ce premier volume d’une trilogie qui aspire à rendre justice aux sonates pour violoncelle et aux sonates pour clavecin de Giovanni Benedetto Platti, un type qui, de 1722 à 1763, a joué à peu près de tout, y compris des cordes vocales, et composé abondamment contre les émoluments d’un prince.
Le projet est audacieux car de nombreux enregistrements ont déjà documenté certains pans de l’œuvre d’un compositeur nonobstant peu connu. À son crédit, cette double intégrale s’annonce savamment construite puisqu’elle s’ouvre sur la septième sonate pour violoncelle et basse continue, rejetant d’emblée l’ordre chronologique parfois fastidieux que sous-entendait jadis le concept d’intégrale. Sur le modèle des sonates d’église, comme le rappelle le claviériste (également organiste patenté, ce qui pose un peu l’olibrius, évidemment), la pièce s’articule selon la logique lent-vite-lent-vite.

 

 

Sur un tempo posé, l’adagio de la sonate en Ré offre à Matías Lanz l’occasion de réaliser une basse plutôt touffue sous la ligne aux sonorités plutôt mates du violoncelle d’Alex Jellici, un instrument toulousain (la notice indique “Paris”, mais il semble que le luthier n’y ait jamais exercé) de Joseph Laurent Mast. L’allegro ternaire se risque un tantinet davantage au dialogue. On y apprécie l’inventivité du violoncelliste, fin connaisseur de la musique baroque, qui sait

  • orner sa reprise,
  • varier les attaques et
  • filer les sons pour leur donner la dynamique échappant forcément au clavecin.

En revanche, la cadence déploie les possibles des cordes pincées :

  • arpèges,
  • accords,
  • traits et
  • effets d’attente

alimentent l’intérêt de l’auditeur. Le largo exploite

  • le registre aigu du violoncelle,
  • l’énergie qu’apporte la juste ornementation et
  • le contraste entre sinuosité des croches et magie des tenues.

Le presto, joyeusement ternaire, est parcouru d’une pétillante envie de gambader que les musiciens traduisent par

  • une rythmique nette,
  • une synchronisation travaillée et, par moments,
  • une complémentarité exprimée par exemple par des effets d’écho d’ornementation.

 

 

La première sonate du premier opus de Giovanni Benedetto Platti (“sur le goût italien”) prolonge la pièce précédente par sa tonalité. Toutefois, l’adagio témoigne d’idiomatismes différents.

  • Délicatesse de l’écriture,
  • rythmes pointés,
  • lignes chantournées,
  • parallélismes des deux mains

esquissent un autre univers qui conviennent fort bien au clavecin créé en 2013 par Gianfranco Facchini. L’allegro confirme la capacité du compositeur à s’éloigner des marqueurs baroques pour les mixer vers ce que nous considérons comme des signes avant-coureurs de l’écriture classique. On y apprécie

  • la vivacité des doubles croches,
  • la tonicité des accords,
  • le naturel avec lequel les trilles vibrionnantes fusionnent avec la ligne générale, et
  • la capacité de l’interprète à incarner la partition.

Le largo, en trois temps et en mineur, se nourrit

  • d’effets d’attente,
  • de tentations de modulation (en la mineur ou en Fa) et
  • d’irrégularités dans l’énoncé harmonique ou mélodique que Matías Lanz n’hésite pas à user avec gourmandise.

Le presto, ternaire, revient au mode majeur. On s’y réjouit

  • de l’allant qui n’est point précipitation,
  • de l’enrichissement des reprises qui n’est jamais encombrant, et
  • de l’efficacité des stratégies dynamisantes mises en œuvre par le compositeur et enflammées par le claveciniste
    • (notes répétées,
    • walking bass,
    • contretemps,
    • association
      • d’arpèges,
      • de bariolages à la sixte,
      • de trilles et
      • de mordants).

 

 

La neuvième sonate en Sol pour violoncelle et basse continue s’ouvre sur un adagio alliant

  • grâce,
  • solennité et
  • élégance.

On profite ainsi

  • du phrasé souple d’Alex Jellici,
  • de la ductilité inventive de la basse continue, et
  • du travail de complicité (respirations, intentions, complémentarités).

L’allegro, binaire, fuse dès les premières notes.

  • Intensité,
  • allant et
  • jubilation

habitent l’interprétation, pimentée par les astuces du compositeur

  • (tentation du mineur,
  • changements thymiques de la partie soliste,
  • ruptures d’élan et reprises de la course…).

L’adagio revient à des sentiments plus posés qui permettent au violoncelle de sculpter sa sonorité à travers notamment

  • les tenues,
  • la caractérisation des registres, et
  • la construction de l’énoncé
    • (legato,
    • détaché et
    • silences).

L’allegro final, ternaire, apparaît

  • dansant,
  • entraînant et
  • jovial.

Giovanni Benedetto Platti le pimpe

  • ici avec une petite farce (fausses fins),
  • çà par des contretemps têtus,
  • là par des altérations qui ravivent l’attention.

Les interprètes s’emparent de ces petits cadeaux comme Pacman gobe les aliments offerts à sa voracité.

 

 

La quatrième sonate pour clavecin est en sol mineur, ce qui fait écho au Sol – majeur, lui – de la sonate précédente. Elle débute par un largo articulé comme un duo entre deux mains qui

  • s’écoutent,
  • se répondent et
  • s’imitent.

La langueur du mouvement est notamment pimentée par

  • des appogiatures,
  • des ornements,
  • des groupes de triolets voire de sextolets,
  • une fausse sortie et
  • une envolée finale.

Même principe d’écho dans le presto e alla breve, mais qui n’hésite pas à lorgner du côté du solo quand les deux mains ne propulsent plus qu’une seule ligne. Ces deux possibles créent une tension, une électricité et une imprévisibilité qui n’est pourtant pas la première caractéristique de la musique de cette époque. Matías Lanz y injecte

  • la célérité qui sied à la partition et à sa dextérité,
  • la liberté très ciblée d’agogique et de respiration qui éclaire les voltes de l’écriture, et même
  • un soupçon de précipitation lors des relances qui galvanisent l’auditeur.

L’adagio, ternaire, adopte la forme d’une mélodie sur accompagnement. Quoique topique en soi, cette option

  • contraste avec le précédent mouvement lent,
  • permet au musicien d’affiner l’interprétation
    • (trilles,
    • retards de résolution,
    • suspensions) et
  • donne un allant à la partition indépendant de la vitesse du tempo puisqu’il est cette fois fondé sur l’impression d’une force qui va – et que le compositeur a la malice d’arrêter aux moments stratégiques.

C’est un mouvement ternaire non tanto allegro qui conclut la sonate. Cette allégresse modérée permet au claveciniste de sculpter le rythme tel que l’expriment

  • le double ternaire (trois triolets dans une mesure à trois temps),
  • l’efficacité des notes répétées,
  • les parallélismes entre les deux mains et
  • les jaillissements en triples croches qui feraient moins d’effet si le tempo était déjà effréné.

Le disque – bien rempli par 78′ de musique – se poursuit par trois sonates que nous chroniquerons ce tout tantôt.

 

À suivre !


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