Romain Didier, Théâtre Romain-Rolland (Villejuif), 19 novembre 2015

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20151119_220717Romain Didier, c’est le maître-mâle du piano-voix. Côté féminin, plane, un cran au dessus peut-être, Marie-Paule Belle – c’eût été excitant de voir, pour tout un récital, Juliette seule au piano. Côté mâle, personne ne peut le contester, le seul à pouvoir maîtriser son piano tout en, sporadiquement, vous balançant une chanson qui vous dévaste, et, le reste du temps, en vous séduisant par la pertinence de sa mélodie ou de son groove (ses paroliers étant, parfois, pas tout à fait au niveau), se fait appeler Romain Didier.
Son nouveau spectacle, créé cet été à – et certainement pas en – Avignon, s’intitule Dans ce piano tout noir, début d’une de ses fameuses chansons. Articulé en trois épisodes plus bonus, il propose des séries de chansons enchaînées pendant vingt minutes environ, à peine interrompues, le temps de suçoter quelques goulées, par un fondu au noir, et tuilées par des interludes musicaux, parfois fondés sur des airs connus (dont des « tubes » de Barbara, Gilles Vigneault, Jacques Brel, Beethoven…), parfois organisés autour de chansons ou de modulations improvisées, parfois thématiques. Présenté comme une série de confidences, le concert balaye une large partie du répertoire de l’auteur-compositeur-interprète, en excluant systématiquement les chansons à caractère humoristique. Au point que le public se croit obligé de glousser bruyamment sur la chanson, plaisante, oui, virulente, oui, mais guère hilarante, pointant le rapport entre Gestapo, barbecue et vie mitoyenne…
Remarquable pianiste, grand timide devant l’Éternel (entre autres), Romain Didier trouve ainsi l’occasion de ne presque pas parler au public, en proposant un récital assurément original où sa voix, devenue beaucoup plus grave qu’à ses débuts, aligne les chansons connues ou moins courues avec constance. Étriqué au début, son organe s’affirme après une heure de chant, laissant quelques regrets – ah, si l’artiste avait osé se chauffer « avant »… Quelle joie d’entendre, à côté de hits, des titres comme « J’ai noté », interprétée parlando, ou « Si un jour, c’est fini » (malgré la difficulté de tonalité assumée à la quarte inférieure) ! Et cependant…
Oui, il y a un « cependant » dû à l’attente que l’on avait créée à l’idée de revoir un ACI aussi admirable. D’autant que l’on avait applaudi à tout rompre son précédent passage parisien au Vingtième Théâtre. Cette fois, le spectacle paraît à la fois différent, ce qui est joyeux, mais moins maîtrisé. Non à cause de rares « trous de mémoire » (y compris sur l’excellent « Ta mémoire », rappelant les trous du Vingtième toujours sur un sujet tout proche) ou des doigts qui rippent sur le clavier, à cause de modulations inédites ou d’arrangements spontanés ; plutôt par le choix de la linéarité que semble avoir fait l’interprète. Certes, on apprécie l’hommage rendu à Charles Trenet, à Michel Jonasz et à Gilbert Bécaud, interprété avec beaucoup de singularité ; on apprécie aussi le silence relatif aux attentats du 13 novembre, évoqués par une pseudo-citation pertinente en fin de bal plutôt qu’avec des larmes gnangnan qui eussent paru surfaites et plus charlies que sincères ; on apprécie évidemment l’évidente dextérité globale du musicien. Mais le manque d’aspérité du concert, l’absence d’interaction avec le public (elle fait à la fois l’originalité et, à notre sens, la limite de l’exercice), le choix d’un spectacle uni et uniquement sérieux, peuvent motiver une certaine déception devant un artiste dont il semble que, de la sorte, en dépit du travail fourni et de la dissonance de son spectacle dans un univers chérissant le lol et le répétitif, il ne rend pas compte de l’ampleur riche et variée de son talent.
Peut-être faudra-t-il attendre un prochain disque studio pour se laisser derechef stupéfier par Romain Didier comme on l’avait été au Vingtième théâtre pour le spectacle Au singulier. Cela ne doit pas empêcher de saluer le plaisir de retrouver un chanteur dans sa meilleure présentation (en piano-voix), ainsi que la performance qui consiste, en dépit d’un éclairage sans intérêt (la différence d’intensité se contentant de marquer le passage d’une chanson à l’autre), à faire coïncider chanson, piano, variété et même pop avec un talent patent fondé sur une remarquable maîtrise des codes classiques. Manqueront toujours l’évidence, la profondeur et la présence d’un Allain Leprest, soit. N’en éclatera pas moins la singularité gourmande d’un Romain Didier, aucun doute… surtout avec une voix retrouvée.