Gil Ben Aych fête ses quatorze ans en 2012
L’Anniversaire du 28 octobre 1962, de Gil Ben Aych (l’école des loisirs, « Médium », 108 p., 7,5 € soit 0,07 € env. la p.) ? Ach, voilà un livre qui laisse perplexe. Ce n’est pas, en soi, un défaut, mais on aurait aimé en être, sur ce cas précis, franchement convaincu. (Voilà, c’est mon accroche pour ce livre. Elle est très perfectible, comme disait cette chère Malina Stachurska du temps qu’elle jaugeait mon travail, mais bon, c’est l’approche qui existe, reconnaissons-lui à tout le moins, j’adore cette expression qui donne envie de cogner quelqu’un, ce défaut ou cette qualité, c’est la moindres des causes.)
L’histoire : Gil quitte les Batignolles pour Champigny, où il a de nouveaux profs et de nouveaux kômôrôdes de klass. Il les décrit, mais on s’en fout car le coeur du sujet, c’est le week-end des 27 et 28 octobre 1962, marqué par le référendum gaulliste, la crise des missiles cubains… et le quatorzième anniversaire de l’auteur. Dans une chaude ambiance politique, imprégnée par le communisme virulent des uns et l’indifférence des autres, mais aussi une chaude ambiance religieuse, que nourrissent le judaïsme résolument casher des uns et l’ouverture au halouf des autres, l’auteur esquisse deux jours de tension, où égocentrisme annuel et mondialisme rouge cherchent, bon an mal an, un terrain d’entente.
Le bilan : forcément, chez un fils de pied-noir algérien (si) vivant aux Batignolles et dont une soeur s’est installée à Champigny, il y a un intérêt sinon communautaire du moins familial pour ce genre de témoignage. Pourtant, si ledit fils de pied noir n’oublie pas qu’il a aussi un cerveau et qu’il a passé des années, à tort ou à raison, à construire des critères de jugement argumentés, il doit bien admettre que le troisième livre de Gil Ben Aych publié à l’école des loisirs ne l’a pas entièrement séduit. Voici pourquoi.
En cause, en premier lieu, les artifices dont le maintien en l’état par l’éditeur vise, sans doute, à attester l’authenticité du témoignage, mais nous semble a contrario le desservir méchamment. Les doubles ou triples signes de ponctuation (« ?! », « !!!… », etc.) nous ont toujours paru traduire une faiblesse de l’expression – c’est donc aussi le cas ici. Le langage, le style, les astuces linguistiques de tout poil doivent pouvoir, à notre sens, éviter ces coups de Stabylo entre lourdeur et puérilité. De même, les notes de bas de page, intégrées au texte, qui sous-titrent sporadiquement le récit (« Lenny Escudero, célèbre chanteur d’origine portugaise »), nous désobligent aussi : ou le contexte permet de cerner le sens de cette référence, ou on s’en fout, c’est un petit bonus pour les connaisseurs et les curieux (pas d’ma faute ou presque, j’ai toujours détesté les donneurs de leçon qui exerçaient leur sacerdoce en dehors des cours ou équivalents). Ces astuces peu astucieuses visant à paraphraser et surligner le sens, attestées même dans de très bons livres pour la jeunesse, sont ici si nombreuses qu’elles peuvent paraître saturer le récit et donner une impression d’amateurisme maquillé en signe de véracité, sur le thème : le témoignage n’a pas été écrit par un professionnel de la littérature pour la jeunesse, d’où ces dissonances… D’où, surtout, notre frustration.
Celle-ci est motivée par, en second lieu, une structure bancale, grevée par un long chapitre de quarante pages (les dix autres font donc en moyenne six pages chacun), truffant de commentaires dialogués le récit radiodiffusé de la journée de crise. Cette pénible leçon d’Histoire, même personnalisée de façon assez grossière (itals pour la radio, romain pour les commentaires, tuilage parfait entre les deux), donne l’impression que l’anniversaire du narrateur-autobiographe est un prétexte à un long panoramique didactique sur ce moment, au lieu d’être un réinvestissement personnalisé d’un événement international. Pour les gourmands, disons que c’est l’anti-Quand j’étais soldate de Valérie Zenatti, qui tendait à montrer comment être une jeune femme malgré les tensions israélo-palestiniennes et les joies de la vie militaire – faisant donc le choix du récit construit, nourri et enlevé contre le didactisme ou la plate série de notations d’époque. Cette impression peu favorable est renforcée par des listes descriptives (les profs, les élèves) dont il n’est fait aucun usage narratif. Leur intérêt est sans doute évident pour Gil Ben Aych, mais pour le lecteur, ce sont des pensums inutiles. Bien sûr, on aimerait dire qu’ils permettent de saisir, par petites touches, l’esprit d’une époque, mais on serait carrément des gros menteurs qui puent si on prétendait penser ça.
Le résultat des courses : les faiblesses patentes pointées supra sont d’autant plus agaçantes que le dernier tiers du livre est plutôt prenant. Les personnages de la boulangère et de son mari velu sont bien campés, on s’amuse à la dégustation de conserves interdites, on se réjouit de l’indifférence ironique de la mère, on apprécie l’ambiance assurée par les gens-qui-sont-malgré-tout-venus-à-l’anniversaire. Mais le mal est fait : faute d’un travail éditorial, même sciemment défaillant, qui aurait pu inciter Gil Ben Aych à alléger les répétitions sur l’onomastique, mieux construire son texte pour le gorger d’anecdotes croustillantes et significatives, bref, dépeindre de façon plus personnelle et moins ennuyeuse ce week-end spécial, plus jouer sur les formulations comme il le fait parfois (« merde, pour une fois que j’avais quatorze ans », 45 ; « Où t’y as vu jouer ça, déjà ? », 54 ; « un anniversaire, ça te fait une année de plus à vivre en moins », 104 ; « si je me vois comme une figue, que serai-je dans une troisième vie ? », 107), bref, rédiger un fragment autobiographique plus personnel et plus prenant à la fois, on est déçu et, pensant au livre que l’on n’a pas lu, on peste à coups de « nom d’un petit bonhomme » (oui, comme le village gaulois) et autres saperlipopette.