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Visuel du dernier disque d’Alain Chamfort

 

Ce 25 mars 2025, aux Folies Bergères, après demi-heure de concert, pendant que la vedette part en pause, voguent les musiciens sur les eaux d’un extrait de « Démodé » (1979), au texte absolument inintelligible d’où nous nous trouvons car

  • plus de bruit que de musique,
  • pas assez de diction, et
  • sonorisation insatisfaisante.

Heureusement, Alain Chamfort revient vite pour présenter ses musiciens

  • (Julia Jérosme aux claviers,
  • Jérôme Arrighi à la basse,
  • Clément Fonio à la guitare,
  • Arnaud Gavini ce soir derrière les fûts).

Puis l’artiste doit prévenir qu’est arrivé « le moment où il faut entrer dans le nouvel album », sans doute parce que son public core est réputé préférer ses anciens albums – comme ironisait Anne Sylvestre dans « Parti partout »,

 

 

mais qu’est-ce qui m’a pris de chanter ça ? J’aurais mieux fait de rester chanson française, avec la guitare et les grands cheveux, et gling gling, et tout ça, seulement voilà : ta chanson, il faut que tu la chantes ! Sinon, les droits d’auteur, ils ne tombent pas, alors, tu la chantes, ben voilà. Ouh.

 

 

A priori, ce n’est pourtant pas une gave que d’écouter « L’apocalypse heureuse », écrite (comme presque tout le disque) par Pierre-Dominique Burgaud et musiquée par Alain Chamfort en compagnie d’Arnold Turboust.

  • Le début piano-chant séduit ;
  • arrive malheureusement le doublage vocal féminin d’Alain Chamfort, inutile et assez vilain ;
  • la réutilisation de l’atmosphère du disque n’est pas non plus ce qui nous séduit le plus,

même si nous apprécions la spatialisation des sons dans les Folies Bergères alors que nous avons l’habitude d’écouter cette chanson dans des périmètres un tout p’tit peu plus restreints – notre boîte crânienne, notamment.

 

 

Le chanteur se lève pour entonner « En beauté » (« Au concours du plus laid, [il faut] savoir s’imposer en beauté »), de Burgaud et lui-même. Ambiance dancing avec

  • breaks,
  • chorégraphie et
  • voix entre lasse et indifférente.

On aimerait goûter cette tension entre dandysme et dynamisme qui caractérise Alain Chamfort, croisement entre un Alain Souchon et un Étienne Daho qui se serait plu à tremper les doigts dans le pot à dance, mais la seconde voix de la claviériste, par

  • sa justesse relative,
  • son timbre parfois crissant et
  • son inutilité musicale,

fracasse un brin notre inclination pour cette contradiction élégante. « Whisky glace », titre-phare de la collab’ avec Sébastien Tellier, libère le danseur du pied de son micro. Après quoi, l’interprète remercie ses paroliers et part sur « Par inadvertance » en guitare-voix. Peut-être par volonté de se rapprocher du disque, la direction musicale évite la radicalité d’une chanson dépouillée, comme s’il s’agissait de calquer la scène sur le studio. Sont donc rapidement convoqués les autres musiciens, au lieu de prolonger un climat plus resserré qui tranchait précieusement avec le potentiel de décibels : dommage !
Un medley entérine la mutation d’atmosphère avec son ambiance saturday night fever mêlant des extraits de « Bébé polaroïd », « Bons baisers d’ici » et « Souris puisque c’est grave ». La salle est invitée à danser (pas facile en configuration sièges ultra rapprochés) et à clap-claper, façon d’adresser des « baisers du ciel » au chanteur de charme. Les spectateurs ne sont pas au bout de leur communion puisque surgit « Traces de toi », une fredonnerie de Didier Golemanas et Alain Chamfort extraite de Tendres fièvres (1986), où les fans de longue date se donneront au chanteur sans confession en criant avec lui quand leurs cœurs font « bing bing bing ». Alors que le temps file,

  • pour nos battements de palpitant,
  • pour le concert, et
  • pour les Anciens présents qui se rapprochent de leur mort tout en s’accrochant à leur jeunesse musicale,

le chanteur avoue que ce tempus fugit l’a toujours préoccupé, même très jeune. Et le septuagénaire d’ajouter joliment :

 

 

avec le public, le temps passe encore plus vite. Alors, je voulais vous remercier pour ça, mais vous dire que je vous en veux un peu aussi.

