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Yusif Eyvazov, le 7 février 2019 à la salle Gaveau. Photo : Rozenn Douerin.

 

Après avoir présenté le contexte et le synopsis, voici le temps d’évoquer le spectacle que reste (ou devrait rester) l’opéra. Le premier acte nous propulse dans les coulisses de la Comédie-Française. L’orchestre, placé sous la direction de Jader Bignamini, profite à plein de la partition. Il affiche

  • un dynamisme,
  • une précision et
  • une efficacité

parfaits pour

  • entraîner le spectateur,
  • lui faire lâcher sa vraie vie et
  • le jeter dans une œuvre

qui tire sans doute une partie de son succès, en sus des grands airs de bravoure qu’elle offre aux chanteurs, de son étrangeté. En effet, elle associe trois ambiances :

  • celle du dix-huitième siècle pour le décor officiel, mais qui fleure encore son dix-septième archétypal ;
  • celle du dix-neuvième, duquel ressortit le type d’intrigue original et le genre de l’opéra ; et
  • celle du vingtième siècle qui se préfigure (l’opéra a été créé en 1902), avec la conscience du kitsch porté par un genre très repérable.

Dans un entretien, David McVicar admet que sa mise en scène « aurait pu choisir Los Angeles comme décor« , probablement parce que, dans cet opéra, tout est autant toc qu’authentique. L’histoire est aussi véridique qu’un palmier en plastique dans un soap cheap censé se passer l’été à Nice mais tourné en Seine-Saint-Denis en hiver. La bonne idée est donc de conserver l’intrigue dans son jus pseudo historique, afin de rendre compte de l’ambiguïté d’époque et du plaisir de cet exotisme chronologique.
Pour porter ce projet, il faut un plateau superlatif. Comme de coutume à l’Opéra de Paris, pas un chanteur français n’est convié, hormis la mezzo Marine Chagnon (Madamigella Dangeville), de la Troupe lyrique de l’Opéra. C’est un scandale sans cesse renouvelé, que tant d’argent du contribuable ne ruisselle jamais sur l’expérience de nos meilleurs artistes. La préférence, ici, va à de superstars plus bankable et à des chanteurs expérimentés – à condition qu’ils ne soient pas français. Ambrogio Maestri est le premier à s’aventurer sur scène. Déjà Michonnet (régisseur de la Comédie) à Barcelone, l’homme joue dans son ampleur bonhomme pour installer sa présence scénique. Dès « Michonnet, su! Michonnet giù », il convainc.

  • Timbre,
  • souffle et
  • incarnation

mettent d’emblée le public du côté de son personnage de loser sympathique. L’éblouissement continue avec l’entrée d’Anna Netrebko. La diva qui aime se présenter dans ses appartements de milliardaire, faisant du shopping DeLuxe ou cuisinant non loin de Yusif Eyvazov confirme une énième fois que sa réputation de soprano six étoiles n’est pas usurpée. Dans « Io son l’umile ancella del Genio creator », elle lâche les grands chevaux :

  • tenue,
  • nuances,
  • intensité et
  • sa spéciale que sont les piani incroyables osés dans une salle immense et aussi audibles que saisissants.

Michonnet le balourd espère néanmoins pécho la nana non grâce à son physique mais grâce à un argument de la mort qui tue : il vient d’hériter d’un oncle pharmacien à Carcassonne. Il peut donc se marier. Adriana se réjouit pour lui tout en se demandant sur quelle malheureuse ce vieux bonhomme va mettre le grappin. Elle, c’est décidé, elle a craqué pour Maurizio qui, justement débarque. Yusif Eyvazov claque « La dolcissima effigie sorridente » avec le métier nécessaire. Le texte est débile, soit, mais le ténor l’envoie avec le savoir-faire qui le caractérise. Certes, la voix n’est pas la plus envoûtante du monde, mais

  • le soutien ne se dérobe jamais,
  • les aigus sont là, et
  • l’assurance fait le reste en campant le personnage.

Porté par une direction très attentive malgré un départ en fanfare de l’opéra qui ne doit pas être de tout repos pour le chef, l’orchestre se cale habilement dans l’agogique des chanteurs. L’assistance dégaine en masse les cellulaires pour saisir le moment où Anna promet à Yusif que tous les trésors de la France ne valent rien contre une « larme pure, ce diamant d’amour » de son chéri. Le premier acte finit magnifiquement avec

  • de beaux ensembles,
  • un duo efficace entre le prince de Bouillon, plus méchant que machiavélique (Sava Vemić) et l’abbé de Chazeuil, sirupeux et perfide à souhait (Leonardo Cortellazzi), et
  • un dialogue particulièrement soigné entre Michonnet et le premier violon.

Un volet initial enthousiasmant !


À suivre…