Daniel Kientzy (1/3), 6 pièces pour saxophone-total, Nova-musica
Le concept
Daniel Kientzy est un hurluberlu. Jadis bassiste de groupes de variét’, il est devenu le plus inventif des saxophonistes français. Le plus total aussi, puisqu’il se revendique comme « le seul saxophoniste au monde à jouer des sept saxophones », du sopranino au contrebasse (pas la contrebasse, même s’il maîtrise aussi cet instrument). Par chance, Daniel Kientzy n’est pas qu’un hurluberlu au look soigné et à la personnalité avenante pouvant le rapprocher de Gilles Gabriel Sr. C’est d’abord un musicien au parcours impressionnant, autodidacte mais pas-que – il affiche au compteur deux premiers prix du CNSMDP, et une flopée de distinctions tout aussi académiques. Bref, c’est un mec qui sait grouver le grouve, qui taquine la musique avec queue-de-pie et poudroiement, qui arpente les venelles vénéneuses de l’acousmatique, qui pratique les facéties improvisées et qui se pourlèche de recherche sonore, ce qui ne veut RIEN dire, mais bon. Or, voilà que, en 2017, après ca. cent disques, il offre à ses admirateurs deux nouvelles galettes, dont l’une est constituée de six créations variées pour sax et orgue Hammond (associé à un Leslie 122RV), ce dernier tenu par Matthias Leboucher.
Le contenu
Pas « faciles » à la première écoute, ces Six pièces pour saxophone-total et orgue Hammond ? Bon signe. Car, vu le pedigree du gaillard, on se doute que cette absence de « facilité » n’est ni une absence de fond, ni un souci d’ésotérisme, ni le fait d’un esprit trop altier pour se soucier des petits ploucs que nous sommes. Et, en effet, en prêtant l’oreille avec attention, on découvre un menu particulièrement sapide d’une quarantaine de minutes. Matthias Leboucher ouvre le bal avec Just any nothing, qui pivote sans manière autour d’une cellule rythmique énoncée d’emblée. La composition, déchiquetée par le silence comme l’anglais du titre est déchiqueté par le barbarisme, tâche de recoller des morceaux à la fois disparates par leur évanescence et cohérents par leur similitude de structure. C’est d’autant plus stimulant que L’illusion de Ludmila Samodayeva enchaîne sur une piste dissonante. Elle suggère l’évidence de logiques qui se dérobent. S’offrent d’abord des structures descendantes qui, quand elles paraissent installées et prévisibles, s’inversent – partant, deviennent ascendantes, ben oui. La composition se brouille avec art afin de déboucher sur une synthèse subsumant le duel entre cuivre et clavier par l’intervention de la voix.
Fonoharta de Laura Manzat contraste à son tour. La pièce s’articule autour d’une broderie ornant un motif orientaliste que ressasse le sax sopranino et qu’enrichit le B3 façon arabisante. Itzam Zapata propulse ensuite Wombalicious B, le « tube » du disque, en ce sens qu’il s’agit du morceau le plus immédiatement groovy de la galette. La partition s’amorce par un rythme syncopé qu’égrène le saxophone à coups de notes répétées. En écho, l’orgue Hammond swingue à son tour, nourrissant cinq minutes motoriques et finaudes. Prélude sombre au plus long morceau, le Nocturne de Drake Mabry est la pièce la plus courte de la set-list. Sur une pédale d’orgue, le saxophone ténor tente de percer par à-coups ou en risquant une proposition mélodique. Le combat s’évanuit dans la nouit, ou réciproquement, via un mystérieux et pudique fade out. Les dix minutes finales déroulent le duo opus 70 de Lucio Garau. Des clusters dignes d’un néorock progressif intelligent, type Spock’s Beard des débuts, intentent un rythme auquel font écho des tenues, des silences ou des reprises modulantes, esquissant sur la durée l’ombre proliférante d’un monstre qui s’étire en claudiquant.
La conclusion
Un disque stimulant que l’on conseille avec enthousiasme aux zzzauditeurs zzzattentifs, et qui incite à découvrir rapidement l’autre nouveauté 2017 qui voit Daniel Kientzy jouer Cornel Ţăranu. (« Et ça donne quoi, cette proposition avec orchestre, quintette à cordes et piano ? / – Minute, papillon. C’est ça aussi, la suspension. »)