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Aux saluts d’Adriana Lecouvreur, le 16 janvier 2024 : sur scène, à partir du cinquième à gauche, on reconnaît presque Yusif Eyvazov (Maurizio), Anna Netrebko (Adriana ressuscitée), Jader Bignamini (chef) Ekaterina Semnchuk (la princesse de Bouillon) et Ambrogio Maestri (Michonnet). Photo : Bertrand Ferrier.

 

La mort approche. Après

l’acte quatrième d’Adriana Lecouvreur s’apprête à conclure l’affaire ainsi que nous conclurons la nôtre : tragiquement. Dans la demeure d’Adriana aux airs de coulisses dans le décor de Charles Edwards, Michonnet veille sur son ancien crush. 2 h 30 après sa première apparition, Ambrogio Maestri n’a rien perdu

  • de sa présence,
  • de sa voix ni
  • de son goût pour l’interprétation.

Anna Netrebko lui répond. La vedette qui joue la vedette ne prend pas la peine de jouer son personnage – on le peut regretter, mais elle se contente d’être l’ex-star délaissée.

  • Son incarnation vocale pourrait se suffire à elle-même car
  • le souffle, le grain, l’éventail de nuances saisissent et
  • les mutations de caractère dans le registre du désespoir témoignent tant d’une maîtrise technique stupéfiante que d’un long et profitable compagnonnage avec le rôle.

Quelqu’un a-t-il osé diriger l’artiste, si peu actrice ? Son jeu oscille entre

  • sitcom pour le côté caricatural (ha ! cette main à la tête quand elle constate que « più non ricordo »…),
  • télécrochet pour l’aspect plaqué de l’excès gestuel et
  • spectacle de fin d’année dans l’incapacité à jouer avec les autres.

 

 

On se console en écoutant à la fois la Netrebko, l’orchestre et les quatuors de chanteurs où les seconds rôles tirent leur épingle du jeu quand les collègues viennent célébrer sa fête. Alejandr0 Baliñas Vieites (Quinault), Nicholas Jones (Poisson), Ilanah Lobel-Torres (la Jouvenot), Marine Chagnon (la Dangeville), les locaux de l’étape, membres de la Troupe lyrique et des chœurs de l’Opéra, se jettent dans les stichomythies et les ensembles avec métier. Dans la composition, cet intermède est astucieux car il enrichit l’écriture après

  • les airs,
  • les soli et
  • les passages instrumentaux.

Las, point le temps de festoyer – ou plutôt, si : on envoie les auto-invités se rincer la dalle ailleurs (« Sete voi non avreste? », devine la réponse) car voici le moment drrrramatique que l’on attend depuis le premier lever de rideau. Les fleurs « offerti in un’ora d’oblio » reviennent, empoisonnées. Elles sont respirées à pleins poumons par Adriana. Le public frissonne car il sait ce qui se passe… et pourtant, personne ne se précipite sur la scène pour empêcher Anna Netrebko de périr. C’est d’autant plus ballot que Maurizio arrive pile pour lui offrir

  • sa main,
  • son nom,
  • son trône.

 

 

Ce dernier duo, incluant la négociation (« Non, mon front qui ne change pas d’avis / ne saurait porter une couronne de reine », affirme  modestement Adriana dans le duo supra avant, évidemment, de se raviser), précède

  • la folie,
  • l’agonie et
  • la mort tragique de la tragédienne.

En effet, l’amour qui « sfida la sorte » et « fuga la morte » ne va pas longtemps défier le destin et fuir le trépas. Alors que le délire la prend, Adriana implore qu’on la sauve car « morir non voglio » ; puis, « perché morire? » C’est quand même plus chouette de « vivere del suo amor ». Mais, voilà, c’est raté pour cette fois. Celle qui se prend alors pour Melpomène, muse

  • du chant,
  • de l’harmonie et
  • de la tragédie,

s’offre néanmoins un ultime air de bravoure, enveloppée dans la « luce d’amor ».

  • Gravité,
  • onctuosité et
  • ivresse du cri fatal devenu musique

valent un nouveau triomphe à la Netrebko, qui ruisselle sur

  • ses compagnons d’agonie,
  • l’orchestre et singulièrement
  • son chef, Jader Bignamini.

Certes, l’intérêt narratif de l’opéra se dissout vite, mais

  • l’implication des interprètes,
  • la qualité des costumes de Brigitte Reiffenstuel et la pertinence des partis pris de David McVicar,
  • la remarquable coordination entre le plateau et les musiciens,
  • une partition à la fois joyeusement caricaturale et menée avec un savoir-faire épatant, ainsi que, évidemment,
  • une Anna Netrebko en grande forme vocale

permettent

  • de trembler,
  • d’espérer contre toute évidence et
  • de s’émouvoir

jusqu’au terme de la représentation. Youpi !