Indochine, « 13 Tour », 16 février 2018, AccorHotels Arena

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Ce 16 février marquait l’heureux retour d’Indochine à « Bercy », pour le premier de ses quatre concerts complets, version « 13 Tour » (le cinquième vient d’être annoncé à la réservation et devrait rapidement déborder).

Le contenu

Au programme, 2 h 22 de musique distribuées, grosso modo, en deux temps :

  • d’abord l’interprétation du nouveau disque, 13, en réservant une chanson pour la fin ;
  • puis, après un rapide feuilletage de classiques (type « College Boy »), le passage aux golden hits, dont les quatre plus connus sont « J’ai demandé à la lune », pour le presque récent et, pour les préhistoriques « Canary Bay », « Les yeux noirs » et l’indispensable « Aventurier ».

Soyons clairs et stipulatoires : un concert d’Indochine n’offre guère de surprise, au contraire. Il est construit autour de topoi rassurants, qui contribuent à fédérer trois catégories de spectateurs – les fans hardcore, les fans qui envient un peu la fanitude des premiers, et les pièces rapportées, tractées par les deux premières catégories (on se souvient de Wally, à l’Espace Jemmapes, remerciant « la moitié des spectateurs qui a obligé l’autre moitié à venir »).

Photo : Rozenn Douerin

Les caractéristiques

Première caractéristique, la scénographie se décline en trois éléments-clefs : la structure (une scène au fond et une avancée scénique jusqu’aux deux tiers de la fosse) ; les écrans (cette fois joliment découpés façon icône de haut-parleur, avec un écran lunaire supplémentaire pour les spectateurs latéraux) ; et un jeu de lumières tout à fait pimpant, entre effets bateaux mais indispensables, élégantes trouvailles dans la verticalité et rétro-éclairage de la scène, notamment autour du chiffre « 13 », déformé tantôt en croix, tantôt en un T évoquant une pub pour Deutsche Telekom. Cette scène en T est truffée de prompteurs, car Nicola Sirkis ignore complètement ses textes grotesques (voir le refrain de « Song for a Dream », par ex.), semblant les découvrir parfois et s’emmêlant les pinceaux, dès le deuxième titre, quand il a la folie de s’en détacher – heureusement, la salle entière lui sert de prompteur lorsqu’il n’arrive pas à lire son texte, c’est-à-dire, hélas, souvent. À cette double scène (fond + avancée) s’ajoute une scène supplémentaire : la salle, puisque Nicola Sirkis tient à descendre dans la fosse pour saluer ses admiratrices au plus près.
Deuxième caractéristique, la répartition des rôles : un concert d’Indochine, c’est un concert de Nicola Sirkis, point. Ce vendredi, il est teint en blonde, avec une coupe à mi-chemin entre un jacques-higelin hirsute et un footballeur est-allemand inspiré par David Bowie (le spectacle, qui s’ouvre sur un hommage notamment à feu David, s’achève sur « Life on Mars »). Accessoirement, le fondateur du groupe est accompagné de vieux complices, de nouveaux déjà anciens et d’un p’tit inédit – en l’espèce, le batteur, vigoureux et constant : dans un répertoire qui fonctionne essentiellement grâce à la grosse caisse ultra-amplifiée, le Suédois derrière les fûts est la pièce majeure et, sans doute, le meilleur des instrumentistes du soir. Ajoutons aux musiciens l’usage, aussi abondant qu’escagassant, de bandes-sons de deux types : ambiances sonores ou, carrément, play-back (boucle additionnelle et chant enregistré).
Troisième caractéristique, le jeu de scène de Nicola Sirkis, en sus de la lecture de ses chansons, est structuré autour de trois éléments dramaturgiques : les remerciements, lourdement ostentatoires et récurrents ; les mouvements vers le public pour serrer des mains sous l’œil vigilant des, précisément, vigiles, eh oui ; et les « Sooo » tribaux, criés puis dansés dès que le riff instrumental prend le dessus, permettant à « l’électrastar » de crapahuter en hauteur au fond de la scène principale. La construction dramaturgique est aisément reconnaissable, avec le moment acoustique seul au milieu de la salle quand la fin du concert approche, les interludes parlés généreusement bafouillés afin de garder une once de spontanéité dans ce récital ultraprogrammé, les nombreuses pauses pour que papy récupère, le medley de la mi-concert, les gimmicks verbaux aussi attendus que sciemment limités (« putain de public ! putain de nuit ! »), le solo de clavier du chef, soulignant sa virtuosité à échelle humaine, digne de Partenaire Particulier – bref, tout ce qui, mis bout à bout, fait « concert d’Indochine ».