 

 

Habile introduction au « Temps qui court », titre d’Adrienne Anderson et Barry Manilow avec de nouvelles paroles en français écrites en 1975 par Jean-Michel Rivat. La chanson qui acte la rupture entre Claude François et Alain Chamfort renverse l’idée initiale de s’en tenir au répertoire post-1980, et pourquoi pas, bon sang de bois ? Voilà donc, libre, celle qui sera la dernière chanson du set principal. À l’instar de la trotteuse fatale, elle nous rappelle que « le manque d’amour nous fait vieillir », ainsi que le professe le crooner. Les chœurs tâchent de rendre pompeux et flonflonneux ce qui aurait pu être touchant. Une fois de plus, les arrangements exagèrent les contrastes entre les styles du répertoire chamfortien sans laisser la musique donc les mots respirer au-delà du flashy : franchement, re-dommage ! Sans nostalgie pour « L’ennemi dans la glace », on aurait aimé un chanteur susceptible d’être

  • vraiment intime,
  • franchement dansant et
  • résolument troublant.

Les trois. Or, à force de chercher à lisser sa ligne de vie, l’arrangeur donne l’impression d’éteindre ces systoles et diastoles qui, justement, sont à même de faire vibrer le catalogue chamfortien, bien au-delà du plaisir de soukousser sur des basses qui boum-boument.
Pour les premier rappels, Alain Chamfort revient avec « Noctambule », sur un texte de Jacques Duvall. La chanson concluait Trouble, son disque de 1990 (son mille neuf cent quatre-vingt disque, en somme) qu’ouvrait « Souris puisque c’est grave » et où il découvrait le plaisir du sample en général et de l’amour samplé en particulier. Le deuxième bis, « Géant », est une sucrerie écrite par Jean-Michel Rivat puis musiquée par Alain Chamfort et Jean-Noël Chaléat en 1979, pour célébrer la naissance de Clémentine. La bambine de trois ans voit son papounet « comme un géant » de sorte qu’il acquiert la conviction, lui qui papillonne de femme en femme, que quelqu’un croit vraiment en lui : « Quand on est aimé, on peut tout faire, je crois. » Au point de conclure la chanson par « et même j’en suis sûr ! » Après avoir chanté avec la vedette sur son invitation, la salle chavire en oyant cette déclaration.

 

 

Ça tombe bien, le saltimbanque convie en « Paradis » ceux qui sont venus l’aduler. L’hymne est crucial car, quand la chanson paraît, pour la première fois dans le catalogue d’Alain Chamfort, apparaissent les mots d’Éric Werwilghen, aka E. Hagen-Dierks, aka Jacques Duvall, une de ses plumes majeures. Selon les vers du chansonnier belge, que s’approprie sans difficulté le chanteur français, être prisonnier d’une femme  est un piège paradisiaque. On regrette que ce moment hors-sol soit décidément fendillé par la voix pénible de la claviériste-choriste (une fois que vous avez repéré un parasite, vous n’entendez presque que lui…). L’affaire se conclut par le moment que Marie-Paule Belle, avant d’entonner « La Parisienne », dédie à « ceux qui ne sont venus que pour celle-là ». Pour « Manureva » (Gainsbourg / Chamfort – Chaléat),

  • l’ambiance est au max,
  • les vieilles demandent aux moins vieilles de se rasseoir parce qu’elles ne peuvent pas filmer l’instant avec leur cell,
  • Julia Jérosme headbangue avec une vigueur roborative derrière sa guirlande électrique rouge, et
  • l’on sent des milliers de souvenirs pas toujours avouables sourdre de centaines de corps en folie.

C’est chouette.
La seconde série de bis s’ouvre avec « Palais Royal » (1980, Jay Alanski /  Chamfort – Charléat), qui le répète : « Tu sais, le temps passe / Dis-moi que tu m’aimes. » La guitare-voix liminaire pourrait nous charmer, mais la voix de tête et les chœurs réfrènent largement notre élan. L’amusant « Tout s’arrange à la fin », écrit par Jacques Duvall, parachève le travail. On regrette à la fois la doublure voix à l’octave par la claviériste et l’absence de place laissée à un vrai solo instrumental, mais on s’amuse de cette tentative d’optimisme forcée (« tout s’arrange à la fin (…), si ça ne s’arrange pas, je m’dis qu’c’est pas encor la fin »).
Après les remerciements aux techniciens, le dernier titre, « La grâce » (Burgaud / Chamfort) part joliment en piano-voix. À notre aune, la diffusion du clip en fond, avec caméo de stars de la chanson mainstream (on peut trouver la liste des figurants DeLuxe en cliquant sur le lien supra), puis l’insertion de cordes en play-back « comme dans le disque » gâchent la question suspendue d’un homme se demandant s’il aura « su toucher les gens / autant que ceux qui l’ont touché ». Devant ce gâchis dû à Adrien Soleiman qui, quoique musicien, semble avoir peur de l’intimité et manquer de confiance dans le magnétisme du personnage Alain ou de la chanson Chamfort, une réponse s’impose : « Presque, peut-être. »