Jann Halexander, Comédie Nation, 8 octobre 2016, bis

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Les habitués hyperattentifs cligneront d’un sourcil or something : n’a-t-on point parcouru ce qui suit il y a quelque trente-cinq jours, peu ou prou(t) ? Si fait. Ce post fait partie de ceux que l’autoproclamé « membre de la famille » d’Elsa Gelly a supprimé en hackant mon site – performance de cochon qu’il essaye de renouveler depuis que nous en avons repris le contrôle. L’équipe de Jann Halexander ayant gardé trace de cette notule, la revoici, pied-de-nez résolu contre la censure des lâches… et hommage à un beau concert, aussi.


Jann méditeJann Halexander chante encore… mais quel âge ça lui fait-il ? Né au Gabon, à Libreville, d’une mère pianissse et d’un père ministre plénipotentiaire (ha-ha, ça rigole plus), l’homme qui se présente comme acteur-réalisateur-chanteur-écrivain, fasciné par Anne Sylvestre et Mylène Farmer, propulse une chanson plutôt pop-poétique qu’à texte, si on entend par « chanson à texte » un fredonnement avec mobile, crime et chute. Le 8 octobre, il terminait sa série de spectacles sur le format « Affidavit », avec guitarissse et deux chorissses en sus du chanteur-pianissse. Nous y étions, et nous en fûmes bien heureux.
Car le spectacle, sur une structure ABA (entrée par salle, spectacle sur scène, sortie par salle, c’est mieux que l’inverse), présente une facette séduisante du gaillard. Ses chansons varient, bien fol est qui s’y fie. Tantôt soukouss, tantôt rythmiquement brassessiques, tantôt mélodiquement sylvestriennes, tantôt marquées par cette structure classique de la descente d’un ton à quatre reprises (Am/G/F/E, par ex.), tantôt intimiste, tantôt latines, tantôt introspectives, tantôt généralistes, elles s’inspirent de thèmes connus souvent revivifiés – la famille, l’amour, le rapport aux origines – et puisent dans des genres divers, lorgnant à l’occasion vers la crudité voire la cruauté vampirico-sexuelle de Marie-Paule Belle sans jamais s’en approcher, parce que c’est son choix. Jann Halexander a beau être un pseudo, ce n’est ni un mème, ni un fake.
En effet, le zozo a un univers qui lui est propre et va très au-delà de ce que YouTube valorise de lui – LGBT, antiracisme métissé, post-leprestisme… Son auto-ironie lucide et ses inspirations multiples le conduisent à butiner dans des genres d’ordinaire cloisonnés, et cela participe pleinement de la séduction qui saisit le spectateur à la fin du spectacle. Certes, un critique pourra pointer, du haut de sa toute-puissante prétention, telle ou telle option artistique qui ne lui paraît pas optimale : la rythmique de la guitarissse – incroyablement peu charismatique, quoi qu’elle daigne enfin lâcher un sourire sur la fin – a beau s’appuyer sur seize ans (n’est-ce pas trop ?) de conservatoire à Fontainebleau, sa mollesse sans fantaisie paraît ne rien apporter à l’accompagnement, qui moins est quand elle double les accords du piano – la blague sur « elle peut jouer ça pendant 24 h » évoquant la déjà ancienne facétie de Thomas Fersen, ravi de prolonger l’intro de son gratteur parce que, après tout, cet esclave est payé pour ça ; l’apport original des choristes, au plaisir communicatif et valorisés individuellement avec pertinence, décevra les gourmands qui penseraient « pourquoi pas plus d’harmonisations à plusieurs voix ? » ; l’ajout de textes indispensables au chanteur dès qu’il se pose au piano semble alléger çà et là la qualité de l’interprétation, l’artissse feignant vaguement d’être dans le par-cœur tout en coulant des regards vitaux vers son prompteur acoustique ; le savoir-jouer du chanteur fait regretter qu’il ne se lâche pas davantage lorsqu’il est au piano, notamment en solo instrumental, etc.

Photo : L. Elanga.

Photo : L. Elanga.

N’empêche. Même pour ces zzzurluberlus qui en veulent toujours plus à leur goût – individus dont, admettons-le, il est possible que nous fassions partie de temps en temps –, reste la joie d’une soirée parfaitement adaptée à son écrin, en dépit de chaises qui ont l’air de vouloir vous expulser après quelques minutes de cohabitation, et en dépit du laïus mignon mais dispensable de la patronne du lieu sur le thème « défendez les artissses en venat voir du spectacle vivant… chez moi ». Reste le plaisir d’un répertoire roboratif, puissant et intelligemment agencé (la chanson sur le serpent norvégien est idéalement placée pour faire son effet), chanté avec cœur et avec ce rien de retenue pleine de désillusion qui paraît constitutive du mec en dépit de son masque plein d’assurance. Et reste l’occasion de découvrir sous son meilleur jour artistique une personnalité singulière jusque dans sa façon de chanter, avec un souffle long et une intonation parfois sciemment fausse – personnalité que l’on peut, en toute honnêteté, conseiller aux lecteurs du présent post d’aller applaudir lors d’un prochain passage scénique.
Même quand on va le voir alors que l’on est fatigué, usé, à bout, Jann Halexander sait séduire son auditoire, fanatique de son travail ou néophyte curieux. Ce soir-là, pour moi, c’était pas gagné. C’est gagné. Respect.