Alain Fourchotte, “Cordes tressées” (Triton) – 2/4
Après un trio pour cordes, la monographie d’Alain Fourchotte s’enrichit d’un duo pour violon et piano intitulé Espoirs et articulé en quatre mouvements trois lents et un rapide (le troisième). Composée en 2011 et dédiée à Saskia Lethiec, qui tient ici le violon au côté de son complice coutumier Jérôme Granjon, elle évoque « les espoirs que le Printemps arabe a fait naître ici où là » tout en refusant d’assumer un « programme ».
Le premier mouvement laisse à découvert le violon, tenté par
- les valeurs longues,
- la diphonie et
- les rebonds d’archet.
Un appel à la liberté semble émaner
- de sons détrempés,
- d’harmoniques entêtantes,
- de glissendi et
- de surgissements auxquels se joint le piano.
Une série de cinq notes descendantes tresse souplement manière de fil rouge où s’entortille une part d’onirique
- (tremblements floutant les contours de la note,
- résonances de sustain,
- contrastes entre tenues et explosions,
- mutations de registres…).
Bouclant ce I, entre mystique et extatique, un bref solo de violon se perd dans l’évanescent du suraigu en fade out. Le deuxième mouvement approfondit l’inclination du compositeur pour
- les harmoniques,
- les tenues et
- l’étrangeté associant suraigu du violon et grondement sourd du piano.
Au violon les valeurs longues, au piano les accents et le clapotis de l’accompagnement. Le statisme de la partition privilégie
- l’évocation sur l’énonciation,
- la suggestion sur la définition,
- la brume irisée sur le paysage sonore nettement découpé.
Le troisième mouvement est annoncé prompt par la note d’intention. Un violon motorique pianissimo s’emporte, peut-être sous l’effet de la tonicité du piano. Les rôles s’inversent, proposant un système
- d’échos,
- de renversements,
- de miroirs donc
- de récurrences
où
- l’énergie,
- les nuances et
- les trajectoires – parallèles ou contraires – des deux parties
semblent compter autant que la note ou l’accord dont elles procèdent. Le quatrième et dernier mouvement renoue avec l’opposition liminaire entre les valeurs longues du violon et les percussions du piano. Le jeu sur le vaste spectre
- des attaques,
- des intensités et
- des registres engagés par chacun des instruments
procure une fascination certaine pour les vapeurs activées, libérées et propulsées par les musiciens. Le propos n’est certes pas plus net que l’illusion que fut le Printemps arabe, preuve que, en le transposant, le compositeur s’est bien inspiré de ces secousses qu’un bon marketing politique a rendu séduisant notamment aux yeux des Occidentaux ; mais il donne de quoi nourrir une rêverie grâce
- à l’explosivité spectaculaire des sforzendi, comme si le texte rassemblait une série de mini big bangs à même de recréer d’étranges et éphémères univers,
- au murmure envoûtant des tenues infinies ouvrant l’espace sonore vers un point de fuite insaisissable, et
- à la double nature des échanges entre partenaires, à la fois incapables de communiquer véritablement et enrichissant leur langage par cette apparente incommunicabilité.
Le decrescendo final laisse entendre
- le son après la musique,
- le bruit du doigt heurtant le manche après le son, et, enfin,
- le silence après le bruit,
un silence
- que l’on interroge,
- dont attend la dissolution, la fragmentation ou la submersion par ces vibrations qui nous agacent parfois mais nous rassurent souvent,
- qu’il est un temps difficile d’accepter comme une fin.
Peut-être une métaphore
- du changement qui s’étiole, échoue à se pérenniser ou à féconder un nouveau changement,
- du rêve qui se dégrade en devenant réalité ou, tout simplement,
- de la vie qui finit par sombrer dans rien.
En somme, un signe de l’art d’Alain Fourchotte à disrupter, et hop, les habitudes d’écoute de l’auditeur sans perdre la qualité fondamentale de la musique : diffuser du plaisir par sa capacité
- d’évocation (fût-elle disjointe des projections imaginées par le compositeur)
- d’émotion (dans la liberté propre à cette caractéristique de quelques créatures terrestres) et
- de dépassement de la réalité ensuquante si prompte à nous happer dans le commun, le trivial et l’abrutissant.
Rendez-vous dans une prochaine notule pour évoquer le Troisième quatuor à cordes du même compositeur !
À suivre…