Seul au monde ou presque. Photo : Rozenn Douerin.

L’évaluation

Et donc, c’était bien ? Reconnaissons avant tout que cette énorme machine à cash qu’est une tournée d’Indochine s’appuie sur une remarquable maîtrise technique (lumières, design vidéo, puissance du son – contrairement au précédent concert du groupe vu à Bercy où, selon notre souvenance, les amplis étaient tombés en rade un bon quart d’heure) : très pro. Surtout, l’on apprécie que le patron ait choisi de chanter en quasi intégralité le nouveau disque, refusant de s’enfermer dans un enchaînement de tubes pour nostalgiques (« allez, on y va ! » lancera-t-il, fataliste, quand le temps est venu de passer au moment RFM du concert). Les concerts qui s’annoncent sont sans doute l’occasion pour le chef de constater l’erreur stratégique patente qui a consisté à choisir comme étendard du nouveau disque « La vie est belle », en espérant renouer, par le casting, avec le succès de « J’ai demandé à la Lune ». En effet, le public connaît mieux quelques autres chansons plus séduisantes – la palme revenant à « Un été français », élu nouveau simple et, pour le coup, vraiment chanté par le public. Les trouvailles visuelles accompagnant la musique sont en général plutôt séduisantes, surtout si l’on exclut la vidéo pataude ouvrant et clôturant le spectacle, ou celle d’Asia Argento en petite tenue, dont on suppute que l’érotique petite culotte doit nous faire oublier le play-back ; mais l’on regrette que les bonnes idées et les effets wow tendent à s’essouffler promptement (réutilisation des souffleurs de pétales multicolores… qui risquent de cacher les prompteurs, suscitant la panique du vocaliste ; envoi un peu cheap d’une vingtaine de ballons au final ; pas de « feu d’artifice » conclusif, etc.). Ajoutons que, à l’évidence, l’habillage visuel a dû susciter un investissement plus massif que le détail du son : voix et basse paraissent sous-produites par rapport aux frappes suédoises.
Alors, que manque-t-il vraiment pour séduire ? Peut-être que, en concentrant les moyens et l’énergie sur un spectacle plus resserré, le groupe aurait gagné en puissance – les baisses de tension lors des pauses multiples finissent par être lassantes, et la stratégie si récurrente qui consiste à laisser chanter le public pour masquer un trou ou reposer la voix fatiguée risque de décevoir ceux qui apprécient qu’un chanteur chante. Peut-être que, en apprenant au moins quelques textes par cœur, Nicola Sirkis ne colorerait-il pas son personnage respectueux des fans avec un côté mécanique et je-m’en-foutiste qui dissone dans ce show bien réglé. Peut-être que, en surjouant moins l’émotion et la reconnaissance (il nous semble que des mercis trop itératifs sont moins percutants que des grâces distillées à quelques moments choisis), la vedette ne laisserait pas sporadiquement sur le côté quelques-unes des pièces rapportées cités supra, prêtes à trouver avenant le zozo, la musique boum-boum entraînante, l’effet « souvenir modernisé » croquignolesque, mais obligées d’admettre, en leur for intérieur, qu’un peu de rigueur ou d’exigence musicale, de la part de Niiiiicola ne nuirait pas pour nourrir leur plaisir de spectateurs.

La conclusion

En bref, nous avons assisté à un spectacle bien habillé, résolument kitsch quoique technologiquement maîtrisé, et plutôt sympathique. Le show a fait le bonheur des groupies, amusé les sceptiques et incité l’ensemble de l’assistance à dodeliner de la tête en rythme. De la belle quoique perfectible ouvrage qui tient avec droiture sa promesse de divertissement bon enfant – c’est l’essentiel, même si l’on eût aimé y déceler un brin de folie.
[Et la première partie ? Ah, oui, on voulait parler de ce groupe nommé Requin chagrin, mais les services d’accueil d’AccorHotel Arena sont tellement nuls qu’il nous a fallu 45’ d’attente avant d’entrer dans la salle. Nous n’avons donc pu ouïr qu’une fin de set sentant son sous-Indochine. Pas de quoi nous faire une idée sur ce combo. Pas merci, l’organisation !] PS : on nous souffle que l’on a rien compris car y avait plein de soucoupes volantes au plafond. Ben, peut-être faut être un bas de plafond d’exclure autant de gens d’une partie du spectacle, et puis c’est tout.