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Les apparences sont une arnaque, une fois de plus : sur la photo de Josée Novicz, il y a bien le comédien, romancier, livrettiste, metteur en scène, dramaturge, etc., Olivier Balazuc, un de ces potes qu’on a plutôt envie d’assassiner pour cause d’excès de talents-au-pluriel, mais, avec un p’tit effort, on devine aussi, sous l’oreiller, Leslie Bouchet, dont les tétons ne vont pas tarder à pointer hors du lit. Pour la bonne cause : depuis le 11 octobre et jusqu’au 26, le théâtre de la Commune, à Aubervilliers, accueille l’adaptation théâtrale de HHhH de Laurent Binet, signée Laurent Hatat. J’y suis allé le dimanche 14 en matinée, et voici ce que j’ai vu.
L’histoire : un écrivain compte raconter l’assassinat de Reinhard Heydrich à Prague, en 1942. Sauf que, paralysé par son souci d’exactitude, il n’avance pas, bien que sa marotte détruise son couple (première partie). Jusqu’au jour où il se lance (seconde partie) et accepte les béances de l’Histoire pour narrer, enfin, une grave histoire de parachutistes, jeune fiancée, crypte, Sten merdique, crin de cheval, salopard et trahison, le tout dans un seul souffle – le sien.
L’avis : l’adaptation de Laurent Hatat repose sur l’opposition entre un dialogue soliloqué (l’écrivain parle avec sa compagne, mais tient de moins en moins compte de ses interventions) et un soliloque schizophrène (l’écrivain raconte l’Histoire mais aussi sa difficulté à la raconter, son impossibilité à tout dire, ses silences obligés).
Ainsi donc, dans la première partie, le narrateur évoque son roman, l’Histoire, la réécriture mémorielle. De la sorte, il cherche à discerner ce qui est bien, intéressant, acceptable, etc. Pendant ce temps, sa compagne, après avoir joué le jeu, parfois au sens propre, lui signale qu’elle en a un peu ras la casquette et l’accuse de se laisser fasciner par le nazisme sous prétexte d’intérêt historique. Le couple tourne dans le lit, accompagné d’extraits de films que le narrateur commente, de projections du texte ou de sources qui tantôt défilent, tantôt s’ouvrent à la manière de notes de bas de page – pop-up, etc., jusqu’à ce que l’écrivain soit, à l’évidence, au bord d’une manière de folie, entendue comme emmurement ou déconnexion, ce que manifeste la désertion bien compréhensible de sa compagne. C’est là qu’on croit toucher le coeur d’un projet dramatique palpitant, en tout cas qui nous fait palpiter : il s’agirait de faire sentir la folie de l’art, l’invasion de l’écriture sur la vie, le retournement de la proie – le narrateur songeait-il écrire l’Histoire ? voilà que, en l’obnubilant, c’est elle qui écrit la vie de l’écrivain.
Or, la mise en scène n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Demander à un acteur de jouer la folie en l’extériorisant (déstructuration du décor en forme de lit, bonds et jets de manuscrit) peut paraître vain à bon droit, tant l’effet Stabylo (tu as vu, spectateur, ce que je veux te faire comprendre ?) a quelque chose de lourdaud, voire d’insultant pour mes p’tites cellules grises. Olivier Balazuc tente, avec une abnégation stupéfiante, de le compenser. Comme pour signifier que le fou n’est pas que le vociférateur ou le proférateur pusillanime – je suis pas sûr que « pusillanime » s’applique ici, tant pis, je laisse car ça crache – mais est aussi celui qui interroge et s’interroge juste un peu trop, comme pour pointer que l’artiste en danger de démence est parfois celui qui repousse les limites de la norme en croyant qu’il saura s’arrêter à temps, partant maîtriser cette ivresse, Olivier Balazuc, donc, décline une palette impressionnante d’attitudes, de registres vocaux, de rythmes, de jeux avec le silence brefissime, d’expressions faciales, qui captent le spectateur et alimentent son attention. Pas entièrement suffisant, à notre goût, pour compenser les faiblesses de l’adaptation de Laurent Hatat (personnage fantoche interprété par Leslie Bouchet, début de la pièce joué entièrement nu par Olivier Balazuc – on l’a souvent vu postérieur dénudé, mais était-ce vraiment symbolique de lui demander d’exposer ses couilles ? – et presque entièrement nue par sa partenaire, musique clichetonnante…).
D’autant que trop court est le moment où l’on croit voir advenir un enjeu, un projet susceptibles de nous captiver. En effet, la seconde partie, après que l’acteur a tiré le rideau sur ce qu’il reste de son lit, est entièrement constituée d’un monologue de, quoi ? disons d’une vingtaine de minutes ininterrompue, qui réalise le débat entendu précédemment. La promesse de raconter l’assassinat est enfin mise à exécution, ha ha, avec une répartition des rôles plus qu’attendue – héroïques Résistants, connards et cons de nazis. Que cela corresponde à une réalité historique importe peu ; j’étais violemment déçu de me retrouver devant un récit, certes bien mené, mais dont l’absence d’originalité littéraire remet en cause l’intérêt des débats littéraires et historiographiques ! L’adaptateur a-t-il voulu jouer sur la dimension déceptive du résultat (en clair : tout ça pour ça, toutes ces réflexions pour un résultat si convenu) ? Cette hypothèse n’est pas tout à fait convaincante, car la happy end (retour de la compagne en imper) plaide plutôt pour un éloge d’une normalité retrouvée, ce qui est, dans la vie, rassurant, mais, en littérature, moins déceptif que décevant. Et pourtant, en direct, on ne peut que constater la virtuosité de l’acteur. Explosent sur scène le talent, le métier et l’art de conteur d’Olivier Balazuc, sa capacité à rapter la salle d’un regard, d’une intonation, d’un débit affolant (dans sa rapidité ou ses brusques brisures), d’un geste ou d’une immobilité, et d’une diction toujours parfaitement intelligible quoique jamais surfaite (on est aussi loin de la préciosité alla Comédie-Française que du marmonnement pseudo-profond d’une impatientante Jeanne Balibar). Cette prestation, sinon diabolique du moins surhumaine, ne peut que sonner l’esprit critique du spectateur, puis emporter son adhésion momentanément, et son admiration définitivement.
Le résultat des courses : ben oui, avouons-le, pendant le morceau de bravoure final, réellement exceptionnel – pas tant par sa longueur, même si bon, déjà, que par l’intensité du jeu d’Olivier Balazuc -, on est enlevé par l’évidence de cette interprétation, donc presque séduit par ce qui se dit, à la façon régressive de « raconte-moi une histoire, encore, encore, encore ». Mais, à l’arrivée, le soufflé retombe : l’acteur est éblouissant, c’est sûr, gravé, incontestable ; reste qu’il joue une adaptation peu épicée, malgré le sujet touchy, où l’essentiel de ce qui nous paraissait le plus alléchant est occulté. Vu le zozo qui joue ce texte, c’est quand même un chouïa dommage